Inaugurée le 24 novembre, l’exposition, organisée dans le cadre du cycle des "expositions collectives" de la galerie Jacques Ouaiss, se poursuivra jusqu’au 3 décembre. Trois artistes, trois univers aux antipodes qui nous régalent par leur diversité et leur talent: celui de la céramique avec Nayla Sirgi, de la photographie avec Jay Nehmé, et de la peinture avec Rached Bohsali.

Nayla Sirgi, céramiste formée à l’école de Nathalie Fayad durant sept ans, influencée par l’artiste Annie Morris – artiste britannique créatrice, entre autres, de boules en verre et en résine –, nous présente deux séries d’œuvres en céramique.

La première, composée de vases et d’assiettes, est intitulée "Eaux troubles", en souvenir d’une période sombre tant politique que sanitaire ayant déteint sur le travail de l’artiste, la poussant à triturer les pièces montées, les tordre, les déformer à souhait pour leur faire épouser son humeur du moment. Vases et assiettes prennent ainsi des formes originales, plates ou rebondies, pleines de caractère et de fantaisie. Ces pièces fascinent aussi par leurs couleurs chaudes et chatoyantes, grâce au vernis et aux éclats de verre colorés que l’artiste ajoute à la terre en jouant des imprévus de la couleur et qui, sous l’effet de la chaleur extrême du four, viennent se fondre subtilement à l’argile, créant des mélanges fascinants.

La deuxième collection baptisée "Totems" est composée de luminaires ou objets "design". Le totem, symbole de la force sacrée, ayant servi dans les civilisations anciennes à raconter des histoires, est utilisé par l’artiste comme message de positivité et d’espoir dans une quête d’élévation et de transcendance. La série absolument inédite propose un récit dont le langage se conjugue à la verticale gâce à la superposition de plusieurs éléments asymétriques – montage de boules colorées, fruits, légumes, galets; galets qui rappellent les vagues dont le va-et-vient incessant sculpte la matière.

Nayla Sirgi façonne l’argile, teste sa malléabilité, se joue du matériau, se plie à ses caprices, tente de le dompter, se laisse parfois mener par les heureux accidents du hasard dans une constante recherche d’équilibre entre espace, couleur, forme et matière.

On parcourt encore l’espace de la galerie pour aller à la rencontre du deuxième artiste.

Jay Nehmé, diplômé en audiovisuel de l’Académie libanaise des beaux-arts (Alba), producteur de films et publicitaire, nous transporte dans l’univers stylisé de la photographie.

Le noir et blanc en tant que langage intemporel est choisi d’emblée par l’artiste pour capter l’essentiel du cadrage et de la composition, renforcer les contrastes d’ombre et de lumière, exploiter les différences de formes et de volumes, accentuer les effets de perspective pour une plus grande force d’expression. L’artiste s’identifie au street art où rien n’est artificiel ou posé. Il se décrit lui-même comme un "franc-tireur" dont le regard saisit l’image au vif, "on the spot", sans montages ou effets spéciaux pour une improvisation naturelle et spontanée. L’œil de l’artiste se saisit ainsi de toutes les opportunités offertes par le hasard ou l’environnement naturel pour capturer des images-proies qu’on ne se lasse pas d’admirer.

L’artiste joue aussi sur l’exagération des angles de vision et s’amuse comme un magicien avec les effets spéculaires de miroir pour créer le dédoublement des éléments, en accuser la dualité. La répétition des lignes circulaires ou verticales permet ainsi la stylisation et l’expressivité du langage. Le reflet arrondi des verres d’alcool dans un bar miroir se répète à l’infini dans une sorte de mise en abyme. Des immeubles filmés en contre-plongée semblent s’élancer vers le ciel dans une sorte de mouvement aérodynamique. Certaines images surprennent un "tête-à-tête" d’amoureux oublieux du monde, sur une plage dont l’horizon se déploie à l’infini, ou encore d’infimes silhouettes perdues dans l’immensité d’un désert pour marquer la petitesse et la fragilité de l’homme face à l’univers.

Le troisième volet de l’exposition laisse découvrir les œuvres du peintre Rached Bohsali, architecte et peintre, professeur d’art et de design à l’AUB ayant exposé un peu partout dans le monde arabe, en Europe et aux États-Unis.

L’artiste utilise plusieurs supports, toiles ou métaux et reprend, entre autres, le thème des galets sur fond d’infini intersidéral; galets dont la brillance colorée se détache sur un fond tout noir, une sorte d’espace abstrait au silence pesant. Ces œuvres symbolisent selon l’artiste le destin tragique de l’humanité jetée dans le vide, abandonnée à l’absurdité du néant. Ailleurs, l’infini intersidéral se transforme en galaxie joyeuse habitée par les notes de musique qui flottent, légères et aériennes. Sur une autre toile, ces mêmes galets deviennent pierres lancées lors d’une révolution, mais sont cernés par des barbelés, signe d’oppression du peuple.

L’artiste oscille dans ses œuvres entre gravité et légèreté, mais finit par prendre le parti de l’insouciance. Des colombes semblent ainsi s’échapper de ses paysages, ses toiles prennent de la verticalité dans une quête d’apesanteur…

Au final, un trio de talents et une variété d’œuvres vous attendent, jusqu’au 3 décembre à la galerie Jacques Ouaiss, pour une exposition-exploration dont une partie des recettes ira aux ONG Oum el-Nour et Achrafieh 2020… Soyez au rendez-vous!