Depuis des siècles, la maison Galimard fabrique avec une passion inépuisable des parfums aux fleurs emblématiques de Grasse. Chantal Roux, directrice de Galimard, nous emmène dans son sillage pour une visite du "théâtre" où tout se joue, où se dressent alambics, chaudières et vases florentins, et où, pour peu qu’on ait l’imagination fertile, l’on applaudit à la magie des lieux. Elle vient de fêter, le 6 décembre, les 275 ans de la maison Galimard en présence du sous-préfet M. Jean-Claude Geney, du maire M. Jérôme Viaud et d’une foule d’amis. Entretien avec Chantal Roux. 

Chantal Roux

Près de trois siècles ont marqué l’âme de la maison de parfums Galimard au cœur du Pays de Grasse, anciennement chef-lieu du Var avant d’être rattaché aux Alpes-Maritimes. Trois siècles de transmission familiale d’un savoir-faire ancestral ont passé, sans que la flamme du flambeau ne vacille. Dans son bureau, on découvre, accroché au mur, le portrait du fondateur, Jean de Galimard, semblable par sa perruque bouclée à Louis XIV, désignant les trois fleurs emblématiques de la parfumerie: la tubéreuse, la rose et le jasmin.

Chantal Roux est la gardienne de la mémoire familiale. Elle en est aussi la muse. Celle qui inspire les accords subtils et les notes pétillantes des parfums de la maison. Elle a jalousement consigné dans un dossier la fabuleuse histoire de la famille qu’elle dévoile avec ferveur, étonnée quelquefois du jeu du destin qui a mis sur son chemin des figures effacées par le temps. Elle travaille, depuis plusieurs années, avec un généalogiste canadien, pour retrouver les branches manquantes de l’arbre familial, et c’est comme un puzzle dont elle reconstitue les fragments peu à peu.

Le maire de Grasse Jérôme Viaud

L’histoire de la maison Galimard est intimement liée à l’histoire de France et à celle du Pays de Grasse.

Lorsqu’au XVIe siècle, Catherine de Médicis quitta l’Italie pour la France, elle emmena avec elle son parfumeur René le Florentin qui ouvrit une boutique à Paris où il vendait des parfums et de la lingerie féminine parfumée. On raconte qu’à la demande de Catherine de Médicis, son parfumeur masquait la forte odeur de ses gants en cuir en les parfumant. Et c’est ainsi que les gants parfumés connurent un immense succès à la Cour du roi.

Gants parfumés

Grasse, qui était un centre important de la tannerie et de la ganterie en raison de l’existence de nombreux troupeaux et d’une eau de source, ne manqua pas de développer cette activité. Chantal Roux en décrit le contexte historique: "La ville était parcourue de canaux à l’air libre où les tanneurs traitaient le cuir qu’ils enduisaient de graisse ou d’huiles parfumées (fleur d’oranger, jasmin…). En 1614, le roi Louis XIII octroie des lettres patentes aux gantiers parfumeurs, leur donnant ainsi la permission de se qualifier maître gantier ou parfumeur. C’est ainsi que les champs se sont couverts de rosiers et de jasmins afin d’alimenter les alambics des parfumeurs."

Mais il faudra attendre le règne de Louis XIV pour voir émerger la corporation des maîtres gantiers-parfumeurs qui constituaient une riche composante de l’économie provençale. "Ainsi en est-il de Jean de Galimard, seigneur de Séranon qui, en 1747, fonda la parfumerie Galimard. Il était membre fondateur de la corporation des gantiers-parfumeurs, marchand bourgeois à la Cour du roi qu’il fournissait en huiles d’olive, pommades et parfums dont il était l’inventeur des premières formules. Son père était un gros cultivateur tanneur en Côte d’Or. Jean et ses deux frères avaient épousé des grassoises et s’étaient installés à Grasse."

Distillation

Cependant, au fil des années, lorsque la mode de la ganterie commença à décliner, la production des huiles parfumées devint plus lucrative et on assista alors, au XVIIIe siècle, à l’éclosion d’une véritable industrie, la production des matières premières dans la région du sud-est dont le climat doux facilitait la culture des fleurs à parfum. On développa également l’extraction des essences, et c’est ainsi que Grasse devint la capitale mondiale des parfums. Dans cet univers olfactif quelque peu mystérieux aux yeux d’un profane, au milieu des majestueux alambics où s’effectue la distillation, on ne peut que songer au héros de Patrick Süskind, apprenti parfumeur à Grasse, tout aussi fascinant que monstrueux, dont la maîtrise des odeurs est l’équivalent de ce qu’il appelle "le cœur des hommes".

Jean de Galimard

Quelle n’était l’heureuse surprise de Chantal Roux, dans sa quête de reconstituer la saga familiale, de découvrir les liens de Goethe avec Jean de Galimard: "François de Théas, comte de Thorenc, était originaire de Grasse et ami de Jean de Galimard. Il apprenait la langue française à Goethe qui devint son ami. Et c’est ainsi que Théas, Galimard et Goethe se retrouvaient à Grasse et Thorenc."

Vouant une grande admiration à Napoléon Ier, Chantal Roux revient sur le mariage de la petite-fille de Jean de Galimard qui "a épousé Joseph-Louis de Geoffroy, marquis du Rouret et dont Napoléon fut témoin en 1815 à Grasse". "J’ai fini par retrouver, après de longues recherches, la tombe du couple Rouret au cimetière de Grasse, sur laquelle, sans le savoir, je m’étais assise", ajoute-t-elle.

Alambics

Comment ce noble métier s’est-il transmis à la famille Roux? "Les Roux, descendants des gantiers-parfumeurs, ont rejoint la branche des Galimard par celles des Laugier et des Girard", explique Chantal Roux. Et l’on découvre un arbre généalogique touffu aux multiples ramifications qui mène à la famille Roux…

"En 1900, Siméon Roux, courtier en fleurs et gros producteur de plantes à parfums, cultivait les fleurs d’oranger et de jasmin. Il installait des toiles de jute sous les paniers destinés à recevoir la récolte qu’il vendait aux grandes parfumeries grassoises. En 1946, son fils Joseph Roux, distillateur-parfumeur, a ouvert une distillerie, la Source parfumée, à Gourdon, sur les hauteurs de Grasse, où il fabriquait les plus fines essences et où l’on peut visiter ses champs de fleurs. En même temps, il a fait revivre l’histoire de Jean de Galimard en ouvrant une parfumerie dans l’hôtel particulier du Comte de Thorenc au cœur de Grasse", raconte-t-elle.

Le savoir-faire ancestral allié à la créativité se sont étoffés au fil des siècles traversant les générations. Et cependant, la motivation première demeure la même, la valorisation de la production locale et des circuits courts. Chantal Roux explique à ce sujet: "En 1980, mon époux, Jean-Pierre Roux, fils de Joseph, a voulu initier aux secrets des parfums les visiteurs de la région et a inauguré l’usine-musée, située route de Cannes. Quelques années plus tard, en 1986, une nouvelle fabrique équipée de sa savonnerie traditionnelle a ouvert au pied du village médiéval Eze. En 1996, Jean-Pierre a eu l’originale idée d’un concept d’atelier où les visiteurs peuvent créer leur propre parfum. Il a connu un tel succès que nous avons ouvert en 2007 le Studio des fragrances à Eze. Nous avons également développé une gamme de produits de beauté."

En ce jour historique de célébration, le flambeau passe de main en main, d’une génération à l’autre. La pérennité d’une entreprise familiale est, de nos jours, chose rare. Les discours prononcés tour à tour par la famille, le maire et le sous-préfet l’ont bien souligné. Elle s’explique par la transmission d’une passion commune. Car dans l’art d’extraire les parfums et arômes des fleurs, d’en composer les notes, il y a incontestablement un talent familial. Il y a aussi, à travers le parfumeur qu’on appelle "le nez" une véritable alchimie qui s’opère, celle des cœurs.

Abonnez-vous à notre newsletter

Newsletter signup

Please wait...

Merci de vous être inscrit !