Selon le constat d’un député centriste, la présidentielle se trouverait au stade où CPL et Marada tentent de se disqualifier mutuellement de la course, tout en sachant qu’ils auront respectivement besoin l’un de l’autre pour accéder à la magistrature suprême.

La cinquième séance à laquelle a convoqué le président de la Chambre pour tenter d’élire jeudi un président de la République est vouée à se dérouler selon le même scénario que les précédentes. Le soutien maintenu, par des partis de l’opposition et indépendants au député Michel Mouawad, s’accompagnera de propositions sporadiques de candidats choisis par principe ou au hasard, sans chance d’être élus, par d’autres indépendants, parfois sans cohésion au sein de mêmes groupes, pour se heurter, enfin, au vote blanc monolithique des groupes du 8 Mars relevant du Hezbollah. L’échec d’élire un président au premier tour, faute de majorité (les deux tiers de la Chambre) en faveur d’un candidat sera suivi d’un retrait progressif des députés du 8 Mars, aboutissant au constat, déclaré ou pas, par le président de la Chambre, du défaut du quorum exigé (les deux tiers en vertu d’une pratique politique et non d’une coutume constitutionnelle) pour la tenue des tours de scrutin suivants. S’ensuivra la levée de la séance et un nouveau report de la présidentielle.

Mais depuis la dernière séance en date du 24 octobre dernier, la situation politique a connu des changements qui sont à relever, même s’ils sont sans effet catalyseur direct sur la présidentielle.

L’entre-deux séances a ainsi été marquée par la fin du mandat du président Michel Aoun le 31 octobre, suivie d’une séance de débat parlementaire, le 1er novembre, autour d’une lettre qu’il a adressée au Parlement, mais qui, plutôt que d’aboutir à sa demande de retirer la désignation de Najib Mikati à la présidence du Conseil, a confirmé sa légitimité.

"Après le départ de Michel Aoun de Baabda, le Courant patriotique libre a compris que le Hezbollah (l’allié chiite du CPL) soutient, contre ses attentes, le gouvernement de Najib Mikati, et qu’il s’emploie en outre à faire circuler le nom de Sleiman Frangié (l’autre allié chrétien du Hezbollah) comme candidat à la présidentielle", constate pour Ici Beyrouth l’ancien député opposé au Hezbollah, Farès Souhaid – ce que confirment, du reste, des milieux proches du CPL. La rencontre dimanche à Aïn el-Tiné entre le président de la Chambre Nabih Berry et le chef du Parti socialiste progressiste Walid Joumblatt aura en grande partie servi l’objectif du Hezbollah de réorienter le débat dans les médias vers l’idée d’un consensus autour de Sleiman Frangié, indépendamment des chances réelles de ce dernier de remporter la course présidentielle.

Le CPL perd donc du terrain, et risque de se transformer en parti réactionnaire isolé, même par ses alliés. L’altercation armée autour des studios de la MTV entre des partisans du CPL et des gardiens de la chaine jeudi dernier serait symptomatique d’un enlisement du parti fondé par Michel Aoun.

Cela n’est pas sans amener une réaction, parmi les cadres du parti, en faveur d’un recentrage, voire un assouplissement, notamment au niveau de la présidentielle, des prises de position, exprimées jusque-là par le chef du parti, le député Gebran Bassil.

Alain Aoun: pour un candidat du CPL ou autre  

Ainsi, l’option de rompre avec le choix du vote blanc souhaité par le Hezbollah et d’avancer le nom d’un candidat a circulé au cours des derniers jours dans les médias, par le biais de cadres du CPL. Si le bloc aouniste a confirmé mardi à l’issue de sa réunion le maintien du vote blanc, c’est que la dynamique que le parti souhaite créer "n’est pas encore mûre ", comme l’explique à Ici Beyrouth le député CPL Alain Aoun. "Lorsque nous avons évoqué l’option d’avancer un nom plutôt que de voter blanc, c’était sans délai précis. Et si le vote blanc sera de mise cette fois encore, cela ne veut pas dire pour autant que nous y tenons durablement. Nous avons préféré voter blanc qu’avancer le nom d’un candidat qui n’a pas encore de chance d’être élu", explique-t-il. "Nous essayons de créer une nouvelle dynamique qui puisse offrir une option sérieuse en faveur d’un président, susceptible de rallier les autres camps", ajoute-t-il, en mettant en avant l’idée selon laquelle un tel candidat peut "aussi bien être issu du CPL que ne pas l’être".

Pas encore de compromis

Ces alternatives au vote blanc, proposées par des cadres du CPL, incluent aussi des alternatives à la candidature de Gebran Bassil lui-même à la présidentielle: ainsi, circulent les noms des députés Alain Aoun ou Ibrahim Kanaan comme candidats potentiels du parti.

Sans se prononcer sur cette perspective, Alain Aoun ne l’écarte pas, mais préfère se focaliser sur la volonté de son parti de dialoguer avec les autres camps pour débloquer la présidentielle, même si ces derniers y sont pour l’heure réfractaires, les positions de Gebran Bassil n’aidant pas.

Cette orientation nouvelle plus souple qui se précise au sein du CPL ne paraît pas trahir d’avancées concrètes vers un consensus au niveau de la présidentielle. "Nous n’en sommes pas encore là", nous confie un député de la Rencontre démocratique (relevant du PSP). "Le statu quo est maintenu", renchérit pour le député Saji Attieh du groupe de la Modération nationale (formé par des députés du Nord, majoritairement sunnites) qui voteront une nouvelle fois pour "le Liban nouveau".

La déclaration faite mercredi soir par le député PSP Waël Bou Faour, à l’issue d’un entretien avec le chef des Forces libanaises à Meerab, le confirme. "Pour l’instant, il n’y a aucune indication de la part du camp adverse sur la possibilité de parvenir à un résultat positif concernant l’échéance présidentielle. Il est clair que le 8 Mars (comprendre le Hezbollah), à l’exception du président de la Chambre Nabih Berry, tente autant que possible d’éviter des clashs internes en décidant de voter blanc à la séance électorale de jeudi", a-t-il dit, en réaffirmant le soutien des FL et du PSP à Michel Mouawad.

Concrètement, selon le constat d’un député centriste, la présidentielle se trouverait au stade où CPL et Marada tentent de se disqualifier mutuellement de la course, tout en sachant qu’ils auront respectivement besoin l’un de l’autre pour accéder à la magistrature suprême.