
En illuminant la Grotte aux pigeons avec les portraits de ses deux anciens chefs assassinés par Israël en 2024 malgré une interdiction officielle, et en mobilisant des milliers de ses partisans pour les besoins d’une démonstration de force jugée déplacée, le Hezbollah a de nouveau poussé à l’extrême ses manœuvres provocatrices.
Cette fois, ce sont les actes, et non plus les paroles, qui ont rappelé aux Libanais que le Hezbollah entend demeurer en marge de l’État: une force hors-la-loi, ne se reconnaissant d’autre contrainte que les engagements qui l’unissent à son parrain iranien.
Il faut dire que dans le lexique hezbollahi, le mot «autorisation» est à sens unique: c’est la formation pro-iranienne qui, depuis longtemps, s’est arrogé le droit d’en accorder aux Libanais. Qu’il s’agisse pour un journaliste de se rendre en mission dans ses zones d’influence, pour un touriste d’y prendre des photos ou pour n’importe quel citoyen de formuler un avis. Si cet avis contredit le sien, l’individu en question est immédiatement taxé de «traître». Et s’il pousse trop loin l’opposition, il s’expose purement et simplement à l’élimination.
À l’inverse, le Hezbollah ne se sent concerné par aucune des règles qui fondent l’État, depuis qu’il s’est autoproclamé force supranationale. Sa volonté, ses actes et sa politique relèvent, à ses yeux, du sacré, dès lors qu’ils portent le label -lui aussi autoproclamé- de «résistance». Une notion élastique qui sert surtout à légitimer tout un éventail de pratiques qui devraient être normalement sanctionnées par la loi. Et s’il se les autorise, c’est toujours sous le prétexte fallacieux de «défendre le Liban».
Le Liban piégé
Pour démonter cet argument que le Hezb décline à l’infini, il suffit d’évoquer l’affaire des tunnels: un réseau de galeries militaires souterraines interconnectées, déployées au Liban-Sud, dans la Békaa, à la frontière syrienne, dans la banlieue sud de Beyrouth... et Dieu seul sait où encore.
Concrètement, le Hezb a piégé le Liban. Il a installé le pays sur une poudrière, et ce n’est pas une image. Évidemment, il l’a fait sans l’autorisation des Libanais. La guerre dans laquelle il les a entraînés -toujours sans leur consentement- a surtout révélé l’ampleur des zones résidentielles, agricoles et boisées transformées en terrains piégés pour les besoins de sa stratégie militaire. Le Hezbollah n’a pas demandé l’autorisation des habitants des villages frontaliers pour creuser, sous leurs maisons, leurs écoles, leurs terres et leurs commerces, plusieurs centaines de galeries souterraines où il a stocké l’arsenal dont Hassan Nasrallah se vantait en promettant de frapper Israël «au-delà de Haïfa». Il ne leur a pas demandé non plus s’il pouvait se servir d’eux comme boucliers humains, tout en continuant, éhontément, à se présenter comme «le bouclier du Liban face à Israël», pour justifier son arsenal. Il n’a pas davantage sollicité leur accord pour tirer, depuis leurs maisons abandonnées durant la guerre, des roquettes contre Israël, sachant que l’armée de l’État hébreu allait riposter pour détruire les sources de tirs.
Des galeries et des taupinières
Les chiffres sont saisissants. Selon le porte-parole arabophone de l’armée israélienne, Avichay Adraee, celle-ci a détruit «environ 1.500 postes souterrains», dont «des centres de production d’armes de guerre». Le reste est en cours de démantèlement, conformément à l’accord de cessez-le-feu du 27 novembre 2024, qui prévoit -à l’instar de la résolution 1701 du Conseil de sécurité- une zone démilitarisée au sud du Litani.
Côté libanais, on se garde bien d’indiquer le nombre exact de tunnels découverts dans le cadre de cette démilitarisation. On se contente d’un chiffre vague: 90% de la zone a été nettoyée. Au fil des ans, et avec la patience destructrice d’une taupe, le Hezbollah a méthodiquement aménagé, surtout dans le sud du pays, un vaste réseau militaire souterrain: des galeries s’étendant sur des centaines de kilomètres, avec des ramifications atteignant Israël (à des fins offensives et défensives) et la Syrie (pour les besoins du ravitaillement militaire). Ces galeries n’abritaient pas seulement son arsenal, mais aussi son réseau de télécommunications, la toute première cible d’Israël lors de sa riposte à l’ouverture du front sud par le Hezbollah.
De sources militaires, on avance le chiffre de 200 «postes importants» découverts et plus de 700 «petits postes», en reconnaissant la découverte d’«un vaste réseau de galeries souterraines et de dépôts d’armes du Hezbollah dans les villages frontaliers». Leur mise à jour n’a été possible que grâce à des structures comparables à des taupinières: des entrées de puits près des maisons, dans des vallées ou sous des rochers, confie-t-on de même source à notre collaboratrice, Katia Kahil.
À Kfar Kila, à quelques centaines de mètres de la ville israélienne de Metoula, c’est dans une chambre d’enfants que le puits d’un tunnel avait été aménagé. Dans le village frontalier de Mays el-Jabal, faisant face à la localité israélienne de Kiryat Shmona, une maison habitée abritait une importante cache d’armes. L’entrée d’un tunnel y a été découverte.
On compte, à ce jour, plus de 50 puits détruits ou découverts, dont un à 150 mètres d’un poste de la Finul. Entre la frontière israélienne et Aïta el-Chaab, un tunnel découvert, abritant un entrepôt d’armes, un centre de commandement et des quartiers pour les combattants, débouchait sur des tranchées.
Une vieille histoire
La première fois que les Libanais ont réalisé le risque auquel les expose cette structure, c’était en décembre 2018. Israël avait alors découvert des tunnels transfrontaliers qui s’étendaient sur plusieurs dizaines de mètres à l’intérieur de son territoire.
En 2004, un autre tunnel d’une dizaine de mètres de longueur, entre Marwahine, au Liban-Sud, et Zar’it, en territoire israélien, avait été également découvert et neutralisé par l’armée israélienne.
Dans un de ses premiers discours de chef du Hezbollah, Naïm Kassem avait reconnu, en s’étalant sur «les ambitions expansionnistes» d’Israël, que sa formation s’est employée depuis la fin de la guerre de 2006 à développer sa présence militaire au Liban-Sud. La construction des tunnels avait, elle, commencé dans les années 80, avec l’aide des Iraniens et des Nord-Coréens. Elle s’est accentuée après le départ des Israéliens du Liban-Sud, en 2000, grâce au soutien logistique des Pasdaran et du régime de Bachar el-Assad, alors que le Liban était sous occupation syrienne.
Comme le Hamas à Gaza, le Hezb a conçu toute son infrastructure souterraine pour protéger ses cadres et ses combattants et assurer des relais entre eux. Quant à la population civile, elle n’avait qu’à se débrouiller…
De sources militaires dans la partie méridionale du pays, on indique à Katia Kahil, que les tunnels qui n’ont pas encore été neutralisés «passent sous des habitations civiles, ce qui complique leur démantèlement et pose des risques pour les populations locales». Il reste également possible, selon les mêmes sources, que certaines infrastructures n’aient pas encore été découvertes. Les indications varient sur la profondeur exacte des galeries creusées par le Hezb. Certaines ont été creusées à 50 mètres, d’autres à des niveaux bien plus superficiels, en fonction de leur affectation.
Une structure impressionnante qui a fait, à un moment donné, la fierté du Hezbollah. Une fierté qui a été également une des causes de sa perte…
Le 16 août, la formation pro-iranienne diffusait tambour battant une vidéo promotionnelle de près de cinq minutes sur son réseau de tunnels baptisé Imad 4, pour montrer «son niveau de préparation militaire et sa puissance face à Israël». Un mois plus tard, l’aviation israélienne lançait ses frappes…
Le Hezbollah a perdu son pouvoir militaire. Il ne conserve aujourd’hui qu’un pouvoir de nuisance qu’il exerce contre les Libanais.
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