Le Hezbollah après la mort de Hassan Nasrallah
©Ici Beyrouth

Septembre noir pour le Hezbollah. Il est 18h30 en ce 27 septembre 2024, lorsqu’une secousse d’ampleur ébranle non seulement la banlieue sud de Beyrouth et ses environs, mais aussi «le parti de Dieu», qui, en l’espace de quelques secondes, a vu sa chute libre s’amorcer. Hassan Nasrallah, figure tutélaire, maître incontesté de la formation pro-iranienne, considéré comme quasi-intouchable, est tué dans une frappe israélienne.

Au-delà de la perte d’un chef, c’est une colonne vertébrale qui s’est brisée. Dès lors, la machine politico-militaire du Hezbollah, longtemps perçue comme invincible, ne cesse de s’essouffler, révélant fissures, contradictions, mais aussi une lente dégradation de son influence. Plusieurs analyses soulignent que cette élimination a mis à nu la profondeur de l’infiltration israélienne dans l’appareil sécuritaire du Hezbollah ainsi que l’usure d’un système reposant sur l’autorité d’un seul homme. Il n’est pas sans dire que la disparition de Hassan Nasrallah a privé la branche armée de son stratège et de son ciment idéologique, faisant d’elle une composante de plus en plus fragilisée.

Pour les partisans du Hezb comme pour le reste de la population, les signes d’un affaiblissement militaire se multiplient. Longtemps présenté comme invincible, la formation a dès lors été contrainte de recomposer en urgence sa direction, avec un état-major fragmenté et privé de la vision centralisatrice de Nasrallah.

Sur le terrain, les pertes se comptent par milliers, tandis que les frappes israéliennes touchent désormais non seulement le sud, mais aussi des zones éloignées comme la Békaa et le Hermel. La milice, qui prétendait imposer le tempo de la confrontation, se retrouve à réagir sous pression et non plus à dicter les règles du jeu. La résilience de son appareil militaire existe encore, mais elle fonctionne désormais dans un environnement d’attrition où les coûts humains, financiers et logistiques deviennent écrasants. Et lorsque le bras armé tremble, la vitrine politique chancelle.

Un affaiblissement militaire qui rejaillit sur le politique

Il faut dire que le Hezbollah a toujours lié sa légitimité à sa puissance militaire. En 1985, année de sa création, il se définissait dans sa «Lettre ouverte» (une sorte de charte fondatrice) comme une «nation» plutôt qu’un simple parti. Il se voulait aussi porteur d’un projet islamique transnational, aligné sur la wilayat el-faqih iranienne et voué à la destruction d’Israël et à l’instauration d’un régime islamique au Liban. L’ennemi était clair: Israël, les États-Unis, la France, les Phalanges. Le ton, martial et absolu, prônait le sacrifice et le jihad sans concession. À l’époque, chaque combattant se voulait soldat d’une cause plus vaste que le Liban, prêt au sacrifice suprême pour Jérusalem. Mais ce souffle idéologique s’est progressivement dilué.

Si ce déclin s’est violemment manifesté au lendemain du 27 septembre 2024, un précédent «changement de ton» a marqué les esprits. Nous sommes en 2009 lorsque le ton change. On passe alors du rêve islamique à la position défensive. La rhétorique se fait moins absolue: sans renier la «Résistance», on parle désormais de souveraineté, de dignité, de rôle régional. Le Liban était présenté comme une patrie commune et le Hezbollah se revendiquait partie intégrante du système politique, tout en légitimant la coexistence de son armée parallèle avec l’armée régulière. C’est un tournant stratégique, analysé par de nombreux chercheurs, marquant l’entrée du mouvement dans une phase de «normalisation politique».

Aujourd’hui, après la guerre déclenchée en octobre 2023, mais aussi et surtout après la mort de l’ancien leader de la formation en septembre 2024, le langage est d’une autre nature. Les envolées idéologiques des années Nasrallah laissent place à un discours plus défensif, presque plaintif. On insiste sur la survie de la «Résistance» et sur la menace israélienne permanente. Les envolées idéologiques d’antan semblent éteintes. Le Hezbollah ne parle plus de conquête ni de modèle islamique pour le Liban, mais de résilience face aux «campagnes de diabolisation». Le souffle épique a laissé place au vocabulaire d’un groupe acculé qui cherche à préserver l’essentiel: sa survie politique.

Le 16 février 2025, lors de la «Journée des dirigeants martyrs», Naïm Qassem, le nouveau secrétaire général du Hezbollah, exige un retrait israélien complet et dénonce les restrictions imposées aux vols iraniens vers Beyrouth, révélant l’ampleur de la dépendance logistique à Téhéran. Le 5 août de la même année, il assure que «la Résistance est forte et prête» – une formule qui sonne davantage comme une injonction à tenir que comme une promesse de victoire. Et lorsque, à la mi-août, il rejette les plans de désarmement discutés au Conseil des ministres, il conditionne toute concession à un cessez-le-feu israélien et à l’adoption d’une stratégie nationale de défense. Même au début du mois de septembre 2025, alors que le gouvernement libanais accueille officiellement le plan de l’armée pour le monopole des armes, Naïm Qassem se contente de parler d’«opportunité» si Israël se retirait, signe qu’il n’est plus en position d’imposer, mais bien de négocier.

Le rêve d’une «nation» qui se délite

Ce glissement rhétorique révèle une mutation profonde. Le Hezbollah, qui proclamait en 1985 ne pas être «un parti étroit mais une nation», et qui se présentait en 2009 comme acteur intégré au système libanais, apparaît aujourd’hui comme un appareil partisan assiégé, une faction sur la défensive, enfermée dans des calculs communautaires et des batailles de survie, parlant moins de conquête que de survie.

Son agenda s’est réduit à préserver une influence parlementaire, à défendre ses bastions au sud, dans la Békaa, à Baalbeck-Hermel et dans la banlieue sud de Beyrouth, ainsi qu’à maintenir la fiction d’une résistance, alors même qu’une partie croissante de la population libanaise exprime son exaspération. Les municipales de 2025 ont illustré cette lassitude: si la mobilisation est restée forte dans les bastions chiites, ailleurs, la participation a été faible et marquée par une défiance croissante.

La fragilité militaire et politique est aggravée par une asphyxie financière. Les sanctions américaines visent directement les circuits de financement du Hezbollah, compliquant le transfert de fonds et fragilisant le système de redistribution sociale sur lequel la formation fonde une part de sa légitimité. Israël, de son côté, accuse l’Iran d’acheminer des valises de devises via l’aéroport international de Beyrouth – accusations rejetées (à tort) par le Hezb mais qui témoignent de l’importance vitale de ces flux. L’organisation, autrefois capable de se présenter comme autosuffisante, se retrouve désormais exposée, contrainte de justifier ses sources de financement et d’admettre sa dépendance accrue à Téhéran.

Au final, la mort de Nasrallah a révélé une vérité que beaucoup entrevoyaient déjà. De la «nation-Résistance», il ne reste qu’une faction, dont la survie dépend désormais de paramètres qu’elle ne contrôle plus seule: cessez-le-feu, retrait israélien, sanctions internationales et, peut-être demain, une véritable stratégie nationale adoptée par le Liban. Certes, l’organisation conserve sa force militaire, mais celle-ci est affaiblie et sur la défensive. Elle demeure présente dans le jeu politique, mais est de plus en plus contestée. Le Hezbollah n’aura donc toujours pas disparu, mais il a cessé d’être une évidence.

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