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Le 77e Festival de Cannes a décerné sa Palme d’or à Anora, un film américain indépendant écrit et réalisé par Sean Baker, avec Mikey Madison et Mark Eydelshteyn.

"Ce film est empli d’humanité, il nous a envoûtés, nous a permis de rire, d’espérer au-delà de l’espoir et nous a brisé le cœur", a déclaré la présidente du jury du Festival de Cannes, Greta Gerwig, en remettant la Palme d’or à Sean Baker.

Sean Baker
Crédit photo: Christophe Simon/AFP

Anora relate l’histoire d’une escort girl d’origine ouzbèke, qui se lie à Ivan, fils milliardaire d’un oligarque russe. Il se permet tous les caprices jusqu’à épouser Anora. Cette trame, construite autour d’une Cendrillon des temps modernes ou d’une Pretty Woman différente, plonge le spectateur dans les ébats d’une maison close avant même le générique d’ouverture. En procédant ainsi, le réalisateur invite directement le spectateur dans son monde, un monde qui l’a toujours intrigué.

Ce film est avant tout un film de rencontres, physiques, humaines et d’âme. La première scène de véritable connaissance avec les deux protagonistes est aussi une confrontation qui nous ramène, au-delà des ébats sexuels et de la nature humaine brute, aux jeux d’enfants.

On pourrait reprocher au film certaines longueurs dans des scènes non cruciales. Cependant, l’humour singulier, l’intelligence des scènes et le suspense du film servent à renverser les stéréotypes et à plonger le spectateur dans l’histoire personnelle des personnages, malgré les enchevêtrements relationnels, jusqu’à toucher leur âme. L’histoire est incarnée par des acteurs au jeu poignant et précis à la fois.

Anora traite de l’emprise sous plusieurs formes. Il aborde l’emprise parentale, où le fils dépravé vit sa vie comme bon lui semble jusqu’à ce que l’autorité parentale le ramène à la raison. Lorsqu’il se défend auprès de sa mère, revenant à son Œdipe premier, il lui demande pourquoi elle fait toute une scène pour une escort girl. La femme qui l’a suivi, sur un coup de tête et de cœur, voit alors s’écrouler tous ses châteaux en Espagne. Le film examine également l’emprise du physique, celle qui crée une complicité entre deux êtres et qui constitue parfois même un tapis volant vers une union "éternelle".

Anora mélange l’humour et le drame. Comme les pièces de Molière, "on rit là où on devrait pleurer". Ce film dénonce l’humiliation, que ce soit celle de l’argent, du pouvoir, ou de l’ascendant qu’a un être sur un autre. Peut-on jamais mesurer une personne à la valeur d’une bague? Tous les manteaux du monde pourraient-ils réchauffer un corps, un cœur, tant de fois humilié? Au-delà de l’humiliation, l’empathie reprend le dessus. Elle confirme, dans les moments les plus durs, que la chaleur humaine existe, que ce soit par une écharpe tendue ou par un verre d’eau, le dernier du condamné.

Anora met en avant la femme, sa force physique face à trois gardes du corps, sa force sexuelle qui la rend maîtresse des situations et sa force émotionnelle qui chamboule l’ordre de l’univers.

Transcendant le brut et le cru des maisons closes, ce long-métrage replonge le spectateur dans le monde onirique des contes de fées. Ainsi, Anora est aussi un film d’espoir. Tout comme le réalisateur l’avait affirmé dans un entretien, même si un rêve n’aboutit pas, il peut parfois nous conduire vers un autre… salvateur.