Où vit-on un ex-président de la République libanaise et deux papabiles (i.e. présidentiables) s’incliner devant l’autel du Seigneur et faire leurs dévotions dans une ambiance de charité, de pardon mutuel et d’amour fraternel? Je vous le donne en mille! La scène mérite d’être rapportée quand on sait combien les candidats maronites s’écharpent et jouent du coude pour s’attribuer la place de choix à la tête de l’État.
Ces agapes chrétiennes s’étaient déroulées à Brad, en Syrie, en février 2010. Étaient arrivés sur les lieux, par avion spécial affrété par le président syrien, l’ancien président Émile Lahoud, le général Michel Aoun, le ministre Gebran Bassil, les députés Walid Khoury, Fadi Aouar, Naji Gharios, Ziad Assouad, Nabil Nicolas, Hikmat Dib et Simon Abi Ramia, Émile Rahmé, ainsi que les anciens députés Sélim Aoun, Émile Lahoud et Marwan Abou Fadel. Ils furent aussitôt rejoints par le leader des Marada, Suleyman Frangieh.
Tout ce beau monde s’était donc retrouvé à Brad pour commémorer le 1600e anniversaire de la mort de saint Maron l’ermite, Brad étant une localité au nord-ouest d’Alep où l’on trouve les vestiges de l’église Saint-Julien et d’un large monastère. Dès décembre 2008, et à l’initiative du général Aoun, initiative encouragée par les autorités syriennes, une rumeur persistante laissait entendre qu’on y aurait découvert le tombeau de Mar Môroun (1).
La date de ladite découverte n’a jamais été révélée et pourtant elle a une telle signification historique et symbolique qu’elle aurait mérité un peu plus de tapage médiatique! À un membre «proéminent» du CPL, j’avais posé la question pour savoir depuis quand les vestiges de la localité de Brad renferment les restes de notre saint éponyme. Sa réponse fut péremptoire, voire cinglante: «Mais depuis toujours, revoyez donc vos classiques!»
Je ne me suis pas empressé de suivre le conseil. Mais, depuis le temps, j’ai relu Théodoret de Cyr et Eusèbe de Césarée, j’ai compulsé les œuvres de mes compatriotes Sionita et Aldoensis, j’ai ratissé large en consultant Fauste Nairon et Hesronita, et je n’ai trouvé aucune mention de l’emblématique Brad. C’est donc par hasard, en feuilletant le livre d’images de la «Pentalogie Maronite», du regretté abbé Youakim Moubarac, que j’ai découvert le pot aux roses, ce dernier ayant rapporté que le père Butrus Daou aurait «proposé» Brad comme lieu de sépulture de notre saint patron. Confirmation de mes doutes me fut donnée par le père Joseph Moukarzel O.L.M., toujours partant pour traquer les légendes et remettre en cause les acquis.
À quelles machinations a-t-on donc eu recours pour façonner aux maronites libanais un «mihrab» en République arabe syrienne! Car il n’y a jamais eu de découverte à Brad. Il y eut juste l’invention d’une légende par le père Daou, invention amplifiée et relayée par le Tayar al-Watani à des fins douteuses. Nous sommes en pleine fantasmagorie. Alors, pour démêler l’écheveau, nous allons procéder chronologiquement et refaire les cinq étapes constitutives du mythe, les deux premières relevant d’écrits hagiographiques et les trois suivantes du tourisme politico-religieux:
1-Théodoret de Cyr (†vers 458), auteur de la seule notice biographique relative à Mar Môroun, dit qu’à sa mort notre saint patron fut enterré, après quelques péripéties, dans un vaste tombeau, par les soins des habitants d’un bourg limitrophe fort peuplé. On peut, en comparant certaines dates, considérer que son décès remonte à l’an 410, mais cela reste une date conventionnelle. Néanmoins, nulle mention de la localité de Brad!
2- Quinze siècles de silence, et soudain le père Butrus Daou nous annonce que c’est à Brad qu’est enterré saint Maron (2). Les preuves qu’il avance en l’an de grâce 1970 ne sont guère probantes, d’autant moins que la tradition est muette sur la question. Mais, emporté par l’enthousiasme, le révérend père pousse l’outrecuidance scientifique jusqu’à désigner un sarcophage, traînant dans les ruines, comme celui qui reçut les restes de l’anachorète. Ce fut l’élément clé autour duquel pouvait se tisser la toile du fantasme collectif et des représentations idéalisées. Cependant, cette découverte insolite ne suscita en son temps ni débat ni levée de boucliers. Le père Daou, dans sa hantise des origines, ne pouvait imaginer l’usage qu’allait faire de cette pseudo-découverte un courant patriotique libanais.
Notons, pour la bonne règle, que trois franciscains saisis du même zèle confirmèrent la thèse du père Daou (3). C’était ne pas compter avec l’intervention d’Alexis Moukarzel, qui réfuta leurs arguments en un débat public.
Mais, n’allons pas aussi loin et contentons-nous de l’affirmation de l’abbé Daou qui, de tombée dans l’oubli, allait refaire surface quarante ans après. Elle allait reprendre du service, et pour la bonne cause. Probablement qu’un lettré (?) de l’entourage de Michel Aoun lui a fait entrevoir l’intérêt qu’il aurait à se servir de la carte de Brad au moment de renouer avec la Syrie. Une réconciliation trop abrupte entre le général exilé et Damas aurait ébranlé la confiance des troupes aounistes en leur chef; ces dernières étaient, après tout, braquées contre le régime d’Assad qui, après les avoir sauvagement bombardées des années durant, avait pris d’assaut le palais de Baabda et poussé à l’exil leur leader adoré. Le renversement de vapeur devait bien valoir une messe aux environs d’Alep. L’ennemi d’hier allait offrir aux «orangistes» un pèlerinage aux sources! De quoi panser les vieilles blessures et surtout faire rire sous cape les responsables baathistes.
3- Une première visite
Rafic Hariri ayant été assassiné et l’armée syrienne s’étant retirée du Liban, l’ex-commandant en chef de l’armée, rentré au pays et bénéficiant d’un tsunami populaire, entama en décembre 2008 une visite à Damas. Il y annonça qu’il allait se recueillir à Brad sur la tombe de saint Maron, et qu’une messe, à laquelle les fidèles étaient conviés, allait y être célébrée. Paul Khalifeh n’hésita pas à parler d’un choix courageux: à ses yeux, Michel Aoun venait d’opérer un repositionnement stratégique destiné à «ancrer les chrétiens dans leur environnement arabe» (4). Frédéric Pichon nous confirma que «c’est d’ailleurs la première fois depuis la découverte de la tombe de saint Maron qu’une messe est célébrée en ce lieu, les autorités syriennes ayant toujours refusé d’accorder un permis pour l’édification d’une église. L’endroit qui était devenu une décharge à ciel ouvert avait été soigneusement nettoyé pour l’occasion et les populations kurdes éloignées» (5).
«La découverte d’une tombe ??? Plutôt une découverte instrumentalisée pour cautionner un revirement spectaculaire de politique et une alliance avec le régime liberticide de Damas. C’était cousu de fil blanc. Mais une brèche venait d’être ouverte: les ambitieux et les quémandeurs allaient s’y engouffrer, sans état d’âme, pour prêter allégeance à Bachar al-Assad.
4- Une deuxième visite
Car les visites n’allaient pas s’interrompre, et nous avons donné plus haut la liste de ceux qui s’étaient pressés à Brad, en février 2010, pour commémorer le 1600e anniversaire de la mort de saint Maron.
Navrante obséquiosité et payante servilité, cette belle brochette de personnalités, en se rendant en Syrie, cherchait à boycotter la grand-messe qui se tenait au Liban et que le patriarche Sfeir célébrait selon l’usage. Ce qui avait donné aux yeux de tous l’image d’une communauté maronite divisée! À ceux qui le lui reprochèrent, l’ancien commandant en chef répliqua qu’il n’avait cure des «propos superficiels et empoisonnés». Rappelant que les maronites célèbrent cette fête aux quatre coins du monde, de l’Amérique à l’Australie, il assura à ses interlocuteurs que la messe de Brad n’annule pas les autres messes. Puis, dans un élan d’œcuménisme, il appela à adopter une «vision universelle du christianisme», lui qui, sur la trace des premiers chrétiens, voulait raviver la flamme de la chrétienté orientale des origines.
5- Une troisième visite
Un usage, une coutume ou un pèlerinage ne peuvent être discontinués. Et le général Aoun n’allait pas faillir à son devoir religieux annuel. En février 2011, il assista, à la tête d’une délégation renouvelée, à l’inauguration d’un parc historique qui allait regrouper les «vestiges de la première église fondée par saint Maron en 398» (6). À l’issue de l’office divin à Brad, il déclara que le «pèlerinage aux sources était devenu une réalité pour les chrétiens du Machreq». L’évêque d’Alep renchérit en annonçant que l’État syrien avait offert à la communauté maronite un terrain pour y construire une église. Ce qui permit à l’ex-ennemi juré des Syriens d’enchaîner en ces termes: «Ce projet est désintéressé… Il consiste à vous (les maronites) sortir d’un isolement qui vous a été imposé et d’un suivisme à l’égard de ceux qui ont fait commerce de vos destinées; il cherche à vous ramener à un environnement qui, au départ, était le vôtre, et où se sont rencontrées les deux religions chrétienne et musulmane.» Ce disant, l’ancien commandant en chef de l’armée libanaise pensait pouvoir développer une culture nouvelle qui détruirait tout ce qui se dit ou s’écrit sur le choc des civilisations et des cultures, à savoir «une civilisation humaniste commune» (7). C’est ainsi que le général définissait les contours de sa vision d’un christianisme oriental authentique et étoffait sa conception de «l’alliance des minorités». À cet effet, il n’avait pas hésité à enrôler un saint du temps jadis dans une campagne qui allait le porter à la magistrature suprême.
En guise d’épilogue, on peut gloser sans fin sur le point de départ et la perpétuation d’une légende mais la réalité est là: les combats fratricides de 2013 entre Syriens et les bombardements de l’aviation turque en 2018 ont dévasté les lieux. Irons-nous encore à Brad si le sarcophage est détruit comme on nous l’a rapporté? Probablement, oui, même s’il ne reste que des gravats. Je dirais même plus, Brad restera pour les nostalgiques un lieu de mémoire où le souvenir du général sera associé à la vénération du saint. Les légendes ont la vie dure et les hommes n’arrêtent pas d’inventer les mythes, à charge pour eux d’y croire.
Youssef Mouawad
(1) Frédéric Pichon, Les Cahiers de l’Orient, N°93, pp. 71-75.
(2) Butrus Daou, Tarikh al-Mawarina, Tome I, 1970, pp.68s. et Tome II, 1972, pp 182s.
(3) I. Pena, P. Castellana et R. Fernandez, Les reclus syriens,1980, p. 34.
(4) Paul Khalifeh, Michel Aoun prône en Syrie, l’ouverture et l’amitié, RFI, 4 décembre 2008.
(5) Frédéric Pichon, op. cit.
(6) L’Orient-Le Jour, 9 et 11 février 2011.
(7) Ibid
Ces agapes chrétiennes s’étaient déroulées à Brad, en Syrie, en février 2010. Étaient arrivés sur les lieux, par avion spécial affrété par le président syrien, l’ancien président Émile Lahoud, le général Michel Aoun, le ministre Gebran Bassil, les députés Walid Khoury, Fadi Aouar, Naji Gharios, Ziad Assouad, Nabil Nicolas, Hikmat Dib et Simon Abi Ramia, Émile Rahmé, ainsi que les anciens députés Sélim Aoun, Émile Lahoud et Marwan Abou Fadel. Ils furent aussitôt rejoints par le leader des Marada, Suleyman Frangieh.
Tout ce beau monde s’était donc retrouvé à Brad pour commémorer le 1600e anniversaire de la mort de saint Maron l’ermite, Brad étant une localité au nord-ouest d’Alep où l’on trouve les vestiges de l’église Saint-Julien et d’un large monastère. Dès décembre 2008, et à l’initiative du général Aoun, initiative encouragée par les autorités syriennes, une rumeur persistante laissait entendre qu’on y aurait découvert le tombeau de Mar Môroun (1).
La date de ladite découverte n’a jamais été révélée et pourtant elle a une telle signification historique et symbolique qu’elle aurait mérité un peu plus de tapage médiatique! À un membre «proéminent» du CPL, j’avais posé la question pour savoir depuis quand les vestiges de la localité de Brad renferment les restes de notre saint éponyme. Sa réponse fut péremptoire, voire cinglante: «Mais depuis toujours, revoyez donc vos classiques!»
Je ne me suis pas empressé de suivre le conseil. Mais, depuis le temps, j’ai relu Théodoret de Cyr et Eusèbe de Césarée, j’ai compulsé les œuvres de mes compatriotes Sionita et Aldoensis, j’ai ratissé large en consultant Fauste Nairon et Hesronita, et je n’ai trouvé aucune mention de l’emblématique Brad. C’est donc par hasard, en feuilletant le livre d’images de la «Pentalogie Maronite», du regretté abbé Youakim Moubarac, que j’ai découvert le pot aux roses, ce dernier ayant rapporté que le père Butrus Daou aurait «proposé» Brad comme lieu de sépulture de notre saint patron. Confirmation de mes doutes me fut donnée par le père Joseph Moukarzel O.L.M., toujours partant pour traquer les légendes et remettre en cause les acquis.
À quelles machinations a-t-on donc eu recours pour façonner aux maronites libanais un «mihrab» en République arabe syrienne! Car il n’y a jamais eu de découverte à Brad. Il y eut juste l’invention d’une légende par le père Daou, invention amplifiée et relayée par le Tayar al-Watani à des fins douteuses. Nous sommes en pleine fantasmagorie. Alors, pour démêler l’écheveau, nous allons procéder chronologiquement et refaire les cinq étapes constitutives du mythe, les deux premières relevant d’écrits hagiographiques et les trois suivantes du tourisme politico-religieux:
1-Théodoret de Cyr (†vers 458), auteur de la seule notice biographique relative à Mar Môroun, dit qu’à sa mort notre saint patron fut enterré, après quelques péripéties, dans un vaste tombeau, par les soins des habitants d’un bourg limitrophe fort peuplé. On peut, en comparant certaines dates, considérer que son décès remonte à l’an 410, mais cela reste une date conventionnelle. Néanmoins, nulle mention de la localité de Brad!
2- Quinze siècles de silence, et soudain le père Butrus Daou nous annonce que c’est à Brad qu’est enterré saint Maron (2). Les preuves qu’il avance en l’an de grâce 1970 ne sont guère probantes, d’autant moins que la tradition est muette sur la question. Mais, emporté par l’enthousiasme, le révérend père pousse l’outrecuidance scientifique jusqu’à désigner un sarcophage, traînant dans les ruines, comme celui qui reçut les restes de l’anachorète. Ce fut l’élément clé autour duquel pouvait se tisser la toile du fantasme collectif et des représentations idéalisées. Cependant, cette découverte insolite ne suscita en son temps ni débat ni levée de boucliers. Le père Daou, dans sa hantise des origines, ne pouvait imaginer l’usage qu’allait faire de cette pseudo-découverte un courant patriotique libanais.
Notons, pour la bonne règle, que trois franciscains saisis du même zèle confirmèrent la thèse du père Daou (3). C’était ne pas compter avec l’intervention d’Alexis Moukarzel, qui réfuta leurs arguments en un débat public.
Mais, n’allons pas aussi loin et contentons-nous de l’affirmation de l’abbé Daou qui, de tombée dans l’oubli, allait refaire surface quarante ans après. Elle allait reprendre du service, et pour la bonne cause. Probablement qu’un lettré (?) de l’entourage de Michel Aoun lui a fait entrevoir l’intérêt qu’il aurait à se servir de la carte de Brad au moment de renouer avec la Syrie. Une réconciliation trop abrupte entre le général exilé et Damas aurait ébranlé la confiance des troupes aounistes en leur chef; ces dernières étaient, après tout, braquées contre le régime d’Assad qui, après les avoir sauvagement bombardées des années durant, avait pris d’assaut le palais de Baabda et poussé à l’exil leur leader adoré. Le renversement de vapeur devait bien valoir une messe aux environs d’Alep. L’ennemi d’hier allait offrir aux «orangistes» un pèlerinage aux sources! De quoi panser les vieilles blessures et surtout faire rire sous cape les responsables baathistes.
3- Une première visite
Rafic Hariri ayant été assassiné et l’armée syrienne s’étant retirée du Liban, l’ex-commandant en chef de l’armée, rentré au pays et bénéficiant d’un tsunami populaire, entama en décembre 2008 une visite à Damas. Il y annonça qu’il allait se recueillir à Brad sur la tombe de saint Maron, et qu’une messe, à laquelle les fidèles étaient conviés, allait y être célébrée. Paul Khalifeh n’hésita pas à parler d’un choix courageux: à ses yeux, Michel Aoun venait d’opérer un repositionnement stratégique destiné à «ancrer les chrétiens dans leur environnement arabe» (4). Frédéric Pichon nous confirma que «c’est d’ailleurs la première fois depuis la découverte de la tombe de saint Maron qu’une messe est célébrée en ce lieu, les autorités syriennes ayant toujours refusé d’accorder un permis pour l’édification d’une église. L’endroit qui était devenu une décharge à ciel ouvert avait été soigneusement nettoyé pour l’occasion et les populations kurdes éloignées» (5).
«La découverte d’une tombe ??? Plutôt une découverte instrumentalisée pour cautionner un revirement spectaculaire de politique et une alliance avec le régime liberticide de Damas. C’était cousu de fil blanc. Mais une brèche venait d’être ouverte: les ambitieux et les quémandeurs allaient s’y engouffrer, sans état d’âme, pour prêter allégeance à Bachar al-Assad.
4- Une deuxième visite
Car les visites n’allaient pas s’interrompre, et nous avons donné plus haut la liste de ceux qui s’étaient pressés à Brad, en février 2010, pour commémorer le 1600e anniversaire de la mort de saint Maron.
Navrante obséquiosité et payante servilité, cette belle brochette de personnalités, en se rendant en Syrie, cherchait à boycotter la grand-messe qui se tenait au Liban et que le patriarche Sfeir célébrait selon l’usage. Ce qui avait donné aux yeux de tous l’image d’une communauté maronite divisée! À ceux qui le lui reprochèrent, l’ancien commandant en chef répliqua qu’il n’avait cure des «propos superficiels et empoisonnés». Rappelant que les maronites célèbrent cette fête aux quatre coins du monde, de l’Amérique à l’Australie, il assura à ses interlocuteurs que la messe de Brad n’annule pas les autres messes. Puis, dans un élan d’œcuménisme, il appela à adopter une «vision universelle du christianisme», lui qui, sur la trace des premiers chrétiens, voulait raviver la flamme de la chrétienté orientale des origines.
5- Une troisième visite
Un usage, une coutume ou un pèlerinage ne peuvent être discontinués. Et le général Aoun n’allait pas faillir à son devoir religieux annuel. En février 2011, il assista, à la tête d’une délégation renouvelée, à l’inauguration d’un parc historique qui allait regrouper les «vestiges de la première église fondée par saint Maron en 398» (6). À l’issue de l’office divin à Brad, il déclara que le «pèlerinage aux sources était devenu une réalité pour les chrétiens du Machreq». L’évêque d’Alep renchérit en annonçant que l’État syrien avait offert à la communauté maronite un terrain pour y construire une église. Ce qui permit à l’ex-ennemi juré des Syriens d’enchaîner en ces termes: «Ce projet est désintéressé… Il consiste à vous (les maronites) sortir d’un isolement qui vous a été imposé et d’un suivisme à l’égard de ceux qui ont fait commerce de vos destinées; il cherche à vous ramener à un environnement qui, au départ, était le vôtre, et où se sont rencontrées les deux religions chrétienne et musulmane.» Ce disant, l’ancien commandant en chef de l’armée libanaise pensait pouvoir développer une culture nouvelle qui détruirait tout ce qui se dit ou s’écrit sur le choc des civilisations et des cultures, à savoir «une civilisation humaniste commune» (7). C’est ainsi que le général définissait les contours de sa vision d’un christianisme oriental authentique et étoffait sa conception de «l’alliance des minorités». À cet effet, il n’avait pas hésité à enrôler un saint du temps jadis dans une campagne qui allait le porter à la magistrature suprême.
En guise d’épilogue, on peut gloser sans fin sur le point de départ et la perpétuation d’une légende mais la réalité est là: les combats fratricides de 2013 entre Syriens et les bombardements de l’aviation turque en 2018 ont dévasté les lieux. Irons-nous encore à Brad si le sarcophage est détruit comme on nous l’a rapporté? Probablement, oui, même s’il ne reste que des gravats. Je dirais même plus, Brad restera pour les nostalgiques un lieu de mémoire où le souvenir du général sera associé à la vénération du saint. Les légendes ont la vie dure et les hommes n’arrêtent pas d’inventer les mythes, à charge pour eux d’y croire.
Youssef Mouawad
(1) Frédéric Pichon, Les Cahiers de l’Orient, N°93, pp. 71-75.
(2) Butrus Daou, Tarikh al-Mawarina, Tome I, 1970, pp.68s. et Tome II, 1972, pp 182s.
(3) I. Pena, P. Castellana et R. Fernandez, Les reclus syriens,1980, p. 34.
(4) Paul Khalifeh, Michel Aoun prône en Syrie, l’ouverture et l’amitié, RFI, 4 décembre 2008.
(5) Frédéric Pichon, op. cit.
(6) L’Orient-Le Jour, 9 et 11 février 2011.
(7) Ibid
Lire aussi
Commentaires