Entre crise énergétique et défis climatiques, l’énergie nucléaire fait son grand retour, inattendu, dans plusieurs pays. L’atome devrait-il servir d’énergie alternative aux sources d’énergie fossiles? Solution pour certains, désastre écologique pour d’autres, le nucléaire demeure l’objet de fortes controverses.

La centrale de Woelsong, en Corée du Sud.

 

Les conséquences dramatiques des catastrophes nucléaires de Tchernobyl, en 1986, et de Fukushima, en 2011, marquent toujours les esprits. En 1986, le réacteur de la centrale nucléaire soviétique de Tchernobyl surchauffe et explose. La matière radioactive libérée a contaminé sur son passage la région de la centrale ainsi qu’une partie de l’Europe. Elle laisse derrière elle plus de 200 morts et sera durablement la cause de nombreux cancers et malformation de centaines de nouveau-nés.

Avril 1986, le bâtiment éventré de la centrale de Tchernobyl après l’explosion du cœur de son réacteur.

 

Au Japon, la centrale de Fukushima subit, en 2011, un tremblement de terre qui provoque un tsunami dont les vagues de dix mètres vont submerger le site. Les réacteurs nucléaires, noyés, entrent en fusion et provoquent de graves fuites radioactives. Si la catastrophe n’a pas eu des conséquences comparables à celle de Tchernobyl, l’horreur des images ont des répercussions majeures sur l’industrie nucléaire mondiale.

Au Japon le gouvernement annonce la fin de cette industrie pour 2040, et partout dans le monde les ingénieurs du nucléaire civil remballent leurs projets. L’Allemagne, la Belgique et d’autres pays européens ont ainsi programmé la fermeture graduelle de leurs centrales. L’opinion mondiale est à vif et l’on ne donne plus cher de l’avenir de la filière.

Les autorités japonaises poursuivent jusqu’à nos jours les opérations de filtrage de l’eau radioactive, onze ans après la catastrophe de Fukushima.

 

Pourtant, 11 ans à peine après Fukushima, les nucléocrates redressent la tête et les projets refleurissent partout. Y compris au Japon où le gouvernement vient d’annoncer la construction éventuelle de "réacteurs nucléaires de nouvelle génération ".

En effet, dans la lutte contre le réchauffement climatique, et face au défi énergétique posé par l’invasion russe de l’Ukraine, l’industrie nucléaire semble marquer de nombreux points.

Atome: un argument climatique

Le nucléaire, à l’image des énergies renouvelables (solaire, éolienne, hydraulique…), ne pose pas le problème de l’émission en quantités critiques de gaz à effet de serre.

Toutefois, cette industrie n’est pas totalement neutre en carbone. En effet, du CO₂ est libéré lors du processus d’extraction de l’uranium, de la construction et du démantèlement des centrales, mais également lors du transport du minerai et de son traitement. Ces émissions restent cependant très faibles comparées à celles émises par les sources d’énergies fossiles.

Vue de l’intérieur d’un réacteur nucléaire, avec sa cuve, ses barres d’uranium et les turbines à vapeur génératrices d’électricité.

 

L’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) indique que la quantité de CO₂ émise par le nucléaire est de 6 g par kWh contre 800 g pour une centrale de charbon moderne.

Le nucléaire l’emporte même face aux énergies renouvelables: l’éolien produit 10 g de CO₂ par kWh et le photovoltaïque en produit 50 g.

Le point fort de l’énergie atomique, c’est aussi sa productivité: la fission d’un gramme d’uranium dégage autant d’énergie que la combustion d’une tonne de pétrole. À masse égale, cela représente donc un million de fois plus d’énergie générée d’un mode de production à l’autre.

Au sommet du cœur du réacteur, chaque carré correspond à un bout d’une barre de combustible d’uranium.

 

Enfin, le nucléaire, c’est une énergie dite " pilotable ", qui peut être produite en fonction de la demande. Ce qui n’est pas le cas des énergies solaires, éoliennes qui dépendent du vent ou du soleil. L’énergie nucléaire est, elle, disponible à tout moment.

L’énergie nucléaire, semble ainsi répondre aux principaux défis climatiques et énergétiques actuels. Néanmoins, elle reste très fortement controversée.

Des risques trop élevés

L’un des principaux enjeux auquel doit faire face l’énergie nucléaire est le traitement des déchets radioactifs qu’elle produit.

Ces déchets sont extrêmement nocifs et très difficiles à éliminer. Ils peuvent endommager la biodiversité et causer de graves problèmes de santé. La radioactivité, et en conséquence la nocivité, des déchets peut durer plus de 100 000 ans. Un chiffre astronomique alors que, pour le moment, il n’existe aucune solution de stockage durable.

Des militants écologistes lors d’une action sur le site d’enfouissement de déchets nucléaires de Bure, en France.

 

Soulignons quand même que 97% de ces déchets demeurent plutôt inoffensifs. Leur radioactivité diminue au bout de quelques jours ou semaines et peuvent ensuite être retraités. Ce ne sont que 3% des déchets qui restent radioactifs pendant des centaines d’années.

Se pose aussi la question du coût et du délai de construction d’une centrale. À tous les stades, de la construction à l’entretien, jusqu’au démantèlement, l’industrie nucléaire coute cher.

Produire le moindre kWh impose un apport financier qui varie de 3 à 12 milliards de dollars selon le type de centrale. De plus, le temps de construction d’une centrale nucléaire peut s’étaler sur plusieurs années, voire plusieurs décennies.

C’est un argument majeur des détracteurs de l’atome qui considèrent que les trop longs délais ne permettent pas de répondre à l’urgence de la crise climatique actuelle.

Une opération typique des militants de Greenpeace près d’une centrale d’EDF.

 

Par ailleurs, l’industrie atomique s’expose à des risques techniques, climatiques, voire terroristes, dont les conséquences peuvent-être désastreuses tant sur le plan humain que sur le plan environnemental.

Dernier inconvénient, et non des moindres, le risque militaire ou stratégique. Plusieurs pays ont profité (prétexté?) du développement de leur programme nucléaire civil pour exploiter cette technologie à des fins militaires. D’ailleurs, avant même de penser à la génération de l’électricité, le premier pays nucléaire, les États-Unis, a investi dans le secteur dans le seul but de fabriquer la bombe atomique.

Cette arme a permis aux USA de hâter la fin de la Seconde Guerre mondiale en l’utilisant pour bombarder deux villes japonaises. La bombe " A ", suivie de la Bombe "H " et, plus tard, la bombe à neutrons, dans les arsenaux des États-Unis et de l’URSS, menaçaient la planète de " Destruction Mutuelle Assurée " lors de la Guerre froide.

 

 

De nos jours, ce sont des pays moins puissants qui menacent d’acquérir, ou ayant déjà acquis, la bombe atomique. Une arme relativement facile à fabriquer dans un pays disposant d’un programme nucléaire civil. L’exemple du programme nucléaire iranien en est le cas le plus connu, tant ce sujet a occupé l’actualité mondiale depuis deux décennies. Ailleurs, ce sont des pays récemment " nucléarisés " et disposant de l’arme atomique qui menacent la stabilité régionale et même mondiale. C’est le cas du Pakistan, de l’Inde et, surtout, de la Corée du Nord, dont le régime a fait de son arsenal nucléaire un outil de chantage géostratégique.

Le positionnement des pays

Le retour annoncé, plus que symbolique, du Japon dans l’industrie atomique marque une tendance plutôt générale dans le monde. De nombreux pays ont, en effet, exprimé leur volonté de développer leurs infrastructures nucléaires.

La Suisse conduit une expérience internationale portant sur le stockage de déchets radioactifs dans une installation souterraine.

 

La Chine, qui compte déjà 54 réacteurs, s’estime capable d’augmenter ses capacités d’ici à 2025. L’Association chinoise de l’énergie nucléaire estime que l’objectif national de six à huit réacteurs par an pourrait être porté à dix.

Dans le but de réduire leur dépendance au charbon, la Pologne, la République tchèque ou encore l’Inde s’inscrivent dans la même dynamique atomique que la Chine.

Le mouvement suit son cours également en France et au Royaume-Uni. Après avoir abandonné le projet de développer un générateur de quatrième génération en 2019, puis après avoir fermé les deux réacteurs de la centrale de Fessenheim début 2020, Paris a renversé la tendance. Le président Macron déclare à présent vouloir prolonger la vie des réacteurs existants et en construire six nouveaux.

Un conteneur japonais " MOX " de déchets radioactifs lors de son transbordement sur un navire, en direction de l’usine de traitement de La Hague, en France.

 

Les États-Unis, champions du monde en la matière avec leurs 92 réacteurs en fonction, confirment leur intérêt pour l’atome en repoussant de quatre ans la fermeture de leur dernière centrale en Californie. Le président Biden a accordé une subvention de 1,1 milliard de dollars à la compagnie Pacific Gas & Electric Co.

La Belgique, qui s’était pourtant lancée sur un chemin de désengagement du nucléaire, veut quant à elle prolonger deux réacteurs de dix ans. Le vent a l’air de tourner également en Allemagne, un des pays où la résistance contre le nucléaire est la plus forte, et qui a décidé de fermer ses trois dernières centrales fin 2023. Après une politique de non nucléaire, Robert Habeck, ministre du Climat a tout de même jugé que dans le contexte de guerre en Ukraine, la question d’un report pouvait être " pertinente ".

La centrale nucléaire de Grafenrheinfeld, en Allemagne.

 

En septembre 2021, l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) a annoncé qu’elle prévoyait, dans le scénario le plus favorable, un doublement de la production nucléaire mondiale d’ici à 2050. Présent dans 32 pays, l’atome fournit à ce jour 10% de la production électrique mondiale. La France reste le pays le plus dépendant de l’atome, le secteur nucléaire produisant 70% de l’électricité dans l’Hexagone.