Depuis les tsars, en passant par l’URSS et jusqu’à la fédération russe, la vulnérabilité de la Russie est toujours la même : ses frontières-ouest, géographie oblige. La plaine nord-européenne qui s’étend de la France jusqu’à l’Oural, avec des barrières naturelles insignifiantes, est une voie ouverte pour les conquérants de la Russie. Cette plaine a été à plusieurs reprises le passage utilisé par les envahisseurs qui avaient frappé à la porte de Moscou, notamment la Pologne, la France de Napoléon et l’Allemagne d’Hitler. Moscou avait pratiquement poussé sa frontière occidentale jusqu’en Allemagne en 1945 et l’avait gardée ainsi jusqu’à la chute du mur de Berlin.

Toutefois, cela avait laissé les frontières de la Russie sans ancrage physique (barrières naturelles), mais elle avait la profondeur stratégique qui aurait obligé les conquérants éventuels à affronter l’armée rouge et ses alliés sur une distance de deux mille km avant d’atteindre Moscou. Par conséquent, pousser toujours vers l’Ouest sur la plaine nord-européenne est une aspiration constante pour les Russes. Saint-Pétersbourg était à environ mille six cent kilomètres des troupes de l’OTAN en 1989, avant la chute du mur de Berlin. Elle en est maintenant à moins de cent cinquante kilomètres. En 1989, Moscou était à deux mille km des vraies frontières de l’empire russe et maintenant elle en est à trois cent kilomètres seulement.

Des pays de l’ex-Pacte de Varsovie sont maintenant membres de l’OTAN. De plus, les pays qui faisaient partie de l’ex-URSS même ont démontré une volonté de rejoindre l’OTAN, et les premiers l’ayant effectivement fait furent les trois pays Baltes: la Lituanie, l’Estonie et la Lettonie en 2004. Quand la Géorgie, qui faisait également partie de l’ex-URSS avait essayé de rejoindre l’OTAN, ce fut le pas de trop qui mena à son invasion par l’armée russe et ce fut le coup d’arrêt net de la contagion OTAN.

Le cas de l’Ukraine est similaire à celui de la Géorgie. Depuis 2014, la Russie fait pression pour l’empêcher d’adhérer à l’alliance Atlantique, en encourageant les séparatistes russophones de Donbas et en annexant la Crimée. L’OTAN qui s’était distrait trop longtemps au Moyen-Orient avec les guerres contre l’Irak de Saddam Hussein, puis contre l’État islamique, s’est ressaisie avec la guerre de 2014 en Ukraine. Le théâtre eurasien est en effet beaucoup plus important que le Moyen-Orient, et avec la pression de Washington, l’OTAN a décidé de réorienter ses ressources vers l’Europe, et les États-Unis vers l’Extrême-Orient, pour contrer la résurgence russe d’une part et le réveil chinois d’autre part.

Ainsi, les forces de l’OTAN devenaient de plus en plus actives ces dernières années dans les pays Baltes, en Pologne, Roumanie, Bulgarie et en Ukraine même, induisant une perception de danger à Moscou qui se sent réellement menacée par une percée occidentale dans les républiques de la Fédération russe, ce qui explique les concentrations de troupes autour de l’Ukraine depuis des mois et le début des opérations militaires sur le territoire ukrainien durant les derniers jours.

L’Ukraine est perçue par Vladimir Poutine comme un flanc mou, et représente pour lui un intérêt vital vu qu’elle pourrait être un tremplin occidental vers la Russie. Cela veut dire que rien n’arrêtera l’offensive russe avant de réaliser les objectifs vitaux pour Moscou qui se résument à assurer la neutralité de l’Ukraine à travers des textes constitutionnels comme ce fut le cas de l’Autriche au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale. Ce fut la réalisation de cette condition qui assura le retrait des troupes soviétiques du territoire autrichien.

Poutine n’hésitera pas à aller plus loin, voire installer à Kiev un gouvernement comme celui de Loukachenko en Biélorussie, qui lui sera vassalisé et noyauté par les notables de la communauté russe en Ukraine (16 % de la population). En contrepartie, l’Occident ne s’immiscera plus en Ukraine vu que ses intérêts vitaux ne sont pas en jeu, et que l’Ukraine n’est pas membre de l’OTAN. Poutine gagnerait donc sur ce chapitre mais à un prix élevé, vu la volonté et les moyens de résistance disponibles chez le peuple ukrainien. Par contre, il lui sera difficile d’assurer le retrait des forces de l’OTAN de l’Europe de l’Est.

L’action militaire russe va à l’encontre de l’aspiration du peuple ukrainien désireux de s’émanciper et de se doter d’un régime semblable aux démocraties occidentales. Toutefois les réalités géopolitiques font souvent voler en éclats les libertés et les aspirations nationales des peuples ; on en sait quelque chose dans ce Moyen-Orient en éternelle instabilité.