"Le prix de cette marchandise a augmenté de 43% en six mois, alors que durant la même période, le taux de change du dollar sur le marché parallèle a augmenté de 33%. Pourquoi?". Dans une entreprise importatrice de produits alimentaires, Nada, inspectrice relevant du ministère de l’Économie, contrôle les listes de prix. Depuis quelques jours, et à la veille de l’entrée en vigueur jeudi du dollar douanier fixé à 15.000 livres, le Service de protection du consommateur intensifie ses tournées d’inspection. Objectif: lutter contre une flambée immédiate des prix.

En effet, de nombreuses entreprises et supermarchés profiteraient de cette nouvelle taxe et de la fluctuation du taux de change du dollar sur le marché parallèle pour augmenter de manière excessive leurs prix, une pratique jugée illégale et irresponsable par le ministère de l’Économie, qui assure mettre tous les moyens en œuvre pour sanctionner les contrevenants.

"Les inspecteurs du ministère multiplient les efforts pour contrôler les prix dans tous les entrepôts et les supermarchés sur l’ensemble du territoire libanais, en dépit de moyens insuffisants", affirme à Ici Beyrouth Mohammad Abou Haïdar, directeur général du ministère de l’Économie. Il explique que son département planche actuellement sur un projet d’amendement de la loi pour la protection du consommateur, "de manière à alourdir les sanctions prévues contre les contrevenants".

"Nous avons aussi demandé aux entreprises importatrices de signer un engagement en vertu duquel elles appliqueront une tarification correspondant au taux du dollar douanier en vigueur au moment de l’importation du produit", explique M. Abou Haïdar.

Des moyens insuffisants 

Si ces intentions sont louables, l’application de la loi sur un terrain aussi accidenté n’est pas de tout repos. En cause: l’insuffisance des moyens dont dispose le Service de protection du consommateur ainsi que les zones d’ombre qui entourent certains détails du processus d’application du dollar douanier.

Dans une atmosphère d’anarchie généralisée des prix causée par la dévaluation monétaire et l’inflation, il n’est pas aisé de détecter les augmentations abusives. "Parfois, l’entreprise relève ses prix en raison de la flambée du prix de l’essence, ou bien à cause des fluctuations de ceux des produits sur le marché international, ou encore parce que les taxes portuaires ont été majorées…", explique une enquêtrice.

Une montagne de factures et de chiffres difficiles parfois à décrypter, tandis qu’en parallèle, le ministère de l’Économie fait face à un manque d’effectifs, de nombreux employés ayant démissionné en raison de la dévaluation de leurs salaires et de meilleures opportunités à l’étranger. "Nous ne sommes plus que 40 inspecteurs pour tout le pays et nous ne disposons d’aucun moyen", s’indigne la fonctionnaire, confrontée au quotidien à une masse de travail tellement lourde qu’elle l’empêche d’effectuer sa mission correctement.

Pour lutter contre la fraude, les employés n’ont que leur logique et leur rigueur mathématique à disposition: pas d’ordinateurs ni de factures numérisées. Tout se fait à la main. Il faut parfois attendre des heures pour avoir accès à l’ensemble des factures de l’entreprise. Une perte de temps qui aggrave le risque de fraude et empêche un contrôle convenable des prix.

S’ils détectent une fraude, les inspecteurs ne fixent pas l’amende. Cela est du ressort des autorités judiciaires compétentes. "Des fois, j’ai l’impression que ce que nous faisons ne sert à rien, vu la lenteur de la justice pour traiter les dossiers, se plaint un inspecteur. Et, une fois traitées, les amendes sont souvent dérisoires." Ce qui explique la volonté du ministère de proposer un amendement de la loi portant protection du consommateur.

Une véritable cacophonie 

Du côté du secteur privé, les doléances s’accumulent concernant le nouveau budget de l’État, jugé peu clair et susceptible d’accentuer le chaos règlementaire déjà présent au Liban. "Nous avons reçu la nouvelle liste des produits soumis au dollar douanier. On ne comprend rien tellement c’est complexe!" se plaint la responsable d’une entreprise importatrice.

Pour de nombreuses compagnies, la décision de relever abruptement le taux du dollar douanier est peu stratégique. La tarification aurait pu évoluer graduellement, d’autant qu’un certain cafouillage règne au niveau des produits concernés, estiment leurs représentants. À cela, il faut ajouter la surtaxe de 10% appliquée sur les produits importés qui ont leur équivalent dans l’industrie locale. Or la liste officielle de ces produits n’a toujours pas été validée officiellement, ce qui suscite des inquiétudes et une confusion au niveau des importateurs.

Plus encore, les produits sont toujours officiellement facturés au taux officiel de 1.500 livres pour un dollar, en attendant la modification du taux de change qui entrera en vigueur en début février 2023.

En l’absence de pouvoir coercitif de l’État, paralysé par une justice défaillante et une administration en état de ruine, les inspections continueront à évoluer difficilement, malgré le bon vouloir de fonctionnaires dédiés à leur mission.