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Une énième polémique s’est engagée au cours des dernières quarante-huit heures entre les ministres sortants des Affaires étrangères (A.E.), Abdallah Bou Habib, et des Déplacés, Issam Chareffeddine, sur la question des déplacés syriens au Liban.

Intervenant sur les ondes de la chaîne locale Al-Jadeed, les deux ministres se sont livrés à des échanges particulièrement acerbes, et peu diplomatiques, portant sur le traitement du dossier des déplacés. M. Bou Habib a notamment déclaré qu’il pourrait se rendre en Syrie, tout en doutant de l’utilité d’une telle démarche, mettant M. Charafeddine au défi d’y aller à sa place. Quant au ministre des Déplacés, dans une allusion à peine voilée à son collègue des A.E., il a accusé tout responsable qui se montrerait complaisant à l’égard de "la communauté internationale" au sujet du problème des réfugiés d’être impliqué dans la conspiration qui se trame, à son avis, sur ce plan.

Notons, à titre de rappel, que le Liban officiel (à l’exception de M. Bou Habib, toujours en visite privée aux États-Unis, après avoir participé à l’Assemblée générale des Nations unies), met de plus en plus l’accent sur la question du retour des déplacés syriens. Le 11 septembre dernier, le Conseil des ministres, réuni sous la présidence de Najib Mikati, avait décidé de dépêcher à Damas une commission ministérielle, présidée par M. Bou Habib, pour discuter avec les autorités syriennes du problème que pose le récent flux incessant de migrants syriens vers le Liban et du dossier, plus général, du retour des réfugiés.

C’est l’opportunité d’une telle visite, dans les circonstances actuelles, qui a alimenté la dernière polémique entre les ministres des A.E. et des Déplacés.

Lors de son entrevue télévisée de dimanche soir, 1ᵉʳ octobre, M. Bou Habib a démenti que le Conseil des ministres lui ait confié cette tâche. Dans une précédente interview accordée au quotidien libanais Al-Joumhouria, il avait déclaré avoir rencontré le ministre syrien des Affaires étrangères syrien, Fayçal al Moqdad, et l’ambassadeur de Syrie auprès des Nations unies, Bassam Sabbagh, et convenu de se rendre à Damas dès son retour des USA.

Lors de son intervention, il a sommé le ministre Charaffeddine "d’arrêter de parler" et de se rendre lui-même en Syrie s’il pensait pouvoir faire avancer les choses, ajoutant qu’il n’y avait pas de différend au sein du Conseil des ministres "sauf avec M. Charafeddine qui est en dispute avec tout le monde", a lancé M. Bou Habib.

La riposte de Charafeddine

Quant au ministre des Déplacés, il n’a pas épargné son collègue des A.E., allant jusqu’à attribuer à "son âge avancé" les propos tenus par M. Bou Habib.

"Vous parlez beaucoup (pour ne rien dire), a déclaré M. Charafeddine, s’adressant indirectement à M. Bou Habib. Dans un dossier d’une telle portée, si l’on se tait pour faire plaisir aux États-Unis, à l’Union européenne et à la communauté internationale, cela signifie qu’on est impliqué dans la conspiration", faisant par là allusion au chef de la diplomatie.

M. Charefeddine a accusé M. Bou Habib de ne pas avoir fourni suffisamment d’effort concernant le comité pour le retour des déplacés "dont fait partie M. Bou Habib avec les ministres du CPL" et de ne pas avoir coordonné avec le ministère des Affaires sociales.

Le ministre Charafeddine a ensuite fait part de sa visite en Syrie, en juin dernier.  À la suite de cette visite, une guerre de prérogatives avait éclaté entre lui et M. Bou Habib. Selon M. Charafeddine, la solution réside dans des discussions bilatérales avec la Syrie parce que la communauté internationale, affirme-t-il, refuse au HCR de trouver des solutions en profondeur.  "La solution portant sur la convention de 1951 (de l’ONU) et le protocole de 1967 ne s’applique pas au Liban, d’où la nécessité de discuter avec la Syrie", relève M. Charafeddine.

La Convention de 1951

La Convention de 1951 fournit la définition internationalement reconnue d’un réfugié et décrit la protection juridique, les droits et l’assistance qu’un réfugié est en droit de recevoir.

Le principe fondamental de la Convention de 1951 est le non-refoulement, en ce sens qu’un réfugié ne doit pas être renvoyé dans un pays où sa vie ou sa liberté sont menacées.

La convention de 1951, en tant qu’instrument postérieur à la Seconde Guerre mondiale, avait à l’origine un champ d’application limité aux personnes fuyant des événements survenus avant le 1ᵉʳ janvier 1951 et à l’intérieur de l’Europe. Le protocole de 1967 a supprimé ces limitations et conféré à la convention une couverture universelle. Or le Liban n’est pas signataire de cette convention.

Réfugiés économiques ou politiques?

Interrogé sur sa réaction plutôt lente à une situation qu’il avait lui-même qualifiée d’urgente, M. Bou Habib a esquivé la question, se contentant de souligner qu’une seule partie "ne peut pas faire la différence face aux considérations internationales, syriennes et régionales, et que, quoi qu’on fasse, on ne peut rien arracher à la Syrie".

Selon M. Bou Habib, il faut suivre le plan du Conseil des ministres et essayer de se procurer les informations promises par le HCR.  Le Liban et le haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés avaient conclu un accord, le 8 août dernier, portant sur la transmission au gouvernement des données relatives aux déplacés syriens sur le territoire libanais. Or, ces informations n’ont pas encore été transmises aux autorités.

"Notre différend avec l’Europe porte sur une question de classification, souligne M. Bou Habib. Nous considérons les Syriens comme des réfugiés économiques et les Européens les considèrent comme des réfugiés politiques. Nous ne pensons pas qu’ils seront confrontés à un risque sécuritaire s’ils rentrent chez eux. Les négociations avec la Syrie ne vont pas aboutir à une solution claire. Celui qui pense pouvoir mieux faire n’a qu’à y aller lui-même", a lancé M. Bou Habib en s’adressant à son homologue des Déplacés.

Quant au ministre Charafeddine, il a déclaré: "Nous sommes face à une conspiration internationale et à un silence local. Le gouvernement dans son ensemble est responsable de la situation et doit être jugé. Si je pouvais avoir une influence sur dix parlementaires, j’aurais demandé à la commission parlementaire de la Justice de saisir le Conseil supérieur chargé de juger les présidents et les ministres afin de juger les membres du gouvernement, à commencer par moi"…

Alors que cette polémique bat son plein, le flux de réfugiés syriens se poursuit de manière alarmante. Et pendant ce temps, nos responsables se livrent à des échanges stériles sans saisir, du moins en apparence, la portée existentielle et les retombées économiques, démographiques et sécuritaires d’un tel dossier en tous points explosif.