Parée du langage technique de la restructuration financière, la Gap Law est présentée comme une étape nécessaire pour combler le déséquilibre du système bancaire libanais. En réalité, derrière cette rhétorique se cache une réalité beaucoup plus grave : la légalisation d’une expropriation massive des dépôts bancaires, au mépris du droit de propriété, de la sécurité juridique et des fondements mêmes d’une économie libérale.
Le dépôt bancaire n’est pas une faveur, mais un droit
Dans toute économie fondée sur le marché, le dépôt bancaire constitue une propriété privée pleine et entière. Il repose sur un contrat clair : le déposant confie ses fonds à une banque, qui s’engage à les restituer selon des modalités définies. Ce contrat est au cœur de la confiance financière, de l’épargne et de l’investissement.
La Gap Law rompt unilatéralement ce contrat. Elle transforme une créance certaine, exigible et protégée juridiquement en un instrument financier incertain, différé et sans valeur clairement définie. Ce glissement n’est pas technique : il est politique et juridique. Il consiste à faire porter au déposant le coût d’un effondrement qui ne lui est pas imputable.
Dans un État de droit, une telle atteinte à la propriété privée ne peut intervenir que dans des conditions strictes : nécessité publique clairement démontrée, indemnisation juste et préalable, cadre légal incontestable. La Gap Law ne respecte aucun de ces critères.
Des titres à la place de l’argent : une promesse sans garantie
Le cœur du dispositif repose sur la conversion forcée d’une partie des dépôts en titres émis par la Banque du Liban, à échéance de 10, 15 ou 20 ans. Ces titres ne sont ni garantis par l’État, ni adossés à des actifs clairement évalués, ni assortis d’un mécanisme crédible de remboursement.
Autrement dit, le déposant ne récupère pas son argent : il reçoit une promesse abstraite, fondée sur des revenus futurs hypothétiques de la Banque du Liban, elle-même lourdement déficitaire.
Dans toute logique financière libérale, un tel instrument serait classé comme hautement spéculatif, voire sans valeur économique réelle. L’imposer par la loi à des citoyens qui n’ont rien demandé revient à substituer l’arbitraire à la liberté contractuelle.
Pire encore, ces titres sont présentés comme une “solution”, alors qu’ils ne constituent en réalité qu’un report du problème dans le temps, sans aucune certitude de paiement à l’échéance. Rien ne garantit que la Banque du Liban sera, dans 10 ou 20 ans, en mesure d’honorer ces engagements. Rien n’exclut même un futur recyclage de ces titres, avec de nouvelles prorogations.
Une expropriation différée, mais bien réelle
Les défenseurs de la Gap Law affirment que les déposants ne subiront pas de “haircut” direct. C’est une affirmation trompeuse.
L’expropriation n’est pas toujours brutale ; elle peut être progressive, indirecte et différée.
Remplacer un dollar aujourd’hui disponible par un titre incertain payable dans vingt ans, sans garantie de valeur, revient économiquement à amputer massivement la richesse du déposant. Le préjudice est réel, même s’il est masqué par des artifices juridiques.
Dans une économie libérale, la valeur d’un actif repose sur trois piliers : la liquidité, la sécurité et la prévisibilité. Les titres proposés par la Gap Law ne remplissent aucun de ces critères. Ils ne sont ni liquides, ni sûrs, ni prévisibles. Ils ne compensent donc en rien la perte subie.
Une atteinte directe à la sécurité juridique
La sécurité juridique est l’un des fondements de toute économie moderne. Elle suppose que les règles ne changent pas rétroactivement et que les engagements contractuels soient respectés.
La Gap Law envoie le message inverse :
- les contrats peuvent être modifiés après coup,
- les droits peuvent être redéfinis unilatéralement,
- l’épargne peut devenir une variable d’ajustement.
Un tel précédent est dévastateur. Il ne concerne pas seulement les déposants actuels, mais aussi tous les futurs épargnants, investisseurs et entrepreneurs. Pourquoi confier son argent à un système où la loi peut, du jour au lendemain, transformer un droit certain en une créance aléatoire ?
Déposants contre banques : un faux débat
La Gap Law tente d’opposer déposants et banques, comme si les premiers devaient être protégés en sacrifiant les secondes. Cette opposition est artificielle et dangereuse.
Les banques ne sont pas l’ennemi des déposants : elles sont l’outil par lequel l’épargne est transformée en crédit, en investissement et en croissance. Détruire la crédibilité des banques revient mécaniquement à détruire la protection des déposants eux-mêmes.
En affaiblissant les bilans bancaires, en annihilant leurs capitaux et en les exposant à des liquidations en chaîne, la Gap Law réduit encore davantage les chances de restitution des dépôts. Ce texte ne protège pas les déposants : il institutionnalise leur perte.
Une loi incompatible avec une vision libérale de l’économie
Une économie libérale repose sur des principes clairs : responsabilité, propriété, contrat, prévisibilité, confiance. La Gap Law viole chacun de ces principes.
Elle substitue la contrainte à la liberté, l’arbitraire à la règle, le transfert politique à la responsabilité économique.
En refusant d’assumer la responsabilité première de l’État et de la Banque centrale, le législateur choisit la solution la plus facile politiquement : faire payer ceux qui ne peuvent pas se défendre, les déposants.
Une ligne rouge franchie
La Gap Law n’est pas une réforme bancaire. Ce n’est pas une restructuration ordonnée. C’est une confiscation légalisée, maquillée en solution technique.
Un pays qui banalise l’expropriation de l’épargne détruit la base même de sa reconstruction. Sans respect du droit de propriété, il n’y a ni confiance, ni investissement, ni avenir économique.
En légalisant la spoliation des dépôts, la Gap Law franchit une ligne rouge.

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