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Dans l’ombre et la lumière du paradis, la quête de l’ultime baiser de la vie nous entraîne à la croisée des chemins entre l’aspiration céleste et les réalités terrestres. À travers les œuvres de Liszt, Fauré et Abou Mrad, cet article explore, en musique, la promesse d’une félicité éternelle et la transcendance d’une communion divine.

Le paradis. Un mot qui suscite tant d’aspiration et de fascination. Et comment! N’est-ce pas cette brise d’espoir qui vient caresser la promesse d’une félicité infinie? Qu’il soit perçu comme un jardin luxuriant, un royaume céleste ou une plénitude spirituelle, le paradis incarne, avant tout, cette communion parfaite avec un Dieu rédempteur, où les âmes bénies, affranchies des entraves terrestres, se délectent de la lumière divine. Et pourtant, depuis la nuit des temps, cette destinée a servi, ô combien de fois, de prétexte à d’innombrables guerres: des kyrielles d’hommes se sont affrontés, croyant paver, ou du moins défendre, le chemin qui y mène. Les artistes, en quête de cet ailleurs parfait, y ont également puisé la matière de leurs rêveries les plus exaltées. Ainsi, dans la littérature, le paradis se pare de mille et une métaphores, devenant tour à tour l’utopie de l’âme, l’éden perdu ou l’idéal inaccessible. Dante Alighieri (1265-1321), dans sa Divine Comédie, le décrit comme une hiérarchie de cieux concentriques, chacun symbolisant une vertu supérieure, et où la lumière croissante reflète la proximité avec le divin. Pour le poète italien, le paradis n’est pas seulement un lieu de récompense mais aussi une réalisation de la vérité et de la connaissance absolues.

Au fil des siècles, une multitude de compositeurs ont entrepris d’offrir, par le biais de leurs œuvres, un avant-goût de cette harmonie céleste. Cet article mettra en lumière trois de ces chefs-d’œuvre: la Dante-Symphonie de Franz Liszt (1811-1886), le dernier mouvement (In Paradisum) du Requiem en ré mineur op. 48 de Gabriel Fauré (1845-1924), et Dante e Beatrice: una lauda spirituala italo-levantina, une musicalisation historiquement informée d’extraits de la Divine Comédie et de vers d’Abou Ala’ al-Maarri (973-1057), composée par Nidaa Abou Mrad.

Allusion au paradis

La Dante-Symphonie de Liszt explore les thèmes de la souffrance, de la rédemption et de l’aspiration vers la lumière divine. Même si cette symphonie chorale ne fait pas directement référence au paradis, elle évoque la quête de la transcendance et l’espoir de la béatitude éternelle, illustrant le cheminement spirituel que Dante a lui-même décrit dans son chef-d’œuvre littéraire. Créée en 1857, la pièce lisztienne se divise en deux mouvements principaux: L’Inferno ("l’Enfer") et Purgatorio ("Purgatoire"), suivis d’un Magnificat pour chœur de femmes, souvent interprété comme une allusion au paradis. Le premier mouvement (L’Inferno) esquisse la sombre et tourmentée descente aux enfers. Utilisant des harmonies dissonantes, des rythmes saccadés et des motifs descendants violents, Liszt reflète la terreur et la souffrance des damnés. Le second mouvement (Purgatorio) contraste avec le premier par son ton plus apaisé et introspectif. Il dépeint l’ascension des âmes vers la purification, une sorte de transition entre les souffrances de l’enfer et la béatitude du paradis. Liszt utilise des mélodies plus douces et des harmonies plus consonantes, laissant entrevoir une forme de rédemption et d’espoir.

Bien que le compositeur hongrois n’ait pas écrit un mouvement spécifique pour le paradis, le Magnificat à la fin du Purgatorio est souvent interprété comme une ouverture symbolique vers le paradis. Cette partie chorale, lumineuse et empreinte de spiritualité, suggère la promesse d’une paix céleste et d’une glorification finale. Elle peut être perçue comme un avant-goût de la lumière divine et de l’harmonie éternelle du paradis.

Berceuses pour les défunts

Le Requiem en ré mineur op. 48 de Fauré est une œuvre de musique sacrée composée entre 1887 et 1891. Contrairement aux requiems traditionnels, souvent dramatiques, celui de Fauré est caractérisé par une atmosphère de douceur, de sérénité, et de réconfort. Il est parfois perçu comme une berceuse pour les âmes des défunts, plutôt qu’une invocation solennelle du Jugement dernier. Le choix de certains textes, tels que l’In Paradisum qui clôt l’œuvre, souligne cette vision optimiste de la mort comme un passage vers un état de tranquillité divine. Le texte de ce mouvement final provient de l’ancienne antienne liturgique, chantée traditionnellement lors des funérailles. Il illustre l’image des anges guidant l’âme du défunt vers le paradis, un lieu de lumière et de paix éternelle. Fauré traduit cette vision céleste à travers une musique apaisante, douce et presque rêveuse. L’orchestration, réduite et subtile, fait usage de l’orgue, des cordes, et parfois de la harpe, créant un fond sonore qui semble flotter et envelopper les voix angéliques du chœur. Le compositeur français insuffle à l’In Paradisum une atmosphère de paix transcendante, offrant ainsi une conclusion lumineuse à son Requiem.

Intonations levantines

La Divine Comédie n’a pas seulement inspiré des compositeurs occidentaux mais également des artistes levantins. En septembre 2021, à l’occasion du 700e anniversaire de la mort de Dante Alighieri, Nidaa Abou Mrad, professeur senior à Sorbonne Université et doyen de la Faculté de musique et musicologie de l’Université Antonine, a créé une œuvre intitulée Dante e Beatrice: una lauda spirituala italo-levantina. Cette composition, qui puise son inspiration dans les laudes spirituelles du Trecento, musicalise des extraits de la Divine Comédie de Dante ainsi que des vers d’Abou Ala’ al-Maarri, une figure influente pour Dante. La lauda, interprétée par l’Ensemble de musique médiévale de l’Université Antonine, se concentre sur la guidance de Béatrice dans le voyage initiatique de Dante à travers l’Enfer, le Purgatoire et le Paradis. Pour la musicalisation des vers en italien ancien de Dante, quatre principes orientent la composition.

Premièrement, Nidaa Abou Mrad fait usage des modes de l’octoéchos, hérités des traditions musicales ecclésiastiques du Levant et intégrant les échelles modales du premier millénaire. Deuxièmement, il s’inspire des monodies italiennes du Trecento, en appliquant les principes de la grammaire générative musicale modale pour les précompositions et les improvisations. Troisièmement, la chanteuse (Rafka Rizk) adopte la technique de chant traditionnelle, perpétuée par les traditions musicales ecclésiastiques (hellénophones et syrianophones) et profanes (arabophones) monodiques modales du bassin méditerranéen. Finalement, les instruments du Trecento, tels que la vièle à archet, le luth et le psaltérion, sont utilisés selon les techniques traditionnelles de la musique arabe. Le résultat audible est un chant et une instrumentation italiens aux intonations levantines, mais développant (en grammaire générative) des formulations mélodiques issues du Moyen Âge italien, revisitées par les traditions monodiques modales méditerranéennes.

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