Réalisé par Géricault entre 1818 et 1819, Le Radeau de la Méduse perdure à travers le temps et s’incruste sur le mur du Louvre, comme un hommage indélébile au Romantisme. Cette immense toile de 5 mètres sur 7 retrace une scène bouleversante avec une lueur d’espoir. Fait divers qui avait marqué la France, ce drame de la frégate La Méduse en 1816, échouée au large de la Mauritanie avec à son bord près de 400 hommes ne laisse pas indifférent Théodore Géricault. Il se saisit de son pinceau et entreprend lui aussi un long voyage intérieur, encore plus long que ces treize jours de calvaire sur le radeau de la faim, de la soif… et de la déshumanisation.

Les coulisses du radeau

Le Radeau de la Méduse est un témoignage de vie… ou de mort. Il relate l’histoire de 150 marins, subordonnés et opposants politiques, abandonnés à la mer par leur commandant royaliste sur un radeau de fortune. Après s’être entredéchirés et entredévorés pour survivre, les rares rescapés furent sauvés par un autre bateau, l’Argus.

Chef-d’œuvre incontestable du XIXe siècle, cette toile est le résultat de trois ans d’interrogatoire et de documentation autour de ce bateau échoué qui s’apprêtait à coloniser le Sénégal. Ainsi, le peintre interroge deux des quinze survivants sur le radeau… Il pousse ses recherches plus loin et visite la morgue pour questionner la matière même, ainsi que la couleur et les détails des cadavres.

Il en résulte une œuvre aussi époustouflante que choquante. Car la toile de Géricault est un assemblage de plusieurs éléments: la dimension pyramidale, la force des contrastes de lumière, une dimension philosophique questionnant la vie et la mort, un témoignage sociologique, une défaite historique, une loupe sur le cannibalisme humain ou militaire… ainsi qu’un grand invité d’honneur: le peintre Eugène Delacroix qui pose pour Géricault pour le personnage face contre le radeau.

Le Radeau de la Méduse défie tempêtes et temps…

Le tableau n’a été acheté par l’État français qu’après la mort du peintre en 1824 et trône actuellement au musée du Louvre, où les visiteurs se retrouvent assis sur un banc à le contempler… comme une terrible scène de vie, de violence et d’espoir qui leur revient du passé et dont ils ne peuvent en détourner les yeux. En 2018, le tableau figurait dans le clip tourné par le couple star Beyoncé et Jay-Z, Apeshit ("folie furieuse"), au Louvre. Ce clip célèbre la réussite de deux Afro-Américains et entend défendre l’égalité des cultures et la place des Noirs dans l’histoire de l’art.

La jaunisse de Théodore Lebrun

Sa jaunisse en fit un modèle du Radeau de la Méduse: près de deux cents ans après la mort du peintre Géricault, un portrait de Théodore Lebrun, récemment mis aux enchères en France, éclaire d’un nouveau jour le célèbre tableau. Ami intime de Théodore Géricault et lui-même peintre – dont le père, Tondu-Lebrun, signa l’ordre d’exécution du roi Louis XVI –, Théodore Lebrun posa à plusieurs reprises pour la réalisation entre 1818 et 1819 du Radeau de la Méduse, l’une des stars du musée du Louvre avec La Joconde. Lebrun raconte, dans une lettre adressée au premier biographe de Géricault, qu’exilé dans une auberge de Sèvres près de Paris où il se remet d’une jaunisse, il croise Géricault qui "cherche partout de la couleur de mourant" et le "trouve beau".

Le document, daté de 1836 et bien connu des spécialistes, est "l’un des premiers et rares témoignages sur Géricault", souligne Bruno Chenique, docteur en histoire de l’art, spécialiste de Géricault, "qu’Aragon présentait comme le James Dean de la peinture", dit-il. L’acteur est mort à 24 ans dans un accident de voiture, Géricault à 32 ans d’une chute de cheval. Lebrun, trentenaire, révèle comment Géricault réalise dans cette auberge, à son chevet, les premières études pour la figure du père qui soutient le cadavre de son fils au premier plan gauche du célèbre radeau. Une fois remis mais encore faible, il se rendra dans l’atelier de Géricault à Paris où le radeau est en cours de réalisation et où le peintre fera son portrait, mis aux enchères par la maison Osenat à Fontainebleau en région parisienne.

Dans l’arrière-plan de Géricault

La vie privée de Géricault, issu d’une famille aisée rouennaise, a "fait scandale suite à sa liaison avec sa tante par alliance et un enfant illégitime". Ajoutée aux "querelles de ses descendants pour récupérer sa fortune", elle explique en partie, dit-il, l’absence d’un fonds d’archives sur le peintre dont l’œuvre reste "éparpillée dans le monde".

Mais c’est aussi en raison du "caractère politique" des œuvres de cet "antinapoléonien, volontairement passé sous silence par des générations d’historiens de l’art conservateurs", estime celui qui lui a consacré "40 ans" de sa vie. En témoignent, "encore aujourd’hui, les multiples censures qui continuent de dépolitiser Le Radeau de la Méduse, comme l’ont fait les critiques d’art qui ont réduit son appréciation à des critères esthétiques", affirme-t-il.

Dimension politique

Bruno Chenique explique: "Le passé, représenté par le père qui porte son fils mort, c’est Napoléon et l’Empire. Il tourne le dos au présent, la grappe humaine en train de ressusciter au cœur du tableau, et au futur, un jeune métis, au sommet du radeau, héros qui agite des morceaux d’étoffe rouge et blanche pour alerter l’Argus et porte une culotte bleue, référence aux couleurs républicaines."

"C’est l’avenir qui va sauver ses camarades blancs alors que Napoléon a rétabli l’esclavage", ajoute-t-il, une thèse soutenue par l’historien Jules Michelet et le critique d’art Charles Blanc.

Le Radeau de la Méduse ne serait-il pas une représentation de notre société actuelle? Jusqu’où irait-on pour survivre? Y aurait-il encore, quelque part, une lueur d’espoir pour le reste d’humanité?

Marie-Christine Tayah avec AFP.

Instagram: @mariechristine.tayah

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