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La désignation par l’abréviation de TCA des troubles des conduites alimentaires peut prêter à confusion, la lettre "C" pouvant signifier aussi bien le comportement que la conduite, alors que le choix de l’un ou de l’autre terme implique deux approches qui diffèrent sur plus d’un registre.

Comportement ou conduite ne sont pas, en effet, synonymes. En psychanalyse, nous utilisons plutôt le vocable de conduite parce qu’il inclut de multiples constituants individuels parmi lesquels des facteurs d’ordre psychosomatiques et physiologiques, mais surtout un processus psychique inconscient qui sous-tend les pensées, les sentiments et les actions d’un sujet. Le terme de comportement est réductionniste, il ne constitue que la partie fragmentée, apparente du psychisme, insuffisante pour remonter à la source. Il est l’expression symbolique d’un univers conflictuel interne, enfoui, qui se révèle lors de la thérapie, grâce notamment aux associations libres d’un sujet qui, progressivement, le mèneront à mettre à jour les motivations et les conflits inconscients qui sont à la source de son trouble.

Ceci précisé, qu’entend-on par les troubles de la conduite alimentaire que nous désignerons par l’abréviation TCA?

Ce sont des pathologies très complexes que l’on retrouve beaucoup plus dans les milieux favorisés ou dans les pays riches. Ils ne sauraient être réduits au seul symptôme alimentaire et de ce qui en découle. Manger ou se priver de manger devient souvent, dans ces situations, un mécanisme de défense contre d’angoissantes difficultés sous-jacentes inconscientes. À travers leur expression symptomatique, ces pathologies manifestent une tentative de régulation émotionnelle des conflits infantiles intenses non résolus en utilisant la nourriture comme un moyen de contrôle sur soi-même et sur son environnement. Elles peuvent ainsi être comprises comme une réponse, notamment aux premières relations carencées aux parents, aux traumatismes, aux ressentis ou aux expériences d’abandon, de séparation, de perte ou de maltraitance, aux abus physiques ou sexuels. De récentes études ont établi qu’une grande majorité de sujets souffrant de TCA n’ont pu développer un sentiment suffisant de sécurité affective durant leur petite enfance. Les symptômes qui apparaissent par la suite ont été décrits comme des pratiques "d’automédication" reflétant un désir éperdu de vivre, même s’il faut, pour cela, emprunter un chemin mortifère.

Bien qu’elles puissent se manifester très tôt, ces pathologies apparaissent souvent à la période de l’adolescence, en grande majorité chez les filles. Elles sont liées au vécu des transformations corporelles, psychiques et sexuelles. Ce passage de l’enfance à l’âge adulte réactive les conflits infantiles non résolus qui ont pu passer inaperçus par l’environnement. Ces pathologies s’accompagnent de troubles de l’image corporelle et de l’identité singulièrement sexuelle, de sentiments d’angoisse, de honte, de culpabilité ou de dévalorisation de soi, ainsi que de difficultés dans les relations interpersonnelles.

Lorsque le psychisme souffre, quand le malaise d’un sujet ne parvient pas à être symbolisé avec des mots ou tout autre forme expressive, c’est dans le corps que la souffrance s’inscrira. Il devient le messager du mal-être et utilisera son propre langage pour donner l’alerte. Et cela dès la naissance. La relation qui s’établit, dès ce moment, entre le nourrisson et son environnement est psychosomatique ou, si l’on veut, psychocorporelle. Les sources de son bien-être ne se résument nullement dans la satisfaction des besoins physiques ou physiologiques, mais résident également dans la précoce interaction entre la mère et l’enfant porteuse d’affects sécurisants et apaisants. La tétée, par exemple, est étroitement associée aux regards échangés entre la mère et l’enfant, au sens qu’ils communiquent et que le nourrisson saisit, à la voix et à l’odeur maternelles, au corps-à-corps qui les lie et les unit dans une fusion réconfortante, matrice de la future construction identitaire, consolidée par les étapes progressives de séparation, stimulant les processus d’autonomisation et de subjectivation. Lorsque l’environnement, singulièrement maternel, s’avère défaillant, entravant ces processus, confondant besoin et désir, ne procurant pas ou très insuffisamment amour, apaisement et sécurité, des angoisses précoces ("agonistiques", dit Winnicott), se forment et font le lit de futurs troubles notamment alimentaires. La tentative de dégagement de ces ébranlements se fait, dans le cas des TCA, par le remplacement des besoins et désirs insatisfaits par un autre objet qui est la nourriture avec ses excès ou ses privations et dont on devient dépendant.

Les troubles majeurs de la conduite alimentaire sont l’anorexie mentale (étymologiquement: perte de l’appétit), la boulimie mentale (étymologiquement faim de bœuf ou, plus moderne, faim de loup), à laquelle on peut associer l’hyperphagie boulimique, caractérisée par des crises intermittentes de consommation alimentaire excessive. Une forme mixte d’anorexie-boulimie peut aussi exister.

Ces troubles ne peuvent être catalogués en tant que maladies au sens strictement médical du terme, puisque ce sont des conduites réactives d’ajustement. Elles tentent de se distancer des objets d’attachement familiaux aux effets pathogènes. D’ailleurs, l’adjectif mental qui est accolé à ces troubles met l’accent sur les origines essentiellement psychiques de leur apparition. On ne peut, toutefois, méconnaître l’existence de facteurs organiques: on parle alors d’une interdépendance entre le psychique et le biologique, sans méconnaître non plus d’autres facteurs psychosociaux, avec des conséquences qui peuvent être graves sur les plans physique, organique et psychologique. Comme il n’y a pas de mobiles uniques à ces troubles, la prise en charge thérapeutique à long terme est le plus souvent multifocale.

On ne décide pas de devenir anorexique ou boulimique. C’est une contrainte qui s’impose au sujet sous une forme addictive, une réponse pour soulager la souffrance sous-jacente. Mais c’est, en même temps, un enfermement, comme si, par cette contrainte, le sujet n’a plus d’autre choix que la répétition d’une conduite potentiellement destructrice.

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