Le monastère de Kreim, à Ghosta, ainsi que ceux de Beit-Khochbao et de Bzommar constituent une richesse architecturale majeure et présentent trois témoignages inestimables du patrimoine arménien au Liban. Visite guidée…  

Les premiers monastères arméniens catholiques remontent au début du XVIIIᵉ siècle. Il s’agit de celui de l’île de San Lazaro à Venise, fondé par les pères mekhitaristes, et de celui de Gosta dans le Kesrouan, fondé par les moines antonins arméniens. Les deux expériences ont été on ne peut plus fructueuses puisque celle de Venise a engendré l’une des plus grandes bibliothèques arméniennes, alors que celle de Gosta a donné lieu en définitive à trois monastères d’une richesse architecturale majeure, dont une bibliothèque inestimable. Ces trois témoignages du patrimoine arménien du Liban sont le couvent de Gosta lui-même, avec ceux de Beit-Khochbao et de Bzommar.

Le monastère de Kreim

C’est dans les locaux d’une ancienne soierie du vallon de Kreim, à Gosta, qu’a été fondé en 1720, le premier des trois monastères arméniens catholiques du Liban. Après les concertations entre la Congrégation de la propagation de la foi et le patriarche maronite Jacques Awad, les Khazen du Kesrouan ont concédé les bâtiments de la soierie de Kreim à l’ordre antonin arménien en formation. Kreim est un mot d’origine syriaque qui signifie vignoble. Entouré de vignes et de pinèdes, l’édifice est constitué d’un corps unique englobant la nef de l’église. Sa cour est fermée sur ses quatre côtés, ce qui constitue une solution rare au Liban où les corps de bâtiments sont plutôt disparates et où les cours en U demeurent ouvertes sur leur côté aval.

La construction du monastère a débuté en 1723 et celle de l’église en 1726. Le tout a un aspect doré dû à la pierre bosselée typique de Gosta qui fait usage d’un mélange de pierres brunes et blanches. Le clocher, ajouré à la manière maronite, est coiffé d’une pyramide de pierre. Ici et là, sur les arcs et les clés de voûtes, sont sculptées des croix, des étoiles et des rosaces. Dans l’église, trônent des bustes dont celui du catholicos Abraham Pierre Iᵉʳ Ardzivian.

Le monastère du Saint-Sauveur de Kreim. ©Amine Jules Iskandar

Le monastère de Beit-Khochbao

Après Kreim, les antonins arméniens ont édifié le monastère Saint-Antoine-de-Padoue à Gazir sur le promontoire de Beit-Khochbao. La construction a débuté en 1753, au sommet d’une pente raide qui surplombe toute la baie de Jounié. Siège de l’abbé général de l’Ordre antonin arménien, il est devenu aujourd’hui celui de l’Ordre libanais maronite, mais conserve ses inscriptions arméniennes gravées dans sa pierre.

Beit-Khochbao signifie en syriaque le lieu de la méditation et de la tranquillité, ce qui révèle l’existence d’un sanctuaire antérieur. Il s’agit là d’une constante au Liban où les promontoires font office de site sacré depuis la plus haute antiquité.

Le monastère Saint-Antoine de Beit-Khochbao. ©Amine Jules Iskandar

Par son emplacement et par son architecture, le monastère Saint-Antoine-de-Padoue est beaucoup plus imposant que celui du Saint-Sauveur. Son église, rajoutée en 1820, est monumentale et ses bâtiments présentent une allure défensive. Comme à Kreim, sa cour est fermée sur tous les côtés, ne profitant pas de la vue sur la mer, ce qui lui confère un aspect encore plus militaire.

L’entrée de l’église et celle du monastère sur la façade nord comportent des inscriptions arméniennes. Entre les deux, se trouve la plaque à la mémoire du poète polonais Jules Slowacki qui a composé à Beit Khochbao, en 1837, son chef-d’œuvre littéraire Anhelli.  De là, l’accès se fait vers la cour à travers une aile surmontée des logements des moines. C’est une profusion de symboles qui marquent l’entrée de chaque cellule. Des croix trilobées ou fleurdelisées, aux rosaces de toutes sortes, en passant par les étoiles, le Sacré-Cœur et les inscriptions arméniennes, ce compartiment démontre l’art des constructeurs arméniens.

Les créateurs du khatchkar (croix de pierre) ont aussi semé leur art sur les parois de l’entrée de l’église et sur toute la hauteur de l’abside. C’est une floraison d’entrelacs et de motifs floraux qui accompagnent les croix, les spirales et les hélicoïdes. L’arc de l’abside est une guirlande en dentelle de pierre où les motifs végétaux agrémentent l’espace. Un sarcophage byzantin fait office de fonts baptismaux.

Les croix et rosaces de Beit-Khochbao. ©Amine Jules Iskandar

Le monastère de Bzommar

Bzommar, en syriaque "le lieu du psalmodieur", a été remis aux évêques arméniens catholiques par les Khazen sous le patriarche maronite Simon Awad, par un acte de donation daté de 1749. Le catholicos Abraham Ardzivian est décédé cette même année, laissant dans son testament le souhait d’y ériger le siège patriarcal pour ses successeurs. C’est donc Hagop Pierre II Hovsépian qui, dès les mois suivants, a fait construire la première aile du monastère. L’église, érigée en 1771 sur un plan basilical, a reçu un tableau représentant l’Assomption de la Vierge.

En 1830, la Sublime Porte reconnaissait les Arméniens catholiques comme Millet, leur octroyant le droit d’établir un patriarcat indépendant dans la capitale. En 1866, le siège de Bzommar décidait son transfert à Constantinople, réalisant l’unification des deux patriarcats catholiques. Mais le génocide de 1915 a provoqué le retour définitif du siège patriarcal à Bzommar.

En 1940, une chapelle à plan central de type arménien est venue s’adosser à l’église de l’Assomption et enrichir la silhouette du couvent. Consacrée sous le vocable de Notre-Dame de Bzommar, elle est coiffée d’un cône de pierre à la manière arménienne. C’est là qu’est déposée la Vierge miraculeuse, une Mater Dolorosa de Guerchin (1591-1666), rapportée de Rome par Abraham Ardzivian. La cour du monastère est entièrement dégagée sur le côté aval, exposant face à la mer ses arcades finement ciselées. Le campanile reprend la forme conique arménienne qui se marie avec la chapelle plus récente.

Le monastère patriarcal de Notre-Dame de Bzommar. ©Amine Jules Iskandar

Le musée-bibliothèque de Bzommar

Ce monastère est lui-même un musée de manuscrits, de croix et de khatchkars. Ici et là, font leur apparition les croix tréflées, trilobées et fleurdelisées gravées sur les façades, alors que d’autres croix apparaissent sous forme de khatchkars en calcaire libanais ou en roche volcanique d’Arménie.

Mais Bzommar renferme aussi deux musées et une inestimable bibliothèque dotée de manuscrits arméniens enluminés et d’ouvrages syriaques et garshouné. Il s’y trouve même d’anciens manuscrits coptes sur papyrus, ainsi que des collections de rares monnaies arméniennes, helléniques et seldjoukides. En plus des mitres, des crosses, des crucifix et des calices, l’exposition permanente offre au public des sculptures païennes des antiquités grecque, arméno-ourartéenne, égyptienne et bien sûr, phénicienne dont certaines découvertes sur le site même de Bzommar. L’une des vitrines présente le crucifix et la Vierge en ivoire offerts par Benoît XIV et le cardinal Carafa au patriarche Abraham Pierre Ier Ardzivian en 1743.

Avec Erevan et Etchmiadzine en Arménie, Jérusalem en Terre-Sainte, San Lazaro à Venise, le monastère des mekhitaristes de Vienne et le catholicossat arménien d’Antélias, Bzommar offre l’un des plus riches et des plus intéressants musées-bibliothèque de la culture, de la spiritualité et de l’art arménien.

Le musée et la bibliothèque de Bzommar. ©Amine Jules Iskandar