Quel plus beau défi relevé que d’organiser, comme une réponse au marasme social et économique de notre pays, une exposition, baptisée " Visages et paysages ", qui mette en lumière la beauté de la production artistique libanaise et la force de l’Histoire qui la sous-tend ?

L’Université Saint-Esprit de Kaslik (USEK) a relevé ce défi haut la main, en organisant au sein du Musée archéologique de son campus principal, l’exposition d’une collection inédite de tableaux et de toiles de peintres libanais de la fin du XIXe siècle aux premières décennies du XXe. La collection dont il s’agit est celle d’Émile Hannouche. L’USEK en est le possesseur depuis 2019 et a décidé de la donner à voir, à connaître et à admirer à tout public désireux de s’affranchir, grâce à l’esthétique et à la culture, des difficultés et des entraves du quotidien, en se rappelant la force de transcendance de la production artistique.

C’est dans le sillage d’un projet de recherche porté par les étudiants de l’École d’Architecture et de Design de l’USEK, sous l’égide de Dr Elsie Deek Abou Jaoudé, et dans le cadre du cours consacré à l’Histoire de l’art contemporain que la mise en place de cet événement s’est faite. Le visiteur déambule au gré des méandres du musée où les toiles sont flattées par une lumière délicate, caressante et embrassées par une musique alternant le tarab égyptien, la chanson ottomane et la musique occidentale, tous trois influençant l’époque d’alors. Le regard découvre, dans cette ambiance de pure synesthésie, les prémices de l’art moderne au Liban et son déploiement au fil des années. Il y rencontre les peintres libanais qui ont eu le courage de donner un tout autre coup d’envoi à la peinture, en l’émancipant du seul caractère classique religieux (icônes et portraits de prélats), pour la faire voyager vers des contrées d’inspirations réaliste, impressionniste et fauviste.

Ces toiles ont bien évidemment vu le jour sous l’Empire Ottoman, mais un Empire qui, pour mieux séduire ses voisins européens, œuvre à s’occidentaliser. Ce qui n’a pu que fortement influencer l’ensemble des territoires occupés et, conséquemment, la production artistique de l’époque. Celle-ci connaît, en effet, un véritable mouvement de rupture en se libérant de la tradition classique du portrait pour se jeter dans les thématiques de paysages diversifiés et de nus académiques. Un exercice de haute voltige. Littéralement un acte de témérité.

Ces pionniers du modernisme de l’art au Liban, qui ont pour la plupart fait leurs études à Rome et en France, ne sont pas peu nombreux : le visiteur a la chance, au cours de sa flânerie, de lier connaissance avec Daoud Corm, Habib Srour, Georges Sabbagh, Georges Corm, César Gémayel, Moustafa Farroukh, Omar Ounsi, Marie Haddad et Saadi Sinévi. Le visiteur libanais, en l’occurrence, a la nette sensation d’inspirer enfin une grande bouffée d’oxygène purifiée des miasmes de la situation qui prévaut sur la scène libanaise depuis plus de trois ans, en se laissant transporter par les vigoureux bras de l’art moderne.

Cette exposition est donc la preuve que la muséologie ne saurait qu’épouser la muséographie et la scénographie dans un beau mariage évocateur de la créativité et de l’intelligence, qu’une exposition ne saurait parler aux visiteurs que si elle est expographie et narratologie. Elle est aussi la preuve qu’en dépit du fait que le monde de nos jours se porte mal dans sa quasi entièreté, l’art, lui, demeure inentamable, incorruptible. Elle est, enfin, la preuve que l’on peut, que l’on doit enseigner autrement dans nos universités si l’on veut construire le citoyen libanais de l’avenir, celui-ci-même qui saura redevenir solaire et confiant, entre autres, par la force de la culture et l’impact de la beauté.

Allez donc nombreux à cette exposition du Musée archéologique de l’USEK, qui se tient tout au long du mois de novembre, de 10h00 à 19h00, du lundi au vendredi, en vous rappelant que l’un des plus beaux voyages à effectuer est toujours un franchissement.