Il est inconcevable de redresser la situation au Liban sans d’abord libérer les esprits en s’affranchissant du mythe de la pauvreté et d’un modèle de gouvernance centralisé inadapté. Il faut dépasser notre condition de soumission à l’occupation milicienne des institutions étatiques, en nous orientant vers un développement des régions. Il convient enfin de prendre conscience de la réalité des données en termes de ressources sociales et naturelles afin de pouvoir les faire fructifier.

Pour contrer l’effondrement général qu’entraîne la pénurie de l’électricité, les énergies renouvelables sont présentées comme une solution raisonnable. Les municipalités pourraient être ravivées par ce travail innovant et seraient en mesure de rendre la vie à leurs communes en redressant progressivement les différents secteurs, dont celui de la sécurité à l’échelle municipale. Le catalyseur de ce processus d’engagement collectif réside dans l’exploitation des énergies renouvelables, notamment dans le domaine hydraulique.

Production électrique jusqu’en 2019

Le Liban dispose de sept centrales thermiques et de 18 grandes, moyennes et petites unités hydrauliques dont celles du Litani River Authority, de Nahr Ibrahim et de Nahr el-Bared. À partir de 2009, EDL était supposée pouvoir assurer 2.764 mW (mégawatt heure) par énergie thermique (dont 2 bateaux turcs de 198 mW chacun), et 252 mW par énergie hydraulique. Mais dans les faits, et dû au taux de corruption qui n’est plus un secret pour personne, une grande partie des installations est désuète ou à l’arrêt.

Jusqu’à l’effondrement de 2019, la production électrique effective au Liban oscillait entre 1.400 et 1.800 mW, donc à peine la moitié des besoins réels du pays. De cette production, la capacité hydroélectrique s’élevait à 270 mW installés, dont seuls 150 mW effectifs. Les citoyens étaient condamnés à combler les heures de rationnement du courant en payant des cotisations à des exploitants de générateurs privés dont l’opacité dépasse encore celle d’EDL.

Aujourd’hui, la production des centrales hydrauliques est tombée à 48 mW, tandis que l’approvisionnement par EDL est devenu quasiment nul et que les Libanais ne sont plus en mesure de payer les générateurs à cause de la flambée des prix, de la dévaluation de la monnaie nationale et de la réquisition de leurs avoirs en devises étrangères.

L’hydroélectrique

Des chiffres datant de 2006 montrent que le coût de production pour une centrale thermique ou combinée était respectivement de 150 et de 170 livres par kW alors que pour l’hydroélectrique il ne s’élevait qu’à 40 livres (le baril de pétrole étant à 80 dollars). Cet écart s’est encore creusé aujourd’hui jusqu’à atteindre des proportions drastiques qui ne supportent même plus la comparaison, ne laissant plus le moindre doute sur l’urgence du développement hydraulique. Ce décalage entre les coûts de production justifie largement l’investissement initial qui représente, pour une centrale hydraulique, le double de celui d’une centrale thermique.

L’hydroélectrique du Liban, vestige du passé

La quasi-intégralité du parc hydroélectrique dont dispose aujourd’hui le Liban consiste en vestiges de l’époque du ministère du Plan qui se trouvait sous l’égide de Maurice Gemayel durant les années 1950 et 1960. Parmi les 18 centrales hydrauliques que compte actuellement le pays, seules deux (financées par l’Italie et le Koweït) ne remontent pas à cette période ou à celle, encore antérieure, du mandat français. Ces 18 centrales sont réparties sur plusieurs régions :

Le groupe du Litani comprend les centrales de Anan (à Jezzine 1965), Markaba (1962), Joun (1968) et al-Soubah (2020, financement koweïtien).

Le groupe de Nahr el-Bared compte Nahr el-Bared 1 (1954) et Nahr el-Bared 2 (1962).

Pour le groupe de Nahr Ibrahim, il s’agit des centrales Nahr-Ibrahim 1 (1962), Nahr-Ibrahim 2 (1956) et Nahr-Ibrahim 3 (1950).

Le groupe de la Qadicha comprend 4 centrales dont Blaouza (1961), Abou-Ali (1933), Mar-Elychaa (1952) et Bcharré (1929).

D’autres centrales se trouvent également à Richmaya (1932), Chekka (1950), Hrach (1932), Zahlé (1923) et Tannourine (2015, financement italien).

Aujourd’hui, bien que le Liban soit plus riche en eau que ses voisins, il arrive en dernière position, avec le plus faible investissement dans le domaine de l’hydraulique. Alors que les autres pays de la région développent ce potentiel énergétique propre et renouvelable, le Liban ne se permet même pas de stagner, il rétrograde. À part quelques investissements sur les centrales des offices du Litani et de la Qadicha en 1994, partout ailleurs les installations se sont détériorées jusqu’à souvent, des cessations complètes de leurs activités. Le Liban continu d’investir dans le domaine thermique malgré la pollution imposée aux régions résidentielles et touristiques et malgré le renchérissement de leurs coûts opérationnels liés à la fois à la flambée des cours internationaux du brut et à la dévaluation de la monnaie nationale.

Il est de surcroît révoltant de voir l’État central interdire aux centrales hydrauliques, la vente de leur production au citoyen. Plus que cela, la Banque mondiale a fait savoir qu’elle avait proposé son aide à la réhabilitation et à la modernisation de ces centrales, sans avoir jamais obtenu la moindre réponse de la part de l’État libanais.

Village de Saghbine sur le lac Qaraoun. ©Rami Rizk

Optimisation de la production hydroélectrique

Plusieurs études montrent qu’il est possible de doubler la production hydroélectrique installée, pour passer à 500 mW (par heure), comme le préconisait le ministre de l’Énergie et de l’Eau, Bassam Yammine, en juin 2005 au Conseil des ministres. C’est-à-dire qu’il est possible aujourd’hui de passer des 48 mW effectifs actuels aux 289 mW de la capacité initiale, auxquels viendraient s’ajouter les petites hydrauliques pour optimiser la production.

C’est en procédant de la sorte et selon un modèle subsidiaire (décentralisé), qu’il serait possible de commencer à remonter la pente de la pénurie énergétique actuelle et à mettre en place une structure durable capable d’arrêter l’hémorragie que représente l’émigration. En attendant le rétablissement du pays et la mise en application, à grande échelle, du schéma directeur de 2012, du ministère de l’Énergie et de l’Eau, qui prévoit 32 nouvelles centrales totalisant 368 mW. Dès lors, le champ de l’hydraulique serait en mesure d’assurer par ses anciennes centrales réhabilitées 289 mW, et grâce aux nouvelles installations 368 mW supplémentaires, donc un total de 657 mW, soit le cinquième des besoins du pays qui s’élèvent à environ 3.300 mW.

Les possibilités du photovoltaïque

Un grand retard caractérise également le champ du photovoltaïque dont le potentiel est loin d’être exploité. Le Liban dispose de deux atouts majeurs puisqu’il jouit de 300 jours d’ensoleillement par an et de 8 à 9 heures de lumière par jour qu’il faudrait mettre à profit. Les municipalités se doivent donc, en plus de l’effort sur l’hydraulique, d’utiliser les toitures des écoles, dispensaires, fermes et usines afin d’installer un maximum de panneaux solaires. Un parc de ce type a déjà fait ses preuves à Bchéelé en 2018 avec une production de 0.3 mW (mégawatt peak). De même, en 2019, la municipalité de Jabboulé a procédé à l’installation d’un parc pour 0.8 mW sur un terrain de 1.500 m2 appartenant au monastère.

La petite hydraulique

La solution, surtout aujourd’hui avec la déliquescence de l’État central, serait dans la petite hydraulique pour des turbines produisant entre 1 et 10 mW (par heure) pouvant être prises en charge par les collectivités. À cela viendrait s’ajouter un grand nombre de microcentrales individuelles produisant moins de 1 mW. Avec cet ensemble et avec l’aménagement de bassins en altitudes par les municipalités ou par les unions municipales, en jumelages avec des pays étrangers, la diaspora ou des ONG, il serait possible d’assurer le minimum énergétique nécessaire dans l’immédiat. La micro hydraulique (inférieure à 1 mW), pouvant être développée par le secteur privé, stimulera la concurrence et boostera le rendement communal.

Bassins sur les hauteurs du Liban.

Les bassins

Le but des bassins est de produire des chutes d’eau élevées, mais aussi de compenser la longue saison de sécheresse. N’oublions pas que 70% des précipitations annuelles sont concentrées dans une période de trois à quatre mois, et que certains cours d’eau sont à sec entre les mois d’août et de novembre. Les réserves d’eau en bassins sont donc une obligation pour permettre le bon fonctionnement de cette entreprise. Elles permettront aussi indirectement, de prolonger la période d’approvisionnement des cours d’eau. Parfois aussi, l’eau sera récupérée et pompée vers la réserve en amont en dehors des heures de pointe ou à l’aide de panneaux photovoltaïques.

Le problème actuel du Liban n’est pas lié à une carence en ressources, mais à un manque de volonté. Il est inconcevable de redresser le Liban sans d’abord libérer les esprits en s’affranchissant du mythe de la pauvreté et d’un modèle de gouvernance centralisé inadapté. Il faut dépasser notre condition de soumission à l’occupation milicienne des institutions étatiques, en nous dirigeant vers un développement des régions. Il convient enfin de prendre conscience de la réalité des données en termes de ressources sociales et naturelles afin de pouvoir les faire fructifier. Dans l’impossibilité de pouvoir libérer les institutions de l’État central, le régionalisme constitue l’unique moyen de retenir une jeunesse garante de l’avenir de notre pays.