Comme un mois d’avril au Liban 2/2
«L’homme doit s’appuyer sur le passé et tendre vers l’avenir», nous dit Henri Bergson. De ce siècle dernier où notre pays a connu diverses occupations, la famine, des guerres et des misères, nous allons retenir l’édification d’une nation, son impact sur le monde, son rayonnement culturel et sa formidable vitalité. Mois par mois, un peu de ces petites lucioles d’hier pour éclairer notre chemin vers demain.



Le pays est en émoi en ce 1er avril 1946 avec la passation de pouvoir entre les Français et les Libanais aux commandes de la radio. Radio Levant devient ainsi Radio Liban. On en avait parlé en mars, mais impossible de ne pas y revenir tant cet événement revêtait une signification importante dans le monde des médias. Radio Levant avait été créée en 1938 et émettait en pas moins de 11 langues pour couvrir la région et même au-delà puisqu’elle était écoutée en Amérique, en Scandinavie et en Afghanistan. Radio Liban suivra donc ses traces avec pour directeur Mohammed Sabra et deux heures par jour de programmes culturels sous l’égide de Gabriel Bounoure. Le président de la République dira que c’est une page glorieuse et André Gide, invité pour inaugurer les émissions culturelles, dira: «Dans les deux sens du mot, l’amitié d’un pays nous oblige. Il nous faut la mériter sans cesse à neuf.» Grand bond en avant avec, en avril 1974, et après deux ans de publication, le quotidien As-Safa qui tire sa révérence et qui n’aura donc pas survécu à la mort de Fouad Chéhab et d'Antoine Kamouh, son principal bienfaiteur. En pleine guerre, en avril 1977, un nouveau quotidien francophone voit le jour. Il s’agit du Réveil, proche d’Amine Gemayel. Ce nouveau journal reprend le nom du premier journal francophone libanais fondé en 1908 et disparu depuis.

Toujours aussi mélomane, le Liban pleure le 11 avril 1952 Wadia Sabra. Brillant musicien, il était directeur du Conservatoire national de musique, mais surtout et ne l’oublions pas, le compositeur de la musique de l’hymne national libanais. Les frères Rahbani reçoivent le 17 avril 1957 la médaille du Mérite libanais pour tout ce qu’ils ont offert au paysage musical libanais. Après tout le succès remporté à Beyrouth, Bob Azzam et son orchestre triomphent en Allemagne en avril 1959. Tenue pour la première fois hors de France, la finale du Festival de la chanson française se déroule le 29 avril 1962 au Théâtre du Liban au Casino. Avec 14 artistes et plus de 30 auteurs-compositeurs et un jury prestigieux composé entre autres de Jean Bruce et Marcel Carné, c’est Lucienne Klein qui remporte le Grand Prix. Carné dira son désir de revenir au Liban tourner un film ou prendre des vacances et Jean Bruce prolongera son séjour pour s’inspirer pour son prochain livre. La cantatrice Kohar Kasparian triomphe au Théâtre du Liban en avril 1966 et Walid Akl entame en avril 1969 une tournée couronnée de succès qui l’a mené au Canada et dans diverses villes des États-Unis. Enfin, l’ambassadeur de France Jean-Pierre Lafon remet le 21 avril 1997 les insignes de Chevalier de la Légion d’honneur à la divine Fairouz.

Côté spectacles, la grande danseuse Samia Gamal et le chanteur Abdel Halim Hafez se produisent en avril 1957 dans la salle du cinéma Rivoli alors que le 6 avril 1959, le Liban accueille en grande pompe Louis Armstrong en personne. Tout Beyrouth se presse pour assister aux quelques concerts donnés à l’Unesco par le grand Armstrong qui ira fêter son succès aux Caves du Roy. Quelques jours plus tard, c’est Dalida qui se produit au Dunia et les fans sont au rendez-vous dès son arrivée à l’Aéroport international de Beyrouth. Elle reviendra régulièrement là où elle se considère un peu chez elle. Toujours au Dunia, le 6 avril 1960, les Platters enflamment la salle. Leur tube légendaire Only You est repris par toute l’assistance. Le 15 avril 1961, Charles Aznavour donne plusieurs concerts devant une assistance conquise d’avance. Il reviendra l’année suivante et celle d’après. On ne s’en lasse jamais. Entretemps, la troupe folklorique Al-Anwar triomphe au Théâtre des nations à Paris en avril 1961 et la dabké fera des émules. La Troupe des danseurs de l’Opéra de Paris présente un magnifique spectacle de ballet en avril 1964 au Théâtre du Liban et le Casino présentera sa nouvelle revue Hello le 21 avril 1969 dans la Salle des ambassadeurs. Le Flying Cocotte célèbre avec éclats son premier anniversaire le 16 avril 1969 avec 500 personnes venues danser jusqu’à 4h du matin. La guerre n’empêchera pas Jeanne Manson de chanter au Liban en avril 1979 et Serge Lama de donner plusieurs récitals en avril 1983 au Théâtre du Liban. On se souvient encore de la prestation du ténor José Carreras en 1997 au Forum de Beyrouth comme un hommage à la paix retrouvée.




Le Théâtre du Liban du Casino du Liban va inaugurer sa scène toute neuve le 6 avril 1960 avec la troupe de la Comédie française. L’École des maris de Molière et Le Jeu de l’amour et du hasard de Marivaux vont enchanter près de 1200 spectateurs. Les officiels avaient tous fait le déplacement vu l’engouement des Libanais pour le théâtre. Le 13 avril 1962, une nouvelle troupe de chansonniers présente À qui le tour? au Bobino de l’hôtel Alcazar. Oui, vous l’aurez deviné. c’est bien les Dix Heures! Fondée par Pierre Gédéon, Gaston Chikhani, Abdallah (Dudul) Nabbout, la troupe compte aussi à ses débuts André Gédéon, Albert Sidi (Alcide Borik), Jeannette Doumani, Marie-Josée Alegrini, Joe Adm et Micheline Daou. Plus tard s’ajouteront d’autres complices comme Edmond Hanania et Chucri Abboud. Un énorme succès les attend. Dans ce qui est devenue une tradition, les mois d’avril au Liban verront, d'année en année, les pièces à succès se jouer au Théâtre du Liban avec notamment Robert Lamoureux, François Périer, Bernard Blier, Louis Velle, Philippe Noiret, Dany Robin, Nicole Courcel, Georges Descrières et tant d’autres. Entretemps le 30 avril 1966, le Comité de lecture de la Comédie française reçoit L’Émigré de Brisbane de Georges Schéhadé. Grande consécration pour cet auteur de génie. En avril 1969, Majdaloun, la pièce de Henri Hamati, interprétée au Théâtre de Beyrouth par Nidal el-Achkar, Roger Assaf et Sarah Salem est interdite par les autorités qui la jugent trop «politique». Le 13 avril 1972, le Théâtre des Dix Heures fête ses dix ans aux Caves du Roy, dix années bien occupées avec pas moins de 38 revues et près de 500.000 spectateurs.

Théâtre, spectacles mais aussi cinéma! Le Liban dévore la culture à pleines dents. Les salles de cinéma florissent et se modernisent. En avril 1964, pionnier au Moyen-Orient, le Liban est doté d’un Cinérama. Cela se passe au Dunia et les spectateurs qui assistent à La Conquête de l’Ouest ont l’impression de se retrouver directement dans l’action. Le même mois, le Liban ravi verra Claudia Cardinale adorer son séjour passé en compagnie de son amoureux du moment à l’hôtel Commodore et le 4 avril 1964, Jean-Paul Belmondo et Jean Seberg sont à Beyrouth pour le tournage de leur film Échappement libre. Ils sont au Phoenicia où plusieurs scènes seront tournées et sont accompagnés de toute l’équipe du film ainsi que du mari de Jean Seberg qui n’est autre que… Romain Gary! Tournage le jour, fête la nuit, le tandem ne s’ennuiera pas à Beyrouth! Plus sage, Gary, quant à lui, dira n’avoir pas oublié son premier séjour au Liban en 1940 alors qu’il était aviateur dans les troupes de De Gaulle. Toujours en avril 1964, et comme si tout le monde s’était donné rendez-vous en même temps, c’est au tour de Robert Mitchum de passer trois jours au Liban où il assistera à la présentation de la revue S’il vous plaît au Casino du Liban. C’est le troisième séjour de l’acteur chez nous.

Avril hier au Liban c’est aussi les 75 ans de l’Université Saint-Joseph, fondée en avril 1950, et l’occasion de poser les premières pierres de ce qui deviendra le Collège Notre-Dame de Jamhour. Leila Saroufim est élue Miss Liban au Normandy le 19 avril 1953 et représentera pour la première fois le Liban à l’international. La célèbre couturière Mme Djenny reçoit le 15 avril 1958 l’Ordre du Cèdre pour avoir habillé, durant plus de 30 ans, les élégantes. C’est à l’âge de 26 ans, le 17 avril 1963, que Myrna Boustany est élue députée, pavant ainsi la voie au rôle des femmes en politique. C’est aussi le 2 avril 1964 – conséquence d’un raz-de-marée inexplicable – que la Grotte aux pigeons est submergée par les flots. C’est la panique sur la corniche. Et comment ne pas évoquer les fameux bals «April in Beirut» à partir de 1967 où, dans un décor extraordinaire, signé Michel Harmouche, des personnalités beyrouthines présenteront un spectacle d’amateurs désopilant devant plus de 1000 personnes au profit du Foyer du père Osseirane qui aide l’enfance délinquante?

Tania Hadjithomas Mehanna

 

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