Mohammed Taan: "Aimons-nous les uns les autres. Je suis un homme universel; contre les guerres… Peut-être parce que j’ai rencontré plein de gens dans leurs différences."

Mohammed Taan est auteur et médecin chirurgien. Ses romans sont un mélange de réel et de fiction; "Il y a toujours un peu de l’auteur qui se verse sur les papiers, même à son insu", dit-il. Dans cette entrevue, il se penche pour Ici Beyrouth sur ses sujets de prédilections et ses pensées.

Dans vos écrits, on remarque le mélange de cultures. Pouvez-vous nous en parler?

Je suis libanais. Être libanais veut dire être citoyen universel. Quand on rencontre ces Libanais éparpillés dans le monde, cela fait partie de notre personnalité; le fait d’être universel est acquis dans nos chromosomes. Être médecin m’a permis de mettre à profit ce sentiment humaniste que je porte en moi. Cela m’a poussé à aller chercher l’autre, même très loin; en Afghanistan, au Pakistan, au Maroc, en Afrique, au Sénégal… Mon premier roman relate l’histoire des Libanais qui ont débarqué au Sénégal en début du XXe siècle vers 1900.

Croyez-vous à un monde humain sans limites? Qu’est-ce qui empêcherait l’homme d’aller vers l’autre?

Je crois qu’on est en train de perdre cet élan vers l’autre en ce moment. C’est ce qu’on appelle la globalisation ou la mondialisation. Un ami au Nigéria a réservé sa place à 35.000 dollars pour la lune. Autant dire que la Terre n’est pas limitée; la conquête de l’espace a rapetissé le globe terrestre. J’habite au Nigéria, je suis actuellement en Égypte et dans deux jours je serai à Beyrouth. L’évolution de moyens de transport et la fréquence des voyages a fait que le globe terrestre est devenu un petit quartier dans l’univers.

Aller vers l’autre quand il est tout près est encore plus difficile que de voyager. Qu’est-ce que vous en pensez?

Absolument; la preuve est que nous avons enduré quinze ans de guerre civile. C’est l’exemple frappant de cette contradiction. Cela est dû à la nature humaine. Dans mon premier roman, je mets en évidence que l’être humain est le seul qui tue sa propre race. Les animaux font une intimidation pas plus.

Pensez-vous que l’écriture est une arme pour changer les choses?

Comme moyen de communication, bien sûr. La télévision aussi… Cela permet d’avancer une opinion différente pour les récepteurs. Actuellement, je suis par exemple en train d’écrire un livre sur les fausses vérités connues sur l’islam.

Être médecin et écrivain en même temps est un choix de vie. Comment en êtes-vous venu à ce choix?

Cela se complète. Je ne suis pas un cas insolite; plusieurs médecins à travers le monde se sont convertis en écrivains. J’adore écrire et la chirurgie est ma passion. J’ai alors pu combiner les deux jusqu’à il y a un, deux, trois ans où j’ai décidé de prendre plus de temps pour l’écriture. Les deux métiers ne se contredisent pas du tout. Un chirurgien a un profil psychologique humaniste et sensible. C’est cette personnalité-là qui le pousse à écrire.

Pourquoi C’est la Faute à Flaubert?

Ce livre a été édité en Égypte, mais nous avons gardé le même titre – décision de l’éditeur. Lors de la Révolution française dans Les Misérables, Gavroche fredonnait "c’est la faute à Voltaire". Dans ce roman, Flaubert est homosexuel et sa faute est là; bien sûr, il n’en est pas responsable puisque Dieu l’a créé ainsi. C’est un clin d’œil à un chant connu lors de la Révolution française, une sorte d’adaptation.

Quel est donc votre but dans ce récit?

Je voulais en effet mettre en valeur le petit-fils de Mohamed Ali qui est tari par l’histoire. Je voulais montrer qu’il avait gouverné quartre ans et qu’il a eu la chance d’être très musulman avec les Français. J’ai été victime d’une injustice et cela me pousse à lui rendre justice. Dans sa vie, Abbas Hilmi avait rencontré Flaubert. C’est une rencontre historique. Gustave Flaubert est venu en Égypte, mais on n’a jamais connu la raison de ce voyage. Pour moi, la logique de ce voyage-là, c’était pour satisfaire son homosexualité puisqu’en Égypte, il y avait de la liberté dans ce sens. Il devait aussi effectuer le voyage de la Perse pour se recueillir auprès de Shams el-Tabrizi qui lui aussi, paraît-il, était homosexuel. Mon roman est une fiction.

Dans votre roman, Le Sayyed de Bagdad, vous dites: "Je reprends le Cid à Pierre Corneille." Pouvez-vous nous l’expliquer?

Sur la couverture, il y a le Sayyed. En discutant avec l’éditeur en France, il a décidé de le garder parce qu’évocateur. Nous nous sommes mis d’accord de mettre sur la toute première page l’explication du Sayyed: le Cid. Le Cid de Corneille c’est le Sayyed.

Quelle est votre source d’inspiration?

J’écris mes convictions; je développe des sujets qui m’inspirent. En ce qui concerne Khawaja, c’est une personne que j’ai rencontrée, Joseph el-Boustany; c’était mon voisin de palier à Beyrouth. Je l’ai soigné en tant que médecin et il est mort entre mes mains d’un cancer, à l’hôpital américain de Beyrouth. J’ai ressenti son histoire et l’ai vécue. Voilà pourquoi je l’ai écrite. Je suis un des héros de Khawaja. Mes souffrances m’inspirent.

Avez-vous un message particulier à transmettre à travers vos écrits?

Aimons-nous les uns les autres. Je suis un homme universel; contre les guerres… Peut-être parce que j’ai rencontré plein de gens dans leurs différences. Le but n’est pas de parvenir par tous les moyens, mais de respecter ses convictions; être sincère avec soi-même pousse à bien écrire.