Déforestation au Akkar: les joyaux du Liban en péril
©Crédit photo: Darb Akkar (Akkar Trail)

Déforestation massive et incendies de forêt menacent le Akkar qui lutte depuis mercredi contre les flammes qui ravagent Wadi Jhannam. Des mesures urgentes sont nécessaires pour protéger les joyaux naturels de la région et lutter contre ces problèmes environnementaux.
Depuis mercredi, la Défense civile et les volontaires de l’ONG Darb Akkar (Akkar Trail) s’efforcent sans relâche de maîtriser le feu qui s’est déclaré dans Wadi Jhannam, une magnifique vallée du Akkar. Une intervention des plus difficiles à cause des terrains escarpés, de la sécheresse et du vent qui ne fait qu’attiser les flammes.
Les incendies ont commencé tôt cette année au Akkar, un phénomène qui inquiète, d’autant que la région qui abrite certaines des plus belles forêts séculaires du Moyen-Orient a été, dans le même temps, victime de plusieurs crimes écologiques. Ces écosystèmes précieux sont actuellement menacés par deux problèmes majeurs: la déforestation massive et les incendies de forêt. Les arbres, dont certains sont rares, sont coupés illégalement pour des utilisations commerciales, tandis que les incendies, criminels le plus souvent, ravagent ces espaces verts fragiles.
Face à cette situation alarmante, des experts en environnement et des militants écologistes continuent d’appeler à des mesures urgentes pour protéger et préserver ces joyaux naturels du Akkar.

Une menace pour la biodiversité et l'équilibre naturel
La déforestation est une menace majeure pour la région du Akkar où des commerçants du bois coupent quotidiennement des arbres séculaires dans les montagnes. Cette pratique illégale prive la région de sa beauté naturelle et porte atteinte à son potentiel en matière de santé, d'économie et de tourisme écologique. Le genévrier élevé et le sapin de Cilicie, deux espèces d'arbres emblématiques de la région, sont particulièrement visés.
D’après Khaled Taleb, militant écologiste, ce phénomène peut être inversé, pour peu que l'on prenne des initiatives intelligentes. «Il faut établir des usines de bûchettes dans la région pour une exploitation raisonnée des ressources forestières et contrôler le braconnage», préconise-t-il, entre autres, avant d'ajouter: «Cependant, les collectivités locales du Akkar sont confrontées à de nombreux problèmes techniques, logistiques et économiques pour mettre en place des mesures concrètes de protection de l'environnement.»
Des problèmes qu’aggrave l’absence ou l’indifférence du pouvoir central. A Ici Beyrouth, Antoine Daher, président du Conseil de l’environnement à Kobeyate et au Akkar, confie que «les braconniers sont bien connus» et reproche aux forces de l’ordre «de n’intervenir que très rarement, sans prendre de mesures sévères» à l’encontre des contrevenants.
À ce sujet, Khaled Taleb fait remarquer que le dernier incendie qui s'est déclaré dans la région, en juin dernier, est incontestablement d'origine humaine. Selon l’équipe de lutte contre les incendies de l’ONG Akkar Trail, les incendies naturels ne sont pas courants dans la région et il n'y a pas de facteurs naturels ou électriques qui pourraient les déclencher. Les militants ont déposé une plainte auprès des autorités à qui ils ont fourni les images d'un homme en train de mettre le feu à une forêt.
La crise socio-économique et la flambée des prix du carburant ont favorisé l’abattage d’arbres et les incendies criminels, au Akkar et partout ailleurs au Liban, à des fins personnelles – pour le chauffage – ou commerciales – pour l’appât du gain. «Tout ce que nous pouvons faire pour l’instant, c’est médiatiser l’affaire et essayer de lutter à notre échelle contre ces phénomènes destructeurs pour préserver ce patrimoine national que sont les forêts du Akkar», affirme-t-il.
«Les braconniers confondent souvent le genévrier élevé (Juniperus excelsa) avec le très rare genévrier puant (Juniperus foetidissima), ce qui aggrave la situation», déplore de son côté Jean Stéphan, enseignant-chercheur en écologie et biodiversité à l’Université libanaise. «En éclaircissant les forêts de sapins, on perturbe l’ombre dont ces arbres ont besoin, ce qui nuit non seulement au sapin lui-même, mais également à la flore environnante, y compris des espèces rares telles que les pivoines dont on trouve deux espèces au Liban, la pivoine mâle (Paeonia mascula) et la pivoine du Kesrouan (Paeonia keserouenensis).»
Incendies de forêt: une menace criminelle
Quant aux incendies de forêt, ils représentent un autre autre problème urgent au Akkar. Depuis le mois de juin, la région est touchée par d'importants feux qui dévastent des hectares de forêt, dont le dernier en date dure depuis mercredi. Le ministre sortant de l’Intérieur, Bassam Maoulaoui, a souligné lors d’une réunion la nécessité de couper l’herbe sous les pieds des pyromanes pour les empêcher de poursuivre leurs méfaits contre la nature. Dans ce contexte, il a strictement interdit d’abattre les arbres calcinés pour les besoins du commerce du charbon, en insistant sur le fait que «nos forêts sont une richesse».
Il a aussi demandé aux magistrats d’infliger les sanctions les plus sévères à l’encontre des pyromanes «qui détruisent notre environnement, nos montagnes et nos bois». M. Maoulaoui a aussi annoncé l’élaboration de projets de loi pour durcir les sanctions contre ces malfaiteurs.
D’après des études menées par les centres nationaux pour la prédiction environnementale des États-Unis,  (US National Centers for Environmental Prediction), la Terre connaîtrait depuis début juillet les jours les plus chauds de son histoire avec un pic de température moyenne de 17,23oC le 6 juillet. Au Liban, les températures vont dépasser dimanche la moyenne saisonnière. Selon le service météo de l’aéroport, la canicule durera jusqu’à mardi.

En fait, c’est tout le bassin de la Méditerranée qui est affecté par cette canicule. Une situation qui commande aux autorités de tous les États concernés de redoubler de vigilance pour éviter les feux de forêts qui trouvent là un environnement propice à leur développement.
D’autant plus qu’en Méditerranée, «seuls 1 à 5% des feux de forêts seraient dus à la foudre et autres phénomènes naturels», explique Rana el-Zein, scientifique et spécialiste en écophysiologie et dynamique forestière. «Le reste est causé volontairement ou involontairement par les activités humaines, comme les installations de câbles électriques, la pyromanie, les lobbies industriels et la mauvaise gestion des espaces forestiers…» ajoute-t-elle.
Les conséquences de ces incendies sont dévastatrices. Non seulement ils détruisent les écosystèmes forestiers, mais ils mettent également en danger les habitants locaux, la faune et la flore, ainsi que les ressources en eau de la région. Les incendies de forêt ont un impact à long terme sur la régénération des forêts et peuvent entraîner des conséquences écologiques désastreuses.

Une pollution de l’air majeure
Charbel Afif, expert en pollution de l'air et chef du département de chimie à la faculté des sciences de l'Université Saint-Joseph de Beyrouth, souligne les conséquences des incendies sur la qualité de l'air. «De grandes quantités de polluants sont libérées dans l'atmosphère lors de ces sinistres. Les particules fines ou PM sont les polluants les plus visibles dans ces situations, notamment lors d’incendies d’ampleurs aussi grandes que ceux du Akkar (95 hectares cette année NDLR) où l’on observe des pics de concentration de PM», explique l’expert.
Du point de vue de la santé, la combustion de la biomasse telle que le bois, les déchets agricoles et les résidus forestiers peut générer des émissions toxiques, notamment des particules fines, du dioxyde de carbone, du monoxyde de carbone et des composés organiques volatils. M. Afif souligne «les effets néfastes de ces émissions sur les systèmes respiratoire et cardiovasculaire». «Elles peuvent entraîner des maladies telles que l'asthme, la bronchite, les maladies cardiaques et le cancer du poumon», explique-t-il.
Appel à l'action: sauver le Akkar
Face à ces menaces imminentes, il est impératif que les autorités locales, les organismes environnementaux et la population se mobilisent pour préserver les joyaux naturels du Akkar. Voici quelques mesures essentielles qui peuvent être prises:
Renforcement des lois et des mesures de protection de l'environnement: il est nécessaire d'appliquer strictement les lois existantes et de renforcer les sanctions contre la déforestation illégale et les incendies criminels. Des patrouilles régulières dans les zones forestières sensibles peuvent dissuader les activités illégales.
Sensibilisation et éducation: il est crucial de sensibiliser la population locale, en particulier les jeunes, sur l'importance de préserver l'environnement et la biodiversité. Des programmes éducatifs et des campagnes de sensibilisation peuvent encourager une prise de conscience et un engagement en faveur de la protection des forêts.
Collaboration entre les autorités et les communautés locales: les autorités doivent travailler en étroite collaboration avec les communautés locales pour élaborer et mettre en œuvre des initiatives de conservation de l'environnement. L'implication et la participation des habitants sont essentielles pour assurer la durabilité des actions entreprises.
Promotion du tourisme durable: le Akkar possède un énorme potentiel en matière de tourisme écologique. En promouvant le tourisme durable, les autorités peuvent créer des opportunités économiques alternatives tout en préservant les écosystèmes forestiers. Des initiatives telles que des sentiers de randonnée, des visites guidées respectueuses de l'environnement et des hébergements écologiques peuvent être développées.

 
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