L’eau pour sauver le Liban 3/3
La résistance est un travail pluridisciplinaire. On ne peut faire face uniquement par la politique à un ennemi qui a choisi de nous soumettre par l’anéantissement de l’économie. La milice qui a choisi de soumettre le Liban s’en est prise violemment au secteur de l’énergie qui devient désormais l’une des priorités de la résistance contre l’occupant et contre un État invalide, neutralisé et complice.

Si la solution pour le Liban peut être assurée par la décentralisation fondée sur les valeurs de subsidiarité, et si cela passe par un redressement de la production énergétique selon ce même principe, il conviendrait d’exposer la réalité chiffrée sur laquelle pourraient se baser les collectivités. La capacité de production hydroélectrique est aujourd’hui connue, ainsi que sa production effective. Il est crucial désormais de considérer les données et les méthodes pour rentabiliser et booster cette richesse salutaire devenue, dans la situation d’effondrement actuel, incontournable.

Le Liban: château d’eau du Levant

Durant les années 1960, à l’époque où avaient été construites presque la totalité des centrales hydroélectriques du Liban, le projet du ministre du Plan, Maurice Gemayel, ciblait une augmentation nette de la capacité hydraulique nationale de 20 à 850 millions de m3 pour faire du Liban le château d’eau du Levant. Dans cette optique, en 1999, Fadi Comair, directeur général des ressources hydrauliques et électriques au ministère de l’Énergie et de l’Eau, a mis en place un plan décennal pour la construction de 27 barrages afin, précisément, d’atteindre l’objectif de 800 millions de m³ de stockage d’eau, assurant par là 100 mW. Toujours réduit au statut d’étude, le schéma directeur de 2012, par ce même ministère, prévoyait 32 nouvelles centrales pour 368 mW.

La planification intégrale des eaux libanaises par Maurice Gemayel.

De tout ce projet pharaonique et salutaire pour le Liban, seul le barrage de Chabrouh a vu le jour dans le haut Kesrouan, en 2007. Il n’est destiné à stocker que 8 millions de m3 d’eau par an, soit 1% de l’objectif initialement prévu par le plan décennal.

Lac de Chabrouh. ©Élie Korkomaz

Un rapport de l’Université américaine de Beyrouth, réalisé en 2000, indiquait que l’exploitation des eaux du Liban peut être maximisée de manière significative puisque sur les 8,6 milliards de m3 que représentent les précipitations annuelles moyennes, moins de 2 milliards de m3 sont exploités chaque année.

C’est la conjonction des projets hydroélectriques d’envergure, avec la nouvelle tendance de la petite hydraulique (c’est-à-dire inférieure à 10 mW) et de la micro hydraulique (inférieure à 1 mW) qui optimise les résultats pour répondre aux besoins de certaines collectivités. Il est fort regrettable que ce champ ne reçoive pas l’attention méritée ni au niveau national ni par les instances internationales.

Il est vrai que la puissance maximale que l’énergie hydroélectrique pourrait assurer ne correspondrait qu’au cinquième des besoins énergétiques du pays, mais c’est dans les conditions actuelles d’effondrement mortel que la nécessité d’une solution, aussi modeste soit-elle, se fait si cruellement sentir, car elle serait en mesure de nous épargner le pire.

Bcharré. ©Rami Rizk

Les chiffres de la petite hydraulique

Selon le Rapport mondial sur le développement de la petite hydraulique, réalisé conjointement en 2016 par l’Organisation des Nations unies pour le développement industriel (Onudi) et le Centre international sur la petite hydraulique (CIPH), la petite hydraulique ne constitue qu’environ 1,9% de la capacité mondiale totale en énergie, 7% de la capacité totale en énergie renouvelable et 6,5% de la capacité totale en hydraulique.

Même si elle est encore à ses débuts et qu’elle est appelée à se développer, elle ne représentera jamais plus qu’une faible portion des besoins au niveau mondial. Cela dit, pour le Liban, petit pays montagneux, riche en eau et en dénivelés, et traversant une crise économique généralisée, la solution hydroélectrique doit être mise à profit au plus vite, en commençant par la réhabilitation immédiate des 18 centrales hydrauliques déjà existantes afin de les rendre opérationnelles.

Cependant, en l’absence d’un État et de ses institutions, il n’est plus possible d’envisager d’autres projets de barrages de grande envergure. Or, à juste titre, ces derniers soulèvent des polémiques légitimes relevant des questions de séismologie, d’impact environnemental et de préservation du patrimoine. La subsidiarité qui rend le pouvoir de décision et d’action aux collectivités, telles que les municipalités ou les unions municipales, permet la réalisation de projets à plus petite échelle.

Il s’agit donc de mettre en place des structures de coordination entre les collectivités et le ministère de l’Énergie et de l’Eau afin d’éviter toute contradiction avec son schéma directeur de 2012 (confirmé en 2018). Les municipalités pourraient passer à l’exécution graduelle des projets les plus abordables financièrement.


Schéma directeur hydroélectrique du Liban, 2012.
©Ministère de l’Énergie et de l’Eau – Direction générale des Ressources hydrauliques et électriques

Le mécanisme hydroélectrique

Le processus est simple. Il s’agit de convertir l’énergie potentielle des chutes d’eau en énergie cinétique. Or, en nous basant sur les données scientifiques de la petite hydraulique (inférieure à 10 mW), nous savons que le faible débit des rivières peut être compensé par l’importance du dénivelé. Ceci correspond soit à la hauteur de la chute d’eau à la verticale, soit à la hauteur parcourue par la trajectoire de l’eau. C’est ainsi que des petits bassins aménagés à des hauteurs significatives par rapport à la centrale en contrebas peuvent assurer des résultats satisfaisants. Ce genre d’installation est compatible avec les données du Liban où les débits sont faibles et où les dénivelés sont importants. Il est aussi conciliable avec les budgets des collectivités si celles-ci venaient à bénéficier d’une sérieuse politique de décentralisation.

Une compensation par recyclage

Sachant qu’une partie de ces eaux serait soustraite à la consommation quotidienne, ceci nécessiterait un travail de compensation. La réponse à ce problème réside dans le recyclage des eaux usées, qui devrait aider à couvrir les besoins actuels qui s’élèvent à l’échelle nationale à un milliard de m3 d’eau par an pour l’agriculture et pour la consommation. Or, pour une union municipale, ceci devrait être de l’ordre du possible puisqu’une station d’épuration pour une population importante qui s’élève à 50.000 habitants ne dépasse pas les 10 millions de dollars lorsqu’elle ne déambule pas par les méandres de l’État central. Une telle somme peut être obtenue par les systèmes de jumelage ou d’aide internationale.

Une turbine pour 125 foyers

Imaginons des microcentrales dispersées dans les vallées auprès des villages qui vivent aujourd’hui sans électricité, poussant leurs habitants à l’émigration. De telles centrales, munies d’une seule turbine, ne produiraient chacune que 1 mW au meilleur des cas. Pour se faire une idée de leur puissance, la formule est simple. Il suffit de multiplier le débit du cours d’eau par 7 fois la hauteur du dénivelé. Donc, pour un débit moyen de 350 L/s et pour une hauteur de chute de 40m, on obtiendrait 350 x 40 x (7/1000000) = 0,1 mWh (mégawatt heure) soit 876 mW sur l’année.

Sachant qu’une famille consomme en moyenne 7 mW par an, cette microcentrale de seulement 0,1 mW, fournirait l’énergie nécessaire à 125 foyers. En y adjoignant des éoliennes sur les hauteurs et des panneaux solaires sur les écoles, fermes et dispensaires, la collectivité accèderait à une totale autonomie en énergie propre et renouvelable.


La gouvernance régionale

Le modèle de gouvernance décentralisée permettra, de surcroît, d’éviter les pertes qui, dans le réseau national actuel, s’élèvent annuellement à environ 800 millions de dollars, soit une perte de 35% due à l’état des circuits et aux distances parcourues. Ce montant n’inclut ni les fraudes, ni les camps de réfugiés.

L’entreprise générale de redressement des régions libanaises consiste en un travail conjoint entre les municipalités, les personnalités influentes en diaspora et des institutions religieuses telles que Bkerké qui, avec ses différentes éparchies locales et diasporiques, peut aider à mettre en place des jumelages avec des collectivités dans des pays amis. Contrairement aux énergies fossiles, cette méthode ne demande plus aucun financement après sa mise en fonctionnement.

Les solutions sont là, mathématiquement et scientifiquement prouvées. Par endroits, la pratique a démontré leur bon rendement. Des institutions, parfois même des villages, ont accédé à l’autonomie énergétique pour au moins le même nombre d’heures d’approvisionnement que pour le reste des citoyens qui y voient passer toutes leurs économies. Si ces premières expériences reposent sur le photovoltaïque, il ne fait pas de doute qu’en impliquant les municipalités, il serait possible de développer le domaine de l’hydraulique et d’optimiser le processus.

La résistance est un travail pluridisciplinaire. On ne peut faire face uniquement par la politique à un ennemi qui a choisi de nous soumettre par l’anéantissement de l’économie. Cette dernière, qui s’édifie sur la sécurité et l’enseignement, est par-dessus tout alimentée par les artères de l’énergie. La milice qui a choisi de soumettre le Liban s’en est prise violemment à ce secteur qui devient désormais l’une des priorités de la résistance contre l’occupant et contre un État invalide, neutralisé et complice.

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