" Un choix radical qui ne correspond à aucun canon esthétique de notre époque et fait rayonner la puissance féminine ", dit l’Italienne Federica Chiocchetti, écrivaine, commissaire, éditrice, qui a conçu un parcours spécial, " Elles x ", composé des photos de ces 77 photographes. " Dans la tombola napolitaine, le nombre 77 est associé aux jambes des femmes, mais aussi au diable, vestige d’une société patriarcale. J’ai voulu réhabiliter ce nombre qui est aussi le nom d’un mouvement féministe italien des années 70″, ajoute-t-elle.

Rossy De Palma, muse du réalisateur espagnol Pedro Almodovar et d’innombrables photographes autant que de créateurs de mode, a elle-même sélectionné 25 photos parmi les stands des 183 exposants, galeries et éditeurs venus de 31 pays pour cette 25e édition du salon, qui se tient au Grand Palais Éphémère. Pour elle, les femmes n’ont plus besoin d’être mises particulièrement en avant, mais doivent " s’intéresser à elles-mêmes " en tant que femmes.

Hormis l’égalité salariale, " j’ai arrêté depuis un bon moment de demander des faveurs pour les femmes, car je crois que nous, les femmes, n’avons besoin de rien, sinon de nous découvrir nous-mêmes ", dit-elle en marge du salon.

Parmi les photos qu’elle a sélectionnées : un danseur noir, de dos, enveloppé dans un tissu blanc, au sol, sur du sable foncé, signée du Sud-Africain Mohau Modisakeng. Parmi les professionnelles féminines de la photo mises à l’honneur, on trouve aussi bien l’Américaine Bertha E. Jaques (1863-1941) et ses cyanotypes – ancien procédé photographique monochrome – que l’activiste italo-américaine Tina Modotti (1896-1942), photographe de la scène bohème des années 20 à Mexico ou l’artiste allemande radicale Gabriele Stötzer (née en 1953), qui a remis en question le rôle des femmes en Allemagne de l’Est.

À leurs côtés, des pionnières d’un nouveau genre comme la Sud-Africaine Zanele Muholi, qui ne se reconnaît ni femme, ni homme, et cherche à " décoloniser l’image " par un travail sur la diversité de genre, l’Italienne Letizia Battaglia qui documente les crimes de la mafia napolitaine, ou la Serbe Marina Abramovic, connue pour ses performances d’" art corporel " poussant la représentation du danger jusqu’à se mettre elle-même physiquement en danger, selon Mme Chiocchetti.
Plus de 1.600 artistes sont représentés dont 31 % de femmes, en majorité d’Europe (70 %), mais aussi d’Afrique du Sud, d’Iran, d’Israël, du Liban, du Maroc, de Chine, du Japon, de Corée du Sud, d’Inde, d’Amériques du Nord et du Sud.

Plusieurs d’entre eux sont particulièrement mis à l’honneur en solo ou en duo, parmi lesquels l’Ukrainien Boris Mikhaïlov, qui pose depuis 50 ans un œil provocateur sur l’histoire de son pays, avec une série très rarement montrée, " Theater of War " (théâtre de guerre) prise en 2013 au moment des manifestations pro-européennes sur la place Maïdan à Kiev.

Confinement, isolement, guerres, génocides, mutations écologiques font partie des thèmes d’actualité abordés par les photographes représentés au salon, " une plateforme qui couvre près de deux siècles d’histoire et de pratique photographiques ", souligne Florence Bourgeois, directrice du salon.

Des maîtres anciens aux sujets de société contemporains, plusieurs galeries proposent des expositions de groupe. La galerie ADN (Barcelone) explore l’iconographie du désastre et de la protestation, notamment en matière de féminité et de " mass média ". La galerie Karsten Grève (Paris) présente Eugène Atget, Brassaï et Edward Steichen et la galerie Magnum (Paris) célèbre ses 75 ans avec une exposition anniversaire présentée sous le commissariat du photographe britannique Martin Parr.

Les artistes émergents sont représentés par 16 galeries de neuf pays, mettant en lumière l’interdisciplinarité des pratiques artistiques fondées sur l’image. Sont notamment proposées des approches expérimentales et conceptuelles de la construction de l’image, des nouveaux (auto) portraits, et les pratiques actuelles de la photographie de paysage.