Organs of the Outlandish est le titre de cette exposition, actuellement à la galerie Saleh Barakat à Clémenceau, dans laquelle l’artiste irako-canadien Mahmoud Obeidi donne à contempler une série de panneaux sur le thème de l’image cachée, ainsi que quelques éléments d’un projet intitulé Make War not Love.

" Le problème avec les organes vitaux, accessoires et auxiliaires, commence au moment où ils se font sentir. Ce n’est qu’en niant les organes comme objets internes ou externes que les maîtres de ces corps devenus étrangers (ou prothèses) peuvent les exploiter. Aucune autre figure que celle du maître de ces prothèses n’est susceptible d’englober ce composé instable d’anxiété et d’orgueil, de perte et de compensation, de blessures narcissiques et de fantasmes phalliques (…) Les " messages cachés " de Mahmoud Obaidi et " Make War Not Love " (…) suggèrent des scènes primitives qui sont brouillées. Des parties du corps humain apparaissent et disparaissent au profit d’organes phalliques, d’orifices, d’organes accessoires, de prothèses, de chars, d’armes et de machines. "

C’est ce petit texte, qui pèche un peu par hermétisme, il faut le reconnaitre, et qui mériterait lui-même un décryptage, qui sert d’introduction à une vaste scénographie de grands panneaux en noir et blanc, des " images cachées " qui fonctionnent comme de véritables cryptogrammes et qui se proposent à une interprétation avisée. Car tout comme le texte qui sert de frontispice à cet ensemble, on n’entre pas dans l’univers de Mahmoud Obeidi sans quelques clés de lecture.

Les œuvres de Obeidi explorent assez généralement les thèmes de la guerre, du déplacement et de la perte d’identité. Comme beaucoup d’artistes de sa génération, il est proche de la cause palestinienne et pense que l’Irak et la Palestine sont deux nations qui ont subi un nettoyage ethnique. Au Canada, pays démocratique où il s’exile et réside de nombreuses années, il se trouve confronté au suprémacisme blanc (" white supremacy "), et constate que les Canadiens n’ont pas agi autrement avec les populations indiennes.

Le suprémacisme blanc est une idéologie raciste qui postule que les populations de race blanche sont supérieures à celles des autres races et devraient donc les dominer. Elle a ses racines dans la doctrine aujourd’hui discréditée du racisme scientifique, elle a permis de justifier les politiques coloniales et surtout, elle a fréquemment conduit à des violences contre les individus considérés comme " non blancs ". Aussi, même si la législation de nombreux pays et des conventions internationales interdisent les propos racistes et les organisations qui les défendent, on ne sera pas étonnés de savoir que des groupes défendant la " suprématie blanche " existent encore un peu partout dans le monde. Ces considérations constituent donc le point de départ d’un projet qui n’a pas été adopté par les instances muséales occidentales. Pour Mahmoud Obeidi, ce déni est en soi politiquement problématique. C’est donc un propos éminemment éthique et politique qu’il soumet dans ce projet en deux parties.

Make War not Love est un ensemble de pièces qui ont presque toutes les mêmes dimensions (270 x 270 cm) qui s’organisent autour d’une monstration de corps humains – ou de créatures – désassemblés : morceaux de corps, organes divers et motifs d’intestins qui se déclinent dans un assemblage absurde, une imagerie associative qui a perdu sa logique. Tout est organique chez le " Outlandish ".

C’est donc dans un registre d’inquiétante étrangeté que réapparaissent, par giclées de chair, des éléments refoulés de l’Histoire. Une expérience historique autant qu’un récit collectif de la violence sont ici rendus en images.

The hidden images est le projet qui constitue la deuxième partie de l’exposition. De grands panneaux en noir et blancs (celui qui est accroché sur le mur du fond fait 810 x 270 cm), exécutés également en techniques mixtes sur toiles, donnent à deviner, plus qu’à voir, des images de massacres. Constituées à partir d’un ensemble de documents – photographies, archives, éléments divers de la culture visuelle – ces images fonctionnent comme une mémoire confuse et subliminale de choses qui sont mises à distance, par la mémoire mais également par les politiques elles-mêmes. Cette mise à distance constitue donc également le procédé esthétique qui les place au second plan et les montre de manière fragmentée ou derrière des giclées de peinture et d’encre.

Scènes de massacres, souvenirs de charniers, quelque chose d’archéologique aussi, comme des images de bas-relief ou des corps minéralisés de Pompéi, fossilisés par la mémoire elle-même qui les occulte ou les refoule. Certaines images imitent également le procédé de pixélisation qui consiste à rendre l’image floue à mesure qu’on s’en approche. L’ensemble opère donc selon un dispositif de rapprochement et de mise à distance, d’occultation et de révélation. Le tout ressemble à des images mentales, rêvées, réelles, virtuelles ou digitalisées, issues d’une mémoire première ou seconde ou d’un cauchemar collectif. Quelque chose qui, en tout cas qui, par espaces interconnectés, raconte la mémoire de l’humanité.

Mahmoud Obaidi exerce à Beyrouth, au Qatar et au Canada. Son travail a été largement exposé, notamment au MoMA Ps1, au British Museum, à la biennale de Venise, à Mathaf, à la Saatchi Gallery à Londres et à l’Institut du monde arabe à Paris.

Jusqu’au 3 décembre 2022.

Nayla Tamraz

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