Ce courant artistique apparu aux États-Unis dans les années soixante nous questionne sur la notion de réalité. Il s’est créé en opposition à l’expressionnisme abstrait, prônant la peinture gestuelle (action painting), et au hasard visuel qui en découlait, et s’est fondamentalement créé dans la continuité du Pop Art qui lui, récupérait les images des publicités de la société de consommation. 

Voulant faire resurgir la figuration jusqu’à l’obsession pour aboutir à un hyperréalisme confondant (Sont-ce des copies? Est-ce de l’art?), les artistes peintres utilisaient des supports et des sources essentiellement fondés sur la photographie, personnelle ou tirée des magazines.

Quant aux sculpteurs, pour un maximum de réalisme, ils moulaient la plupart du temps leurs œuvres directement sur des modèles vivants. Les premiers artistes à s’engouffrer dans cette nouvelle voie, considérée aujourd’hui désuète, sont Duane Hanson, John DeAndrea et George Segal. Leur approche créative utilise les techniques traditionnelles: modelage, moulage et enfin application polychrome de peinture sur la surface de leurs œuvres.

Les générations suivantes, grâce aux nouvelles technologies de résine et autres, vont poursuivre dans cette voie et développer leur propre langage pour atteindre une représentation minutieuse de la nature humaine. Offrant une illusion parfaite, certaines sculptures sont renversantes de réalisme et d’autres, volontairement déformées, à la limite d’une frontière avec une quatrième dimension. Au-delà d’une réalité certaine de vérité, la réalité de l’œuvre atteint un vérisme certain.

C’est extrêmement puissant. Époustouflant. Attirant. Perturbant. Dérangeant.

"Le but d’une œuvre n’est pas qu’elle soit jolie, mais qu’elle soit porteuse de sens" (Duane Hanson).

Cette exposition regroupant des artistes des quatre coins du monde démontre bien l’universalité de cette démarche, et définit thématiquement le parcours scénographique en 5 étapes: répliques humaines, monochromes, morceaux de corps, frontières mouvantes et réalités difformes. Guidés par des films courts qui expliquent le processus créatif des différents artistes, nous passons d’un état de découverte, d’amusement même, de ce face à face pour progresser et glisser vers l’étrangeté, mus par des émotions à la limite du malaise.

Pourtant, ce mouvement d’hyperréalisme n’est que l’enfant d’une tradition plusieurs fois millénaire de l’homme à vouloir retranscrire une certaine réalité humaine dans ses dessins, ses peintures, et surtout dans ses sculptures.

Les idoles cycladiques, le Kouros de l’Attique, le discobole de Myron, l’Aphrodite de Praxitèle ou encore la Vénus de Milo pour la période dite antique, en passant par le David de Michelangelo, la statue de la Liberté de Bartholdi, ou encore l’autoportrait de Marcel Duchamp, tels les jalons expressifs d’une volonté humaine de toucher à une réalité, soit pour mieux vénérer ses dieux, soit pour mieux les détrôner.

Recherchant la neutralité, voulant montrer le monde tel qu’il est, les corps humains devenant alors de simples objets, et créant volontairement une absence d’émotions, les artistes ébranlent toutes les assises de l’art, toujours en questionnement, en renouvellement.

À l’inverse, cette volonté d’annihiler toute émotion dans ces corps jetés au regard du public ne laisse personne indifférent.

Au-delà du réel, c’est dans une sphère où le subconscient prime que le spectateur est emmené, puis abandonné.

Le titre de cette exposition, "…Ceci n’est pas un corps", est bien sûr un clin d’œil à la célèbre œuvre (surréaliste) de Magritte "Ceci n’est pas une pipe".

Déambulation dans le miroir de l’humanité, nouvelle réalité d’un monde schizophrène, chamboulement émotionnel, éveil à l’absurdité du questionnement sans fin et joie de retrouver le soleil et de se sentir bien vivant, bien réel.

Musée Maillol, Paris, jusqu’au 6 mars 2023.