Le gouverneur de la Banque centrale a expliqué que les pertes du secteur bancaire sont le résultat du défaut de paiement de l’Etat libanais : "Les banques avaient un gros portefeuille d’eurobonds en dollars qu’elles ont perdu. C’était l’argent des déposants "

Dans une interview accordée au "Sharq al Awsat", le gouverneur de la Banque centrale, Riad Salamé, a fait état "de raisons politiques et idéologiques et de certains intérêts qui se cachent derrière une campagne qui a réduit la crise libanaise à ma personne ", en relevant que "que personne ne peut l’envier pour sa position ".

Le numéro un de la Banque centrale a qualifié d’ " illogiques " les accusations de ses détracteurs selon lesquelles toutes les faiblesses du système qui ont conduit à la crise libanaise actuelle se limitent à sa personne. Le but de cette campagne est de " me diaboliser et de faire de moi un bouc émissaire "

"Au cours des deux dernières années, la Banque du Liban a été la seule institution qui a financé les secteurs public et privé. Nous avons fait face à toutes les craintes exprimées, en particulier celles qui faisaient état d’une famine à venir. Nous avons atténué la gravité de la crise grâce aux dollars que nous avions collectés de manière proactive, d’autant plus que nous ne recevions aucune aide de l’extérieur et qu’au contraire, l’image du Liban était détruite dans le but de le pousser vers un effondrement majeur", a-t-il dit.

D’après Riad Salamé, sa diabolisation peut s’expliquer par le fait que la  Banque centrale n’a pas permis que cet effondrement majeur se produise. "Aujourd’hui, il y a un gouvernement et des intentions sérieuses de remettre le pays sur pied. On ne part pas d’un système détruit, mais d’un système existant qui peut être réformé ", a-t-il relevé.

Répondant à une question au sujet des mesures judiciaires prises à son encontre, il a souligné que "les décisions émises par le juge Ghada Aoun sont populistes, étant donné que la Cour de cassation a clairement indiqué qu’elle n’avait aucune autorité" dans cette affaire. "De plus, j’ai déposé une demande de révocation de la juge Aoun à cause de preuves confirmant qu’elle me porte une inimitié personnelle. Que ce soit par ses tweets ou par des rapports qu’elle a soumis à l’étranger contre moi. Comment un juge peut-il être arbitre et adversaire en même temps ? ", s’est interrogé Riad Salamé.

Il a par ailleurs expliqué que s’il multiplie les circulaires concernant les modalités de retrait et de change du dollar, c’est dans un effort pour "réduire la gravité et l’impact de la crise sur les Libanais et pour empêcher un effondrement majeur". Dans ce contexte, il y a lieu de rappeler que le taux du dollar par rapport à la livre avat atteint 33 000 livres, avant de reculer pour s’articuler autour de 19 000 livres.

M.Salamé a expliqué que le but de toutes ces mesures est de contrôler le marché parallèle, parlant de " deux phases qui ont précédé l’intervention (BDL) ayant conduit à une baisse de 35 % du taux de change du dollar par rapport à la livre. La première phase a été ponctuée d’une part, par le processus d’arrêt de l’injection de livres libanaises de la BDL, et d’autre part, par la recherche de ressources en dollars en espèces afin de les placer sur une plateforme de change et de les vendre". Les sommes nécessaires ont été sécurisées en achetant des dollars en espèces par la BDL aux transporteurs de monnaie. Ces derniers avaient besoin de livres libanaises en espèces, à partir du moment où la Banque centrale a arrêté l’approvisionnement du marché local en livres, ce qui a entraîné une augmentation de la demande. Il a ajouté: "Aujourd’hui, nous interférons avec ces dollars sans toucher aux réserves de la BDL jusqu’à ce jour "

A la question de savoir si grâce au nouveau mécanisme qu’il adopte, il pourra maintenir le taux de change au niveau de 20 000 livres, M.Salamé a répondu: " Nous laisserons agir le marché. Nous n’interviendrons pas pour fixer le prix et nous laisserons le marché suivre son cours, mais nous sommes là pour éviter toute fluctuation brutale comme cela se produisait auparavant "

Et de poursuivre: "Sayrafa a les liquidités en dollars pour intervenir, et d’autre part il y a un processus d’assèchement de la livre libanaise. A l’origine, le taux de change ne repose pas uniquement sur les techniques (de la BDL), comme certains le laissent croire. D’autres facteurs entrent en jeu : l’ambiance politique, le déficit budgétaire, l’activité économique, et comment sortir du processus d’arrêt de paiement. … tous sont des facteurs affectant le taux de change dans un pays (à économie dollarisée) comme le Liban ".

Les négociations avec le FMI

Concernant la tentative du gouvernement de fixer le taux du dollar, il a noté que  celui-ci prend des mesures progressivement pour protéger les intérêts des Libanais, en attendant les résultats des négociations avec le FMI. "Si nous convenons d’un programme avec lui, il aura ses conditions, et il est plus probable que la nouvelle politique que le Fonds exigera soit basée sur un taux libre et non volatile, où l’intervention consiste à protéger la stabilité financière tout en laissant les forces du marché dicter le taux de change "

Le gouverneur de la Banque centrale a qualifié de "sérieuses" les rencontres quasi quotidiennes qui ont lieu en visioconférence entre le Liban et le FMI, refusant toutefois de se prononcer sur une date pour la conclusion d’un accord entre les deux parties. " Ce qui importe pour le FMI est l’existence d’un gouvernement efficace capable de négocier avec lui ", a-t-il relevé.

Le patron de la BDL a expliqué que lorsque le Liban commencera à mettre en place des réformes, la sortie de crise sera rapide. La part du Liban dans le FMI est au plus haut niveau : de 4 milliards de dollars.  " Une fois le programme avec ce dernier approuvé, il y aura des pays qui s’y associeront par le biais du FMI, et nous pourrons parvenir à ce moment-là à sécuriser entre 12 et 15 milliards de dollars. Ce montant garantira le redressement du Liban", a affirmé Riad Salamé.

Selon lui, "la politique de la BDL consiste à préserver le niveau des réserves, un sujet que nous examinons quotidiennement et au sujet duquel nous coordonnons avec le gouvernement ". Il a par ailleurs expliqué que "le budget de la BDL n’est pas exclusivement affecté par les opérations de Sayrafa, car il y a aussi les fluctuations du taux de l’euro, en plus de la vente des dollars au taux de change officiel de 1500 livres pour un dollar dans le cadre de la politique de subvention de certains produits, tels que les médicaments et le blé. Et d’ajouter: " Depuis juillet 2020, nous avons été clairs sur le fait que nous ne pouvions pas continuer à soutenir tous les produits que nous subventionnions. La demande d’intervention de la Banque du Liban par l’État a diminué de 60 à 65 %, sachant que depuis le défaut de paiement du Liban en 2020, la seule source d’approvisionnement en dollars de l’Etat est la BDL "

Le gouverneur de la BDL s’est dit étonné des accusations selon lesquelles il retient les fonds destinés aux missions diplomatiques, soulignant qu’il s’agit là " de la responsabilité du gouvernement et non de la Banque centrale". " Ils me demandent de faire des virements, et en même temps il y a un refus de toucher aux réserves obligatoires… Qu’ils s’assurent des dollars pour payer leurs dépenses en dollars… ", a-t-il poursuivi.

Interrogé sur les fonds appartenant aux déposants, Riad Salamé a déclaré: "La grosse perte du secteur bancaire est le résultat du défaut de paiement de l’Etat libanais… Les banques avaient un gros portefeuille d’eurobonds en dollars qu’elles ont perdu. C’était l’argent des déposants qu’elles avaient engagé directement auprès de l’Etat. Quant à l’essentiel de l’argent que la Banque du Liban devait à l’État, il était en livres libanaises ".

Il a ajouté: " Entre 2017 et 2020, la BDL a restitué aux banques les dollars dont elle disposait, en plus de 14 milliards qui avaient été collectés comme réserves antérieures. Jusqu’en 2015, la Banque centrale achetait des dollars, la période pendant laquelle nous sommes intervenus pour maintenir le taux de change était celle de 2016 à 2019. Il y avait un espoir d’obtenir des fonds de la conférence CEDRE en 2018, et dans le même temps, les autorités politiques et le gouvernement réclamaient que le taux de change du dollar par rapport à livre reste fixe ". Il a fait remarquer que jusqu’à la dernière réunion qui a eu lieu en septembre 2019 au Palais présidentiel, avant la crise, une volonté politique de maintenir le taux de change (1500 LL pour un dollar) s’est clairement manifestée. Le premier article du communiqué publié au terme de cette réunion soulignait d’ailleurs la nécessité de maintenir le taux de change inchangé. " Au final, la BDL n’agit pas toute seule. Ajoutez que la loi oblige la Banque du Liban à financer l’État s’il n’a pas d’autre moyen de  se  financer, de sorte que dans les budgets 2018 à 2020, l’Etat a forcé la BDL   à le financer à un taux de 1% et parfois à ne pas percevoir d’intérêt ".

Concernant la possibilité d’utiliser les réserves d’or pour sortir de la crise, M. Salamé a expliqué qu’il existe une loi qui interdit l’aliénation des réserves d’or par vente ou hypothèque, et qu’en l’absence de réformes sérieuses, " il ne faut à aucun prix toucher à l’or car il donne confiance dans la monnaie nationale"