"Il faut dire la vérité, aussi dure soit-elle"… Cette petite phrase laconique lancée par le président-martyr Béchir Gemayel pourrait être lourde de conséquences dans le cas d’école que constitue le problème du Liban. Elle devrait pourtant être adoptée comme leitmotiv dans toute approche ou perception de la crise libanaise. Et elle aurait sans doute atténué nos épreuves endurées depuis des lustres si certains de nos "dirigeants" avaient fait preuve de suffisamment de courage pour taper du poing sur la table afin de mettre le holà, ou au moins de juguler cette ligne de conduite qui consiste à prendre toute une population en otage pour servir la stratégie expansionniste d’un régime étranger qui s’avère, de surcroît, de plus en plus contesté sur son propre territoire.

Si l’on peut déplorer quelque chose en terme de bilan du mandat Aoun, c’est que l’ex-président de la République n’a pas su faire preuve de ce courage salvateur, en dépit de tous les atouts populaire, partisan, parlementaire et gouvernemental dont il disposait, sans compter son prestige personnel. Bien au contraire, au lieu d’œuvrer à "libaniser", politiquement, son principal – et seul – allié (très peu fidèle à son égard, soit dit en passant), il s’est employé à lui assurer toute la couverture (chrétienne) nécessaire afin qu’il puisse assumer  son rôle régional déstabilisateur sans être inquiété outre mesure. En guise d’"allié", c’est à un partenaire très peu fidèle que l’ex-président a eu droit puisque ce prétendu allié n’a épargné aucun effort pour miner et torpiller son mandat. La déconstruction, programmée, de l’État et du système politico-économique à laquelle nous assistons en est la preuve la plus probante.

Aujourd’hui, c’est un "Aoun bis" que le Hezbollah cherche à faire accéder à la première Magistrature. Les dirigeants de la formation pro-iranienne l’ont dit très explicitement ces derniers jours en soulignant qu’ils désirent un président de la République "qui ne poignarde pas" le Hezb dans le dos! Sauf qu’il faudrait savoir de quel Hezbollah on parle… Parle-t-on d’un chimérique Hezbollah censé être un parti authentiquement libanais qui se conforme, comme tout parti politique, à la Constitution, à la législation en vigueur et aux pratiques démocratiques les plus basiques ? Ou parle-t-on bien au contraire, ce qui est l’évidence, d’une formation dont le seul objectif est d’être une docile tête de pont au service des Gardiens de la révolution iranienne?

Dans ce dernier cas de figure, il nous faut "dire la vérité, aussi dure soit-elle": un président qui assurerait, une fois de plus, un soutien aveugle à un parti totalement soumis à une puissance étrangère se rendrait coupable d’une violation de la Constitution (pour atteinte à la souveraineté nationale, du fait que la décision de guerre et de paix, monopolisée par un parti pro-iranien, échapperait au contrôle de l’État). Accepter d’accorder une couverture inconditionnelle à une formation telle que le Hezbollah reviendrait, en outre, à saper les fondements du vivre-ensemble qui ne saurait s’accommoder de la contrainte d’un arsenal militaire illégal. Se livrer à un tel jeu serait une autre violation de la Constitution qui stipule que tout pouvoir qui porterait préjudice à la coexistence serait illégitime.

Le Hezbollah souhaite un président qui ne le poignarde pas dans le dos. Soit… Mais cela ne pourrait être concevable et légitime que si l’on se place dans notre premier cas de figure, celui d’un parti authentiquement libanais qui respecte la Constitution et les pratiques démocratiques et, surtout, qui respecte les impératifs d’un vivre ensemble fondé sur le droit à la différence. Cela implique que le Hezbollah fasse un retour politique au Liban; en d’autres termes, qu’il mette fin à ses égarements sur les voies tortueuses de la wilayat el-faqih qui l’empêche d’admettre que les garanties qu’il cherche résident non pas dans un ancrage aveugle dans l’orbite d’une puissance étrangère mais dans l’établissement de rapports équilibrés, sereins et rationnels avec les autres composantes socio-communautaires du tissu social libanais. Le mouvement de révolte, en tous points historique, dont l’Iran est le théâtre depuis plusieurs semaines, et qui pourrait tôt ou tard bouleverser la donne régionale, devrait peut-être inciter le Hezbollah à se chercher davantage et à réaliser qu’un jour viendra sans doute où il n’aura d’autre choix que de s’engager sur la voie libanaise… Si tant est qu’il est en mesure de se remettre en question en initiant sa propre "révolution culturelle" qui le placerait en phase avec les aspirations d’une jeunesse qui, au Liban, comme en Iran ou ailleurs, désire vivre au vingt-et-unième siècle et non pas dans l’hypocrisie, les chimères, et les méandres obscurantistes d’un passé très peu rassembleur.