Beirut and the Golden Sixties: A Manifesto of Fragility du 25 mai au 12 juin 2022 au Gropius Bau, à Berlin avec plus d’une trentaine d’artistes du Liban et du monde arabe ayant marqué la modernité.

Beirut and the Golden Sixties: A Manifesto of Fragility est le titre que les curateurs Sam Bardaouil et Till Fellrath ont voulu donner à cette exposition qui aura lieu du 25 mai au 12 juin 2022 au Gropius Bau, à Berlin avec plus d’une trentaine d’artistes du Liban et du monde arabe ayant marqué la modernité, et plus particulièrement le Beyrouth des années 60 et 70.230 œuvres au total et plus de 300 documents d’archives issus de près de 40 collections, c’est "la présentation la plus complète à ce jour d’une période charnière de l’histoire de Beyrouth, une ville qui continue de porter le poids de ses ambitions irréconciliables", est-il annoncé dans la préface de cette exposition qui revisite donc un moment exaltant du modernisme mondial à Beyrouth, de 1958 à 1975, l’année qui a vu le déclenchement de la guerre civile libanaise.

Durant cette période effervescente sur le plan artistique autant que politique, alors que révolutions, guerres et coups d’État marquaient plus généralement la région, Beyrouth aura été le laboratoire d’un grand nombre d’intellectuels et d’acteurs culturels du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord venus y chercher liberté d’expression et expérimentations diverses. L’exposition présente ainsi un panel d’artistes qui ont été mus par une volonté d’innovation formelle autant que par de réelles convictions politiques, avec une place significative accordée à des artistes jusque-là sous représentés ainsi qu’à des femmes à la fois artistes, galeristes et institutionnelles ayant exercé dans le Beyrouth de ces années; autant de noms qui permettent d’esquisser la cartographie de ces temps partagés entre le cosmopolitisme politisé de Beyrouth et les conflits transrégionaux qui l’entourent.

Etel Adnan, Untitled, approx. 1972-73, Tapestry, Wool, 160 x 112 cm, Simone Fattal, Courtesy: Private Collection, The Zeina Raphael Collection

Présentée en cinq sections thématiques, l’exposition présente l’étendue des pratiques artistiques et des projets politiques qui ont prospéré à Beyrouth des années 1950 aux années 1970. Elle commence ainsi par explorer la notion d’appartenance chez les artistes de différentes communautés de la région, pour montrer ensuite la manière dont Beyrouth s’inscrit dans cette décennie de mouvements de libération sexuelle à travers le monde, contre les limites imposées par une société bourgeoise hétéronormative. La troisième section fait état des débats autour des diverses tendances modernistes à Beyrouth, en portant une attention particulière à la prédominance de l’abstraction dans les années 1950 à 1970. Elle retrace le lien entre les affinités politiques des artistes et leur adhésion à un style ou à une école, allant de l’abstraction orientale à l’art informel. La quatrième examine la relation entre l’art et la politique dans les années qui ont précédé la guerre civile libanaise avant la montée des sectarismes. On y montre que les artistes avaient recherché des formes adaptées à leurs engagements – des projets utopiques du panarabisme et de la lutte postcoloniale aux alignements politiques qui divisent: la guerre froide, la guerre du Vietnam et la cause palestinienne. "The War" ("La guerre") enfin examine l’impact de la guerre civile libanaise sur la production culturelle à Beyrouth. Avec la fermeture des galeries et des espaces d’art indépendants et la migration des artistes vers l’Europe, les États-Unis et le golfe Persique, la guerre révèle la faillite de la politique complexe de Beyrouth, remettant en question le mythe d’un "âge d’or".

Ainsi, cette période qui, dans l’imaginaire collectif, correspond à une période de prospérité tant sur le plan économique – encouragés par la loi libanaise de 1956 sur le secret bancaire, des capitaux étrangers ont afflué dans la ville – que sur le plan culturel, de nouvelles galeries et des espaces d’art indépendants y ayant trouvé leur place, Beyrouth est effectivement un hub de créativité, d’échanges et d’idées. Pourtant, sous le rutilement des années dorées, les antagonismes apparaissent avant d’exploser en une guerre civile de quinze ans. Aussi le propos consiste-t-il ici à déconstruire le mythe de cet âge d’or qui, au final, est bien fragile. Il exclut l’existence d’une partie de la population moins privilégiée que celle qui était à même d’en profiter, de même qu’il occulte des idéologies irréconciliables et une vision extrêmement partielle du cosmopolitisme de l’époque, propagée par les élites. L’idée d’un "âge d’or" s’avère donc peu pertinente pour enquêter sur l’art de cette période, c’est ce que les deux curateurs tentent également de montrer. D’où cette fragilité dont il est question et qui, du champ poétique dans lequel elle se déploie, introduit l’élément de rupture.

Certes, ce terme aujourd’hui résonne singulièrement dans le contexte local et international des crises contemporaines, comme un étonnant retour du même. Fragile est notre monde, certes, et le propos de Bardaouil et Fellrath donne à entendre que cette fragilité est sous-jacente aux différents récits qui façonnent l’histoire des hommes. Aussi cette fragilité est-elle consubstantielle à l’âge d’or constitué par les années 60-70. Cette consubstantialité est ce dont cette exposition voudrait être le manifeste.

Un manifeste comme une proclamation. Un manifeste, comme l’émergence d’un phénomène. Un manifeste parce que, au fond aussi, tout cela aura eu la durée de vie d‘un manifeste, d’un moment vécu intensément, dans toute sa fragilité.

Plus largement, Manifesto of Fragility est le thème adopté par les deux curateurs pour la 16e édition de la Biennale d’art contemporain de Lyon dont ils sont également les curateurs. A cette occasion, Beirut and the Golden Sixties sera présentée au macLYON du 14 septembre au 31 décembre 2022.

Sam Bardaouil et Till Fellrath sont fondateurs et directeurs de la plateforme curatoriale multidisciplinaire artReoriented, lancée en 2009 à New York et Munich, avec une approche révisionniste de l’histoire de l’art. Ils ont organisé des expositions et collaboré avec plus de 70 institutions dans le monde. Directeurs de de la Hamburger Bahnhof depuis janvier 2022, ils sont également commissaires de la 16e Biennale de Lyon (2022) et commissaires affiliés au Gropius Bau à Berlin. De 2016 à 2020, ils ont été présidents de la fondation culturelle Montblanc à Hambourg. Ils ont occupé des postes d’enseignement dans diverses universités. En 2016, ils ont été attachés de conservation pour la Biennale de Sydney. À la Biennale de Venise, ils ont été commissaires des pavillons nationaux du Liban en 2013, des Émirats arabes unis en 2019 et sont les commissaires du pavillon français en 2022.

Jamil Molaeb, From the series Civil War Diary 1975-1976 [16 out of 33 drawings], around 34 x 44 cm, Various techniques (Watercolour, Ink and Felt on paper), Jamil Molaeb, Courtesy: Saradar Collection