Dar Sader célèbre son cent-soixantième anniversaire

C’est l’histoire de quatre générations de la famille Sader, de leur travail acharné, de leur engagement honoré pour préserver et développer ce précieux héritage, qu’ils ont rehaussé par de grands succès; l’histoire de plus d’un siècle et demi voué aux belles-lettres et aux publications juridiques.
Dans les années 1970, Dar Sader, la plus ancienne maison d’édition libanaise et arabe, a reçu le prix Roi Fayçal de littérature décerné à l’ouvrage Nafah al-Tayyib dans la collection Andalousie, écrit par le Dr Ihsan Abbas. En 1999, elle a été honorée par Dr Sultan Ben Mohammed Al-Qassimi, le souverain de Sharjah, et, en 2014, par le ministère libanais de la Culture à l’occasion de ses 150 ans; sans oublier les dizaines de distinctions reçues lors des innombrables salons du livre du monde arabe. Les livres de Dar Sader sont distribués partout, même en Afrique du Sud et au Japon. Ils sont présents aujourd’hui au Salon du livre de Bruxelles et au fameux Der Divan, à Berlin.
La saga familiale Sader
Au milieu du XIXe siècle, le fondateur, Ibrahim Sader, arriva au Souk Abou Nasr, à Beyrouth, en tant qu’invité dans l’une des voûtes du couvent Saint-Élias. Il se consacra d’abord à la vente de chapelets, souvent en pierres précieuses, avant d’acheter avec ses économies une petite imprimerie et d’entamer sa carrière avec la publication de petits bréviaires. En cette période, le concile qui avait eu lieu au couvent Notre-Dame de Louaizé exigea la modernisation des institutions maronites et privilégia l’excellence de la culture. Il ordonna à ce titre de maîtriser la langue arabe. Ibrahim Sader apporta sa pierre à l’édifice en publiant l’un des premiers livres de grammaire, écrit par l’évêque Germanos Farhat (1670-1732), Bahth al Matalib.
Le pionnier a eu deux enfants: Salim, né en 1868, et Youssef, né en 1870. L’héritage d’Ibrahim Sader a donné naissance à deux institutions parallèles qui collaboreront: d’une part, la librairie de Salim, d’autre part, l’imprimerie de Youssef. La librairie deviendra la Maison Sader, ou Dar Sader, sous la direction de Salim et de son propre fils Antoun, puis de la quatrième génération orientée vers les belles-lettres et le patrimoine arabe. Youssef, quant à lui, a développé l’imprimerie scientifique qui devint, de son vivant, une maison d’édition de référence en matière de livres juridiques et qui se développera avec ses petits-fils.

Antoun était l’ami des intellectuels et des écrivains de l’époque qui se retrouvaient dans sa librairie. Il a publié les rééditions de Khalil Gibran et beaucoup de chefs-d’œuvre de la littérature d’immigration comme ceux de Mikhaïl Naimy et d’Elia Abou Madi. Il a édité Molière, traduit par Élias Abou Chabké, et Shakespeare, adapté par Amine Ghorayeb. Après le décès d’Antoun en 1983, ses fils Nabil, Ibrahim et Salim ont décidé d’abolir les différents noms sous lesquels ils étaient connus pour ne garder que Dar Sader. Aujourd’hui, ils sont secondés par leurs enfants qui commencent à prendre la relève et qui constituent la cinquième génération. Avant de mourir, Youssef a remis le flambeau à son fils Adib qui dirigera la maison jusqu’à son décès. Son fils Joseph, qui lui succédera, baptisera l’institution «Sader al-huqūqiyat», considérée aujourd’hui comme l’une des maisons d’édition les plus sollicitées dans le monde de la juridiction arabe.

Entretien avec Nabil Sader et sa fille Sara
Avec l’édification et l’essor de l’AUB en 1866 et de l’USJ en 1875, Dar Sader assurait les livres universitaires et scolaires dans les différents domaines du savoir et des sciences, en arabe essentiellement, mais aussi en français. Docteure Hala Bizri, qui a soutenu une thèse sur les livres et l’édition au Liban durant la première moitié du XXe siècle, atteste que Les cents petits contes, édités en 1902 et dont l’auteur n’est autre que Salim Ibrahim Sader, ont été publiés en français chez Dar Sader, avant le mandat français au Liban. Nabil Sader, ingénieur civil diplômé de l’AUB, souligne à Ici Beyrouth la contribution de ses frères, Ibrahim, professeur d’ingénierie électronique, et Salim, diplômé en informatique: «Nous sommes tous les trois passionnés par l’édition et très fiers de cet immense legs que nos ancêtres pionniers nous ont transmis». «Mikhaïl Naimy en personne a écrit un hommage posthume à mon père, Antoun Sader, dans le quotidien An Nahar», renchérit-il. «Nous étions les premiers à imprimer Khalil Gibran et nous avons payé des droits d'auteur au comité Gibran jusqu'en 1986, lorsque ses œuvres sont devenues publiques, 50 ans après sa mort», enchaîne-t-il. Elia Abou Madi, qui publiait son Journal dans l’hebdomadaire Al Samir aux USA, a été publié par Dar Sader.  de même qu’Amine el-Rihani, Amine Nakhlé, Elias Abou Chabké, Karam Melhem Karam, Kamal Joumblatt – dont on avait publié Adab el Hayat (l’Éthique de la vie) et Thawra fi Alam al Insan (Une révolution dans le monde de l’homme) et Camille Chamoun dont on avait édité Marahel al-Istiklal (Les étapes de l’Indépendance)… «On a ouvert également une branche en Irak, du temps de Saddam Hussein dont j’ai publié les romans, signés de façon anonyme, les textes m’étant parvenus par le biais du ministère irakien de la Culture: Al Qalaa-al Hassina (Le château-fort); Rijal wa Madina (Des hommes et une ville); Zabida wa al-Malek (Zabida et le roi)».
Sara Sader précise à Ici Beyrouth que, contrairement aux autres maisons d’édition, Dar Sader a imprimé une version non censurée des Mille et une nuits depuis plus de cent ans, comprenant des images du peintre et illustrateur orientaliste français Léon Carré. Ce livre est l’un de nos best-sellers et notre version des Mille et une nuits est classée comme œuvre de référence dans le monde arabe. Une éthique inébranlable régit l’institution Sader, qui se transmet de génération en génération et continue aujourd’hui avec la cinquième génération tout aussi éprise d’excellence.
 
Commentaires
  • Aucun commentaire