Gap Law: un coup porté aux caisses de retraite et une absolution accordée à l’État aux dépens des déposants
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Ces derniers jours, Nawaf Salam est apparu en messie, annonçant aux Libanais que le gouvernement avait élaboré un projet de loi constituant, selon ses termes, une « feuille de route claire pour sortir d’une crise qui dure depuis trop longtemps » : le projet de loi sur l’écart financier, ou “Gap Law”.

Nous ne répéterons pas ici les détails dévastateurs de ce texte, qui anéantit les banques et leurs capitaux, avec eux les déposants et le secteur privé, prive les retraités de leurs droits et les expatriés du fruit de toute une vie de travail, et accorde à l’État libanais une quittance générale pour des décennies de gaspillage, de corruption et de spoliation.

Ce projet de loi, qui fait porter aux banques la totalité de la couverture de l’écart financier tout en exonérant l’État — ainsi que la Banque du Liban — de toute charge réelle, a suscité une colère grandissante dans la rue, non seulement parmi les déposants, mais aussi au sein des syndicats, des associations, des professions libérales et des piliers du secteur privé.

Le projet de loi sur l’écart financier comporte des lacunes fondamentales portant atteinte à des droits acquis et essentiels, au premier rang desquelles l’absence totale de dispositions explicites et claires protégeant les fonds et les dépôts des syndicats et des caisses de retraite. Ignorer le sort des fonds de retraite ne peut en aucun cas être considéré comme un détail secondaire, ni comme une question pouvant être reportée ou éludée. Les avoirs des syndicats et des caisses de retraite sont des droits privés et sacrés appartenant à leurs bénéficiaires, et il est inadmissible d’y porter atteinte sous quelque prétexte ou intitulé législatif que ce soit.

De nombreuses interrogations se posent dès lors sur le projet de loi préparé par le gouvernement : comment Nawaf Salam peut-il le présenter comme une étape réaliste et équitable vers la restitution des droits et l’arrêt de l’effondrement, alors même que les positions exprimées ces derniers jours par les principaux syndicats, organismes et experts contredisent frontalement ses propos ?

Le barreau de Beyrouth a estimé que le projet de loi sur l’écart financier équivaut à un effacement des dépôts plutôt qu’à leur restitution. Il a souligné que le texte proposé consacre et légalise la catastrophe subie par les déposants, notamment en transformant ce que l’on appelle les « pertes sur les dépôts » en une réalité juridique imposée par la loi. Le barreau a également exprimé sa crainte que « le projet de loi sur l’écart financier ne vise à refermer une crise vieille de plusieurs années au lieu de la résoudre, à effacer les dépôts plutôt qu’à les restituer, et à absoudre les responsables de l’État et les détenteurs du pouvoir durant une période marquée par le gaspillage des fonds publics, la mauvaise gestion et la corruption, ayant conduit à la catastrophe majeure de 2019 ».

L’Ordre des Chirurgiens-Dentistes a, de son côté, rejeté ce qui figure dans l’avant-projet de loi sur « l’écart financier » en raison de la négation de la spécificité des caisses des professions libérales en général, et en particulier de la caisse de retraite et de solidarité propre au syndicat. Dans sa lettre, le syndicat a affirmé que le chirurgien-dentiste libanais, qui a affronté au cours des dernières années les crises économiques et sociales les plus sévères, mérite aujourd’hui la protection de ses droits sociaux et ne doit pas voir ses économies ciblées. Il a averti que toute ponction ou tout report à long terme de ces fonds porterait atteinte à la sécurité sociale du corps médical et causerait des préjudices graves à l’ensemble des médecins affiliés au syndicat.

Le syndicat des enseignants a également élevé la voix pour dénoncer le fait que la loi sur l’écart financier ne prévoit aucun mécanisme clair concernant le traitement des fonds syndicaux et des caisses. Les caisses de retraite syndicales constituent un filet de sécurité sociale, puisqu’il s’agit de cotisations privées destinées à garantir la vieillesse, et non de dépôts d’investissement ou de fonds spéculatifs.

Les industriels ont eux aussi exprimé leur vive inquiétude, estimant que si le projet de loi du gouvernement conduit à l’effondrement des banques, le pays sera confronté à une catastrophe majeure : les avoirs des industriels s’évaporeront, et surtout, l’atteinte portée au secteur bancaire signifiera la disparition définitive de tout espoir de rétablir des lignes de financement pour les investissements industriels et la maintenance des usines. C’est là que réside la véritable catastrophe. Le texte, dans sa forme actuelle, indique clairement que la charge principale de l’écart financier incombera aux banques, ce qui équivaut, de facto, à prononcer leur faillite.

Par ailleurs, il est attendu que les professions libérales et les organismes économiques convoquent une réunion élargie afin d’adopter une position unifiée sur le projet de loi et de coordonner, le cas échéant, les démarches syndicales et juridiques d’escalade nécessaires, en défense des droits à la retraite et pour la préservation de la sécurité sociale et professionnelle. Des sources issues des professions libérales et des instances économiques soulignent que le projet de loi sur le redressement financier et la restitution des dépôts — dit « loi sur l’écart financier » — devrait constituer un texte législatif fondamental ouvrant la voie à une phase de relance financière et économique au Liban, et non un projet destructeur. En l’état, ce texte frappe indistinctement les déposants, petits et grands, et vise tout particulièrement les fonds des syndicats et des professions libérales, puisqu’il entraîne des ponctions massives sur les dépôts.

La majorité des experts et des juristes affirment que le projet de loi proposé ne repose sur aucune base objective, qu’il contredit les principes constitutionnels généraux et l’article 15 de la Constitution, ainsi que les principes de justice, d’égalité et de respect des conventions et des droits de l’homme. Il exonère en outre l’État de ses obligations et de l’exécution de ses engagements. De plus, l’application de la hiérarchie des créances (Hierarchy of Claims) pour combler le déficit de la Banque du Liban conduira à une ponction sur les dépôts des épargnants, aggravant encore des distorsions déjà existantes.

Quant à l’État, qui s’est totalement dérobé à ses responsabilités dans ce projet de loi, les registres officiels de la Banque du Liban montrent qu’il lui est redevable d’au moins 16,5 milliards de dollars – une somme que l’État a reconnu avoir dépensée pour le remboursement des eurobonds, de leurs intérêts et d’autres engagements, sans qu’aucun mécanisme de remboursement ne soit défini, ce qui équivaut à des promesses sans suite.

À cela s’ajoutent de nouvelles dettes contractées par l’État après 2019, dépassant 13 milliards de dollars : 10 milliards résultant des politiques de subventions aux carburants et autres mesures adoptées par le gouvernement de Hassan Diab, et 3 milliards de dollars payés par la Banque du Liban pour le compte de l’État afin de rembourser des prêts dus à des institutions et fonds internationaux, ainsi que pour l’achat de fuel destiné à Électricité du Liban entre 2020 et 2023.

Ainsi, l’État est redevable envers la Banque du Liban, directement ou indirectement, d’environ 30 milliards de dollars, tandis que le gouvernement propose un projet de loi qui accorde à l’État une absolution totale au détriment des comptes des déposants.

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