©Dessin de Mia Karam
La débrouillardise inculquée aux enfants au même titre que le courage et l’hospitalité, trace son chemin insidieusement, hypocritement, avant de se développer en roublardise et d’attaquer tout le système de valeurs en se répliquant à l’infini. Elle se développe dans les comportements illicites devenus la norme et altère les mœurs publiques. Ses variants préoccupants et virulents trouvent leurs meilleurs hôtes chez la milice, les politicards, les chefs claniques et la ploutocratie qui ont avalé les avoirs des épargnants pour se refaire une santé à l’extérieur du pays...
«Qui vole un œuf vole un bœuf»
Qui aurait cru qu’à la racine du mal qui a provoqué la banqueroute des ministères mines d’or, qui a démoli Beyrouth, calciné les silos, le port et les épargnes bancaires, se cache un virus toujours en mutation et de plus en plus virulent, ô corruption, un ennemi qu’on a hissé au rang d’ami, un vice érigé en vertu! Ô corruption a infecté la plupart des foyers à cause d’une relation tout à fait légitime, rarement «contre-nature» entre la débrouillardise et la roublardise en milieu libanais.
Faut-il remonter aux commerçants phéniciens ou plutôt aux pratiques des Ottomans au Liban, pour voir éclore ses premiers germes? Quoi qu’il en soit, la débrouillardise inculquée aux enfants au même titre que le courage et l’hospitalité, trace son chemin insidieusement, hypocritement, avant de se développer en roublardise et d’attaquer tout le système de valeurs en se répliquant à l’infini. Elle se développe dans les comportements illicites devenus la norme et altère les mœurs publiques. Ses variants préoccupants et virulents trouvent leurs meilleurs hôtes chez la milice, les politicards, les chefs claniques et la ploutocratie qui ont avalé les avoirs des épargnants pour se refaire une santé à l’extérieur du pays, faisant fi des lois, des décrets et de la morale.
Ô corruption se transmet de génération en génération, mais trouve sa forme la plus coriace et la plus achevée chez les seigneurs de guerre troquant leurs treillis contre des costumes-cravates et leurs armes contre des porte-documents.
Dès leur plus jeune âge, les enfants sont classés en deux catégories: d’une part, les débrouillards jouissant de facto d’un grand potentiel de roublardise, appelée à tort «bravoure» en franco-libanais, probablement par euphémisme; d’autre part les «idiots» ne sachant pas manipuler les codes de la fourberie pour se tirer d’affaire.
L’initiation des jeunes apprentis se fait paradoxalement à la maison, avec les meilleures intentions, par la bouche des parents et des proches: «Profitez des opportunités. Ne vous laissez pas marcher sur les pieds, ne soyez ni naïfs ni candides puisque la transparence est synonyme d’échec au Liban. Voyez le 'brave' fils de X, comment il s’est débrouillé pour arriver à ses fins. Il s’est fait une situation, a gravi tous les échelons grâce à sa roublardise. Pensez au parcours du rejeton de Y. Ce n’était qu’un sale petit morveux affamé dans sa baraque. Aujourd’hui, il mange à s’en faire creuser la panse et se pique de posséder des castels.»
L’injection de ces success stories ou exemples de réussites se fait à longueur de journée et à doses constamment renouvelées.
Ce que les éducateurs oublient de mentionner, les voisins et les amis se le communiquent malicieusement: «Si tu comptes enregistrer un bien immobilier, prévois d’abord un pot-de-vin au fonctionnaire, sinon tu risques de ne pas avancer d’une semelle, de poireauter dans une attente éternelle.»
Dans un pays laminé par la corruption, où les criminels et les voleurs sont promus au rang de dirigeants et font la pluie et le beau temps, il ne faut point sous-estimer ces recommandations qui tiennent lieu de formations. Le message transmis est clair et démontré: si tu t’abstiens de soudoyer les médiateurs pour arriver à tes fins, sache que tu es condamné à faire partie des ânes, pendant que les autres règnent en maîtres absolus et amassent des fortunes. Rêver à la justice, c’est croire au père Noël et construire des châteaux en Espagne.
Ce que dit Amiel s’applique parfaitement au Liban. «En ce monde, la fourberie et l’apparence triomphent et triompheront toujours.»
Les réflexes de défense ou les raisons de l’autosuicide
Comment une société attachée à la religion, donc normalement à la dimension transcendante du vécu et de l’expérience, peut transgresser l’éthique dans sa forme la plus élémentaire et ériger le vice en vertu?
«Ne semez pas la corruption sur terre», dit le Coran. De même, le pire exemple de corruption se trouve illustré dans la trahison de Jésus-Christ mené à la crucifixion, contre trente deniers.
Si le vice dénote l’irresponsabilité, il n’en demeure pas moins que c’est un acte réfléchi. La personne qui se veut «brave» selon l’acception libanaise, autrement dit qui ose transgresser les règles pour tirer la couverture à soi, a toujours été saluée dans son milieu, voire encensée.
Comment comprendre qu’un peuple puisse être pris à son propre jeu, tomber dans ses propres filets en diffusant l’apprentissage de la roublardise, qui creusera sa propre tombe, dont le chef-d’œuvre de corruption est l’hécatombe portuaire, orchestrée par les politicards mafieux?
L’inexistence d’un système étatique fonctionnel pousse l’individu à protéger ses intérêts individuels coûte que coûte, au détriment du bien commun qui se réduit en l’occurrence à un non-sens. Cela est commandité par des réflexes de défense qui ameutent et affolent tout l’organisme, poussant les Libanais.es à voter pour les leaders claniques, agitant le spectre de l’identité confessionnelle menacée et répliquant le même système corrompu. Comble de l’ironie, ces réflexes de défense régénèrent les erreurs du passé qui ont coûté la vie au Liban, décrété l’exil des jeunes et la séparation parents-enfants.
Aujourd’hui le Liban est un État failli, un grand village dépourvu d’infrastructures noyé dans l’obscurantisme et l’obscurité. Avariés par la gabegie, tous les secteurs se sont complètement effondrés. La corruption n’épargne que le soleil du Liban qui rayonne été comme hiver, que son ciel bleu malgré tous les crimes qu’il couve. Les Libanais.es en quête perpétuelle d’excellence paient des sommes faramineuses pour couvrir les frais d'études de leurs enfants. Ils ne savent pas qu’ils reproduisent parallèlement le cercle vicieux qui propulsera les jeunes talents vers l’exil, pour fuir la faillite du pays d’origine et éviter d’en être les victimes.
«Un dictateur n’est qu’une fiction. Son pouvoir se dissémine en réalité entre de nombreux sous-dictateurs anonymes et irresponsables, dont la tyrannie et la corruption deviennent bientôt insupportables», affirme Gustave Le Bon.
Il ne suffit pas de se laver les mains pour éviter la contagion du virus ô corruption. Il faut subir un vrai lavage du cerveau et se vacciner à plusieurs doses contre l’endémie de la roublardise. En d’autres termes, il est urgent d’empêcher la prolifération de ce germe qui détruit tout sur son passage.
Face à l’immunité politique dont jouissent les dirigeants corrompus jusqu’à la moelle, l’un des moyens du salut serait la prévention de la contre-morale libanaise, qui prétend à tort protéger les uns et les autres. L’idéal serait de former des hôtes non favorables à la propagation de la prétendue débrouillardise, forme initiale du virus et de provoquer ainsi le dysfonctionnement du fléau. Les ressources nouvelles de ces hôtes formeront ainsi un vrai système d’immunité acquis à l’autorégulation.
«Qui vole un œuf vole un bœuf»
Qui aurait cru qu’à la racine du mal qui a provoqué la banqueroute des ministères mines d’or, qui a démoli Beyrouth, calciné les silos, le port et les épargnes bancaires, se cache un virus toujours en mutation et de plus en plus virulent, ô corruption, un ennemi qu’on a hissé au rang d’ami, un vice érigé en vertu! Ô corruption a infecté la plupart des foyers à cause d’une relation tout à fait légitime, rarement «contre-nature» entre la débrouillardise et la roublardise en milieu libanais.
Faut-il remonter aux commerçants phéniciens ou plutôt aux pratiques des Ottomans au Liban, pour voir éclore ses premiers germes? Quoi qu’il en soit, la débrouillardise inculquée aux enfants au même titre que le courage et l’hospitalité, trace son chemin insidieusement, hypocritement, avant de se développer en roublardise et d’attaquer tout le système de valeurs en se répliquant à l’infini. Elle se développe dans les comportements illicites devenus la norme et altère les mœurs publiques. Ses variants préoccupants et virulents trouvent leurs meilleurs hôtes chez la milice, les politicards, les chefs claniques et la ploutocratie qui ont avalé les avoirs des épargnants pour se refaire une santé à l’extérieur du pays, faisant fi des lois, des décrets et de la morale.
Ô corruption se transmet de génération en génération, mais trouve sa forme la plus coriace et la plus achevée chez les seigneurs de guerre troquant leurs treillis contre des costumes-cravates et leurs armes contre des porte-documents.
Dès leur plus jeune âge, les enfants sont classés en deux catégories: d’une part, les débrouillards jouissant de facto d’un grand potentiel de roublardise, appelée à tort «bravoure» en franco-libanais, probablement par euphémisme; d’autre part les «idiots» ne sachant pas manipuler les codes de la fourberie pour se tirer d’affaire.
L’initiation des jeunes apprentis se fait paradoxalement à la maison, avec les meilleures intentions, par la bouche des parents et des proches: «Profitez des opportunités. Ne vous laissez pas marcher sur les pieds, ne soyez ni naïfs ni candides puisque la transparence est synonyme d’échec au Liban. Voyez le 'brave' fils de X, comment il s’est débrouillé pour arriver à ses fins. Il s’est fait une situation, a gravi tous les échelons grâce à sa roublardise. Pensez au parcours du rejeton de Y. Ce n’était qu’un sale petit morveux affamé dans sa baraque. Aujourd’hui, il mange à s’en faire creuser la panse et se pique de posséder des castels.»
L’injection de ces success stories ou exemples de réussites se fait à longueur de journée et à doses constamment renouvelées.
Ce que les éducateurs oublient de mentionner, les voisins et les amis se le communiquent malicieusement: «Si tu comptes enregistrer un bien immobilier, prévois d’abord un pot-de-vin au fonctionnaire, sinon tu risques de ne pas avancer d’une semelle, de poireauter dans une attente éternelle.»
Dans un pays laminé par la corruption, où les criminels et les voleurs sont promus au rang de dirigeants et font la pluie et le beau temps, il ne faut point sous-estimer ces recommandations qui tiennent lieu de formations. Le message transmis est clair et démontré: si tu t’abstiens de soudoyer les médiateurs pour arriver à tes fins, sache que tu es condamné à faire partie des ânes, pendant que les autres règnent en maîtres absolus et amassent des fortunes. Rêver à la justice, c’est croire au père Noël et construire des châteaux en Espagne.
Ce que dit Amiel s’applique parfaitement au Liban. «En ce monde, la fourberie et l’apparence triomphent et triompheront toujours.»
Les réflexes de défense ou les raisons de l’autosuicide
Comment une société attachée à la religion, donc normalement à la dimension transcendante du vécu et de l’expérience, peut transgresser l’éthique dans sa forme la plus élémentaire et ériger le vice en vertu?
«Ne semez pas la corruption sur terre», dit le Coran. De même, le pire exemple de corruption se trouve illustré dans la trahison de Jésus-Christ mené à la crucifixion, contre trente deniers.
Si le vice dénote l’irresponsabilité, il n’en demeure pas moins que c’est un acte réfléchi. La personne qui se veut «brave» selon l’acception libanaise, autrement dit qui ose transgresser les règles pour tirer la couverture à soi, a toujours été saluée dans son milieu, voire encensée.
Comment comprendre qu’un peuple puisse être pris à son propre jeu, tomber dans ses propres filets en diffusant l’apprentissage de la roublardise, qui creusera sa propre tombe, dont le chef-d’œuvre de corruption est l’hécatombe portuaire, orchestrée par les politicards mafieux?
L’inexistence d’un système étatique fonctionnel pousse l’individu à protéger ses intérêts individuels coûte que coûte, au détriment du bien commun qui se réduit en l’occurrence à un non-sens. Cela est commandité par des réflexes de défense qui ameutent et affolent tout l’organisme, poussant les Libanais.es à voter pour les leaders claniques, agitant le spectre de l’identité confessionnelle menacée et répliquant le même système corrompu. Comble de l’ironie, ces réflexes de défense régénèrent les erreurs du passé qui ont coûté la vie au Liban, décrété l’exil des jeunes et la séparation parents-enfants.
Aujourd’hui le Liban est un État failli, un grand village dépourvu d’infrastructures noyé dans l’obscurantisme et l’obscurité. Avariés par la gabegie, tous les secteurs se sont complètement effondrés. La corruption n’épargne que le soleil du Liban qui rayonne été comme hiver, que son ciel bleu malgré tous les crimes qu’il couve. Les Libanais.es en quête perpétuelle d’excellence paient des sommes faramineuses pour couvrir les frais d'études de leurs enfants. Ils ne savent pas qu’ils reproduisent parallèlement le cercle vicieux qui propulsera les jeunes talents vers l’exil, pour fuir la faillite du pays d’origine et éviter d’en être les victimes.
«Un dictateur n’est qu’une fiction. Son pouvoir se dissémine en réalité entre de nombreux sous-dictateurs anonymes et irresponsables, dont la tyrannie et la corruption deviennent bientôt insupportables», affirme Gustave Le Bon.
Il ne suffit pas de se laver les mains pour éviter la contagion du virus ô corruption. Il faut subir un vrai lavage du cerveau et se vacciner à plusieurs doses contre l’endémie de la roublardise. En d’autres termes, il est urgent d’empêcher la prolifération de ce germe qui détruit tout sur son passage.
Face à l’immunité politique dont jouissent les dirigeants corrompus jusqu’à la moelle, l’un des moyens du salut serait la prévention de la contre-morale libanaise, qui prétend à tort protéger les uns et les autres. L’idéal serait de former des hôtes non favorables à la propagation de la prétendue débrouillardise, forme initiale du virus et de provoquer ainsi le dysfonctionnement du fléau. Les ressources nouvelles de ces hôtes formeront ainsi un vrai système d’immunité acquis à l’autorégulation.
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