
Au sixième jour de la guerre entre l’Iran et Israël, l’État hébreu déploie une défense aérienne sophistiquée, parvenant à intercepter des missiles iraniens au-dessus de territoires aussi vastes que le Liban, la Syrie ou l’Irak. Derrière cette prouesse technologique, se cache un réseau complexe de radars, d’intelligence artificielle (IA) et de coopération militaire internationale. Comment fonctionne ce bouclier multiforme? Et jusqu’où peut-il tenir?
Un rempart technologique multicouche
Pour contrer les tirs de missiles iraniens, Israël s’appuie sur une architecture défensive stratifiée, conçue pour intercepter des projectiles de portées variées. À sa base, le célèbre Dôme de fer, épaulé par la Fronde de David, les systèmes Arrow 2 et Arrow 3, ainsi que les missiles Patriot et le système THAAD américain, chacun jouant un rôle distinct dans cette mécanique de précision.
Avant d’aborder la complexité de ces couches, commençons par comprendre le cœur de tout système d’interception: le radar.
«Tout repose sur lui», explique le général à la retraite, Khalil Hélou, dans un entretien accordé à Ici Beyrouth. «Il détecte la menace et transmet les données, en une fraction de seconde, à un centre de traitement des informations qui anticipe le point d’impact de l’ogive ennemie. À partir de là, une batterie connectée entre en action et l’ordre de tir est automatiquement donné», souligne-t-il. L’intelligence artificielle, intégrée à l’ensemble du processus, joue ici, selon lui, un rôle clé dans l’analyse et la rapidité de réaction.
Les phases d’interception: une course contre la vitesse
Intercepter un missile est une opération d’une extrême complexité, qui dépend de la phase de vol de la menace. «Lorsqu’un missile est encore dans sa phase de lancement ou d’ascension, sa vitesse reste modérée. C’est là qu’il est le plus vulnérable», explique le général Hélou.
«Mais en phase de rentrée, lorsqu’il plonge vers sa cible, il peut atteindre près de 5.000 km/h. Il devient alors très difficile à intercepter, à moins d’une précision opérationnelle», poursuit-il. Et d’enchaîner: «Certains systèmes, comme le Dôme de fer, n'ont pas besoin de percuter la cible: ils l'approchent, explosent à proximité et la désintègrent par effet de souffle. D’autres, comme le THAAD, doivent impérativement frapper de plein fouet: ils ne contiennent aucun explosif, mais leur impact cinétique est suffisant pour neutraliser le missile ennemi».
Tour d’horizon des systèmes israéliens
Le Dôme de fer, première ligne de défense, est composé de batteries réparties sur tout le territoire. Chaque unité dispose de 3 à 4 lanceurs, équipés chacun de 20 missiles intercepteurs. Il peut neutraliser des obus, des roquettes Katioucha et des missiles de courte portée (4 à 70 km). Malgré l’affirmation israélienne d’un taux de réussite de 90%, les estimations indépendantes évoquent plutôt 75 à 80%, comme le note le général Hélou.
La Fronde de David entre en action pour les missiles de moyenne portée (jusqu’à 300 km). Elle est intimement connectée au Dôme via des passerelles informatiques et une IA commune, offrant ainsi une continuité défensive fluide.
Arrow 2 et Arrow 3 viennent compléter l’arsenal. Le premier détecte les menaces à 500 km et les intercepte à 100 km. Le second atteint des cibles à 2.400 km et c’est notamment lui qu’on a observé en action ces derniers jours, interceptant des missiles iraniens au-dessus du Liban et de la Syrie.
Le soutien américain: une pièce maîtresse
Outre les systèmes israéliens, deux dispositifs américains viennent renforcer le bouclier: les missiles Patriot (portée jusqu’à 160 km), capables de neutraliser des missiles balistiques ou de croisière, des drones ou des avions, et le THAAD, spécialisé dans l’interception à très haute altitude, en phase terminale.
Opérés par les États-Unis, mais intégrés au réseau israélien, ces systèmes forment un parapluie conjoint. «On estime qu’au moins deux batteries THAAD sont déployées en Israël (sur les sept existant dans le monde)», indique le général Hélou. Pourtant, tout n’est pas infaillible: deux missiles venus du Yémen ont récemment échappé à ce système ultra-sophistiqué, «renforçant les doutes sur sa fiabilité en conditions réelles», signale-t-il.
Si l’aide américaine représente une grande partie du soutien à Israël, d’autres pays sont également impliqués dans le processus de défense. Les Britanniques opèrent depuis leurs bases à Chypre où sont stationnés 16 à 18 avions de chasse, selon des chiffres fournis par le général Hélou. Une présence qui a d’ailleurs suscité des menaces explicites de l’Iran envers Nicosie. Ce contexte a poussé le président chypriote à proposer une médiation, laquelle proposition est restée sans suite.
Les Français, eux, disposent de quelques appareils stationnés à Amman, sans base régionale permanente. Quant aux Américains, leurs porte-avions sont trop éloignés pour jouer un rôle direct: c’est donc encore depuis Chypre que s’organise l’essentiel du soutien aérien.
Les stratagèmes iraniens: ruser plutôt que frapper fort
Téhéran, de son côté, «n’a pas dit son dernier mot», lance le général Hélou. D’après lui, et grâce à l’expérience acquise en 2023, l’Iran combine tactique, saturation et subterfuge pour contourner les défenses adverses.
Sa méthode? Envoyer d’abord des essaims de drones, difficilement détectables par radar terrestre, pour détourner l’attention. «Ces drones, souvent abattus au-dessus de la Syrie ou de l’Irak, servent à saturer les défenses aériennes. Pendant que les Israéliens mobilisent les radars et les chasseurs, les missiles sont lancés», explique l’expert militaire. Le calcul est, selon lui, précis: un drone met 4 à 5 heures à atteindre Israël, un missile, seulement 15 à 20 minutes. Le but est clair: submerger les défenses en frappant au moment exact de leur dispersion.
Autre carte dans la manche de Téhéran: les missiles de croisière. «Contrôlables en vol, ils peuvent modifier leur trajectoire, voire leur cible. Ils sont lents (900 km/h), mais volent à très basse altitude, ce qui les rend extrêmement discrets», enchaîne-t-il. Leur point faible? Pour frapper, ils doivent remonter en altitude et c’est là qu’ils deviennent vulnérables.
Il n’en demeure pas moins que, malgré ces efforts, le bilan reste lourd pour l’Iran. «Sur une quarantaine de missiles lancés, seuls 3 ou 4 atteignent leurs cibles. Un taux d’impact de 10% qui, s’il paraît faible, représente malgré tout un prix humain, économique et psychologique non négligeable pour Israël», note le général Hélou.
Entre sophistication technologique et stratégies de diversion, la guerre des airs entre l’Iran et Israël ne cesse de s’intensifier. Or, lorsque l’on sait que Téhéran est livré à lui-même et que son potentiel militaire n’est pas sans fin, la question est de savoir jusqu’à quand ce conflit, aux ramifications de plus en plus complexes, s’étendra.
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