" Nous n’héritons pas de la terre de nos ancêtres, nous l’empruntons à nos enfants ".         

Antoine de Saint-Exupéry

Nous avons tous un devoir de mémoire envers notre pays, ce pays, beau, riche, ce pays qui souffre alors que la vie est sa finalité. Nos racines, notre identité, l’héritage de nos ancêtres, ce qui nous a façonnés dans notre singularité, tout est là. Alors, retrouver sous le voile, quoiqu’épais de ses déboires, les merveilles insoupçonnées qu’il possède est une raison d’y croire encore.

Notre patrimoine est considérable, mais relativement méconnu et laissé pour compte. En relever les différentes facettes, la situation, la richesse et les opportunités économiques et sociales est important et nécessaire.

Cette rubrique hebdomadaire va tâcher d’en parcourir les divers aspects dans un souci de connaissance et prise de conscience, essentiel à toute action pérenne.

" Chaque objet ayant une empreinte temporelle et faisant référence à une époque historique ou culturelle d’un lieu, possède une dimension patrimoniale, et est le témoin d’une étape dans l’évolution du territoire et donc de l’homme. Il est le vecteur de l’identité entre les générations qui ont vécu sur le même territoire, le seul lien qui perdure, mais qui évolue à travers le temps. " Patrice Béghain


 

C’est à la Grèce Antique qu’il faut remonter pour trouver les origines de la notion de patrimoine. Pourvoyeuse des besoins de base d’une famille, c’est la terre qui répondait à ce concept. Elle se transmettait de père en fils, de génération en génération, sans jamais être ni vendue ni échangée.

L’origine du mot " patrimoine " est latine, patrimonium, qui signifie héritage du père. Se transmettant de père en fils, il a, à l’origine, un sens de bien individuel. Cependant, dès 44 av. J.-C., le Sénat romain ratifie des lois interdisant la vente de matériaux provenant d’un bâtiment détruit, prohibant la vente d’un immeuble sans son décor original (mosaïques, fontaines, sculptures), réprimant le vol et le vandalisme sur les bâtiments publics. C’est le premier signe connu d’une prise de conscience d’un patrimoine collectif urbain.

La Révolution française institutionnalise cette notion en faisant passer la responsabilité de la conservation du niveau de l’individu, ou de la famille, à celui de l’État. Le bien patrimonial devient celui d’une communauté, d’une nation. De nouvelles valeurs non économiques viennent se greffer à la notion de base comme son aspect unificateur et fondateur.

Aujourd’hui, la notion de patrimoine, d’abord cantonnée à la conservation de monuments et d’objets mobiliers, a considérablement évolué pour inclure les patrimoines archéologique, littéraire, culinaire, vestimentaire, urbain, rural, les rites, le savoir-faire écologique et artisanal.

Le patrimoine, bien collectif, est donc l’ensemble des richesses culturelles, matérielles et immatérielles, appartenant à une communauté, héritage du passé ou témoin du présent. Il a une importance historique et/ou artistique certaine. À ce titre, il est reconnu comme digne d’être sauvegardé et mis en valeur afin d’être partagé par tous et transmis aux générations futures.

Le patrimoine procure un sentiment d’appartenance et d’identité culturelle. Il contribue largement à maintenir une diversité culturelle et stimule la créativité humaine face à la mondialisation et aux effets négatifs de l’uniformisation et de la standardisation.

" Une population s’identifie à un espace de vie à partir de son patrimoine qui raconte son histoire et l’histoire de son territoire. Dans cette dialectique ressort l’importance de la transmission du patrimoine qui représente, dès lors, un ensemble de repères sociaux et culturels spécifiques au temps et, par conséquent, un vecteur de l’identité entre les générations ". Michel Rautenberg

 

 

Les différences inhérentes à la nature même de ces deux aspects du patrimoine culturel, matériel et immatériel, font que les stratégies de leur sauvegarde nécessitent des techniques différentes.

Le patrimoine matériel comprend les sites archéologiques et géologiques, les paysages, l’architecture et l’urbanisme, les objets d’art et le mobilier, le patrimoine industriel (outils, machines, instruments…).

Le patrimoine immatériel représente l’intangible (chants, coutumes, danses, jeux, rites, savoir-faire, mythes, contes et légendes) et les objets tangibles (instruments) ou lieux qui lui sont associés. Toutes les formes de création immatérielle issues de la tradition et de la civilisation antérieure d’un peuple ou d’une société peuvent y être incluses. Transmis de génération en génération, ce patrimoine est en perpétuel changement en fonction de l’interaction des communautés avec la nature et l’histoire. Comme un organisme vivant, il suit un cycle et certains de ses éléments peuvent donc disparaître après avoir donné naissance à d’autres formes d’expression. On l’appelle souvent " patrimoine vivant " ou " culture vivante ". Les expressions du passé qui ne sont plus pratiquées au présent font partie de " l’histoire culturelle ". Pour rester vivant, le patrimoine culturel immatériel doit être pertinent pour sa communauté.

L’homme et le temps sont les deux acteurs essentiels de la notion de patrimoine. Un héritage pour être transmis doit être protégé, voire valorisé. Continuité, protection, valorisation, transmission sont les termes clés associés au concept du patrimoine.

" Nous sommes tous dépositaires de cet héritage à transmettre aux générations futures. À nous de trouver les moyens adaptés à notre époque qui nous permettront de continuer à le faire servir et à le faire aimer. " Régis Neyret

 

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Doté d’une histoire riche et mouvementée, d’un environnement exceptionnel, le Liban possède une richesse patrimoniale remarquable que nombre de nations lui envient. Pays méditerranéen avec une culture plurielle, il souffre cependant de l’absence d’une action politique responsable et pérenne ainsi que d’une vision globale pour inventorier, entretenir, conserver et valoriser son patrimoine culturel. En effet, depuis son indépendance, les autorités locales ont surtout travaillé à la promotion de ses sites archéologiques et historiques en se limitant à des actions ponctuelles et restreintes souvent initiées par une société civile sensible aux richesses incontestées du pays.

Les raisons traditionnellement évoquées pour justifier ces manquements sont la primauté d’autres voies de développement économique et social, les guerres subies, les divergences religieuses, idéologiques et culturelles entre les communautés, la situation politique, structurelle et fonctionnelle d’un pays qui n’arrive toujours pas à se constituer en un État digne de ce nom.

Maitre Charbel Nassar, éminent chercheur dans le domaine du patrimoine culturel, constatait amèrement : " Il est impossible de se mettre d’accord sur une Histoire unique et commune à toutes les communautés puisque chacune souhaite écrire l’Histoire selon son propre point de vue ". Il ajoutait cependant : " Sans nier les divergences qui existent au niveau culturel et social entre les communautés en présence au Liban, on s’aperçoit que, loin d’empêcher la construction d’un patrimoine culturel libanais cohérent, ces divergences s’accompagnent aussi de convergences qui sont beaucoup plus importantes et qui donnent à ce pays une identité unique ".

Ce " patchwork " de communautés religieuses, culturelles et politiques forme en définitive une œuvre particulière où chaque élément a son poids unique et irremplaçable dans le rendu final et l’élaboration d’une entité nationale.

La dabké, le zajal, les proverbes, les traditions liées aux mariages, aux funérailles, à la fabrication de l’huile d’olive, du savon, de l’arak, des produits laitiers, sont autant d’éléments qui unissent les différentes communautés et traduisent l’existence d’un patrimoine commun authentique.

Le Liban a ratifié en 2007 la Convention Internationale pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, adoptée par l’Unesco en 2003.

L’État libanais a encore beaucoup à faire dans l’inventaire, la sauvegarde, l’entretien et la mise en valeur de son patrimoine culturel. La promotion touristique de ses sites archéologiques et naturels remarquables ne suffit pas. Elle peut même constituer une menace si elle est menée sans discernement dans l’unique but de la rentabilité financière. La surexploitation est nocive.

La société civile libanaise fait preuve, quant à elle, d’une grande sensibilité aux richesses incontestées du pays du cèdre et à leur mise à mal par des comportements inconsidérés et irresponsables. Consciente de l’indifférence des responsables et de l’ignorance ou l’incapacité de la population, dans diverses régions, de mener à bien des actions productives, elle multiplie les initiatives de formation des habitants et de mise en valeur du patrimoine naturel du Liban en parallèle avec ses sites archéologiques, ses traditions et son savoir-faire artisanal. Cela constitue une source de développement économique pour diverses régions, essentiellement rurales, couplée à la réactivation du vivre ensemble et à l’ouverture à l’autre sans délaisser pour autant son village ou sa terre. La population devient l’acteur de son propre développement.

Le Liban présente, sur un espace restreint, une très grande diversité culturelle. Il y va de la responsabilité conjointe du gouvernement, des entreprises, des travailleurs et des consommateurs de sauvegarder et fructifier ce potentiel et favoriser un développement durable bénéfique aux générations présentes et futures.

" Pour qu’il y ait processus de patrimonialisation, plusieurs dynamiques doivent fonctionner de concert par l’action de divers médiateurs dont le principal est l’État :
– La communication : elle a pour fonction de faire connaître l’objet patrimonial. Celui-ci prend sa dimension patrimoniale dès lors qu’il y a eu prise de conscience de sa valeur culturelle ou naturelle.
– La scientificité : Un objet, par sa dimension patrimoniale, revêt un caractère scientifique pour ce qu’il représente comme valeurs dans une société, notamment lorsqu’il s’agit de biens représentatifs uniques, voire irremplaçables.
– L’économie : L’objet patrimonialisé peut alors revêtir une valeur économique. Sa disparition constituerait une perte économique pour la collectivité. "Xavier Greffe (Professeur d’économie)

 

Je conclus cette introduction à la rubrique hebdomadaire sur le patrimoine de notre pays par cette citation de Michel Chiha :

Le Liban est un pays où la leçon du passé est si ancienne et si forte qu’on peut la prendre pour règle. Sous des apparences différentes, les Libanais d’aujourd’hui sont faits, à la ressemblance des Libanais de toujours ; et le cours des évènements pourrait bien être le même si nous ne nous obstinons pas à surmonter les périls par un acte renouvelé de volonté, de courage et de foi. "