Aujourd’hui quand l’urgence écologique s’impose au monde, quand notre planète est plus que jamais menacée dans sa survie, on ne peut que prêter l’oreille aux sonnettes d’alarme lancées de toutes parts pour revenir à la source, redécouvrir notre bonne vieille terre, la réapprivoiser, la réécouter… terre nourricière, matrice bienfaisante, gage de notre humanité tout entière.

Que faire d’autre, sinon rééduquer notre regard, nous laisser bercer par la poésie du monde? Écouter avec ce troisième œil la pulsation d’un microcosme qui bat comme un cœur. C’est ce que nous propose Tamara Haddad profondément amoureuse de la terre et de ses paysages.

 

Cette artiste de talent s’est d’abord armée d’un appareil photo pour aller à la découverte de contrées lointaines comme le Tibet ou le Népal, s’imprégner de la nature sauvage, tenter d’en capturer l’essence et en faire le sujet principal de ses photos. Le prénom "Tamara", par sa consonance même, renvoie à "Ma Tara", ma terre, comme par une sorte d’étrange prédestination!

On comprend vite que l’artiste fait de l’écologie, de la nature, son mantra. Qu’il s’agisse de photographie ou de peinture, sa quête artistique consiste, selon ses propres dires, en "un questionnement sur la matière, sa formation, ses reliefs, ses différentes strates, couleurs et textures, pour en dévoiler la richesse mais aussi les failles, les blessures; celles causées par les hommes ou les marques du temps"…

Les toiles de Tamara Haddad sont un livre ouvert qui témoigne "à travers les écorces d’arbres glanées, recueillies avec ferveur, figées dans l’éternité, la vie qui ne cesse de se renouveler, de nous porter, de nous enivrer…" L’artiste  scrute au cœur de la terre pour en saisir l’intimité et couche sur sa toile des fragments de la nature elle-même: écorces, sable, paille, branches… éléments en apparence inertes qui se transforment en tableau vivant, tel un papillon épinglé dans un cadre, spécimen de ce que la nature recèle de plus précieux dans une infinie diversité de couleurs et de textures! Ocres jaunes et brun sombre, terres de Sienne et jaunes de Naples se jouent des verts bleus, prairie ou émeraudes, tissent leur trame subtile, se révèlent dans leurs infimes nuances à nos âmes ravies… Leur résonnance trouve écho dans nos cœurs, nous rappelle que ce concentré de pigments colorés sont le résultat d’une extraordinaire alchimie, celle qui dès le début de notre ère régit les transformations du monde et préside à notre destinée, celle qui maintient l’équilibre précieux entre les éléments premiers: terre, air, feu et eau dont  l’interaction crée la magie de toute substance: la création des différentes strates, la richesse des minéraux, l’énergie des forêts, des arbres – poumons de la terre!

Au-delà de leur beauté esthétique, les toiles de Tamara Haddad se présentent ainsi comme une exploration sensorielle au cœur de la matière, une invitation au réveil de nos sens et de notre conscience. Ses tableaux dévoilent, par un effet de grossissement à la loupe, les vibrations de l’univers et nous poussent à en caresser l’écorce, en palper le sable, en éprouver la force et la rugosité, nous laisser attendrir par la douceur de la paille jaunie au soleil, nous émouvoir devant la force fragile de la branche qui émerge des entrailles de la Terre.

L’artiste raconte les éternels recommencements rythmés par la ronde des saisons, l’accumulation des strates sur les roches où vient s’inscrire le passage du temps, la multitude de cercles concentriques formant le tronc des arbres, la fine nervure des feuilles, les branches porteuses de bourgeons, promesses de fleurs non encore écloses et de fruits gorgés de sève, comme autant de pulsations de vie, celle du sang qui coule dans les veines la terre. Elle nous permet de réaliser cette étrange dualité propre à toute existence; celle qui oscille entre permanence et mouvance, solidité et fluidité, cycles de la vie et de la mort. Ce mouvement pendulaire qui rythme notre vie dans une éternelle quête d’équilibre nous rappelle que les racines peuvent aussi avoir des ailes, que les cycles ont un goût d’éternité, qu’on ne meurt que pour renaître et que la renaissance est inscrite dans l’ADN de tout être.

Tamara Haddad a récemment exposé ses œuvres, en décembre 2021, à la galerie Tanit de Starco et Mar Mikhaël.

Site Web de Jocelyne Ghannagé: joganne.com