Alors que le couple franco-allemand se prépare successivement à rencontrer Vladimir Poutine au sujet de l’Ukraine, Ici Beyrouth fait le point sur la situation qui reste extrêmement tendue aux portes de l’Europe. Pour le politologue Nicolas Tenzer, "il ne peut pas y avoir de dialogue avec la Russie".

Depuis l’Élysée, le président Emmanuel Macron s’est entretenu au téléphone avec ses homologues russe Vladimir Poutine pendant 45 minutes, ukrainien Volodymyr Zelensky durant une heure environ et polonais Andrzej Duda, après avoir parlé à l’Américain Joe Biden tard mercredi. A l’issue, le Kremlin a salué "un dialogue constructif" à la fois sur l’Ukraine et sur "l’initiative russe pour instaurer des garanties juridiques à long terme concernant la sécurité de la Fédération de Russie".

Le chef de l’État français se rendra à Moscou lundi prochain, puis à Kiev. Son homologue allemand lui emboitera le pas dans la semaine, signe d’un intense balai diplomatique en préparation. Emmanuel Macron est "persuadé" de la "nécessité" d’avoir un "dialogue direct" avec Vladimir Poutine car "cela permet d’avoir des avancées", explique-t-on à l’Élysée.

Mais la France peut-elle établir un rapport de force efficace avec la Russie, alors que l’armée russe est aux portes de l’Europe ? Pour Nicolas Tenzer, enseignant à Sciences-Po et politologue spécialiste de la Russie,  "la France n’est pas en mesure d’établir un rapport de force sérieux avec le régime russe. L’Europe seule ou la France seule n’ont pas les moyens de peser sur le dossier ukrainien. Poutine doit avoir conscience que le président Macron est soutenu par les Etats-Unis. Concrètement, l’essence du rapport de force, c’est d’une part, la capacité d’une riposte militaire, et deuxièmement, la possibilité de sanctions à l’égard du premier cercle de Poutine, c’est-à-dire des oligarques", selon M. Tenzer.

Ces sanctions pourraient se concrétiser par la confiscation des avoirs à l’étranger des proches du régime, ou l’interdiction de voyage pour eux et leur famille. "Je suis d’avis que ces sanctions auraient dû être en place depuis longtemps", estime Nicolas Tenzer, revenant sur les buts ultimes du Kremlin : "Ce que Poutine essaie de faire, c’est de diviser le front commun européen et américain. Heureusement il a partiellement échoué sur ce point. C’est pour cette raison qu’il exigeait de parler uniquement à Biden, il y a quelques semaines". Qu’espérer de telles discussions avec l’ex-agent du KGB ? Pour le politologue, il faut être prudent avec le vocabulaire employé, afin de ne pas donner trop de crédit à Poutine. "J’estime qu’on ne peut parler de ‘dialogue’ avec la Russie. Au-delà des mots, Poutine se dit qu’il est intéressant de discuter avec Macron, car il espère toujours l’amadouer. Les dirigeants Allemands et Italiens sont aussi perçus comme de potentiels maillons faibles en Europe. Vladimir Poutine a dit de Macron "c’est le seul avec qui je peux avoir des discussions solides et sérieuses". Nous sommes dans le registre de la flatterie, il y a une dimension psychologique ".

" Zones d’influences "

Au niveau idéologique, la démarche de Vladimir Poutine à l’égard des ex-républiques soviétiques pose question. Si certains légitiment cette vision prorusses des événements par le passé, d’autres caractérisent cette démarche comme fascisante. "L’objectif intermédiaire de Poutine est de remettre complètement la main sur l’Ukraine, le Bélarus, garder la Transnistrie, mettre la main sur le Caucase. Les troupes russes sont présentes en Arménie et dans une partie de l’Azerbaïdjan, mais aussi en Géorgie et au Kazakhstan. Le but est d’empêcher que ces pays ne rejoignent l’Europe et d’en faire une zone de désordre majeure qui ne pourra jamais s’affirmer de manière indépendante vis-à-vis de la Russie", explique M. Tenzer.

"Derrière tout cela, il y a une volonté idéologique plus profonde, nihiliste, destructrice. La Russie sait parfaitement qu’elle ne pourra contrôler partout, il s’agit donc de saper l’ordre libéral sur le plan des principes et des valeurs qui avait été mis en place en 1975 avec les accords d’Helsinki, puis avec la chute du mur de Berlin. Détruire cet ordre est son objectif. Il veut également faire d’une pierre deux coups : montrer que l’Occident est "décadent", qu’il défend des valeurs de liberté, d’humanisme et les droits de l’homme, mais qu’il n’y arrive pas. Poutine leur dit "regardez ce que je fais depuis 22 ans, crimes de guerre, révision des frontières, interventions militaires en Syrie, et vous Occidentaux n’avez rien fait".

En Europe, le chef du Kremlin a essayé de tisser des liens avec des dirigeants populistes. "Il a essayé avec Orban en Hongrie et Salvini en Italie. Les populistes sont toujours sur des points de bascules, inconstants, en Italie notamment sous Berlusconi, rappelle Nicolas Tenzer. Mais vous avez aussi des pouvoirs faibles, des leaders mainstream comme en Allemagne qui vont rester sur une sorte de réserve. On a une inconstance des dirigeants occidentaux avec le discours illibéral de Poutine".

En montant en première ligne dans la crise ukrainienne, le président français devra faire face à l’intransigeance du maître du Kremlin. Un pari risqué pour le président presque candidat à sa réélection. Les précédentes séquences sur le dossier du nucléaire iranien et de la crise libanaise, malgré son intense implication, n’avaient pas recueillis les succès escomptés.

Les analyses de Nicolas Tenzer sont à retrouver sur https://tenzerstrategics.substack.com

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