Témoignage d’une jeune femme de 39 ans:

"J’ai recensé au moins six de mes supérieurs hiérarchiques qui m’ont harcelée. Je ne compte pas les collègues, il y en a trop. Six chefs harceleurs en douze ans. C’est beaucoup, non? Toujours en CDD ou intermittente, je n’ai jamais pu en parler: je risquais ma place. Et quand j’ai refusé les avances ou commencé à vouloir dénoncer et prendre des collègues à partie pour que cela cesse, je n’avais plus de contrats. Ma situation était intenable. Je ne sais pas si je regrette de m’être tue jusqu’ici. Souvent, c’est celle qui fait des vagues que l’on rejette. J’ai pu le constater à plusieurs reprises. Et le harceleur est muté ou nommé grand chef! Et la pénible femme, la victime qu’on n’a pas envie d’entendre, est en dépression chez elle ou bien à la porte. J’ai entendu des: ‘si tu couches, tu as la place’, des ‘contre un petit massage, je t’arrange ce dossier’. J’ai eu droit à des questions sur ma vie sexuelle, la taille de mes seins, des commentaires sur mes fesses, des demandes de fellations ou même des mains baladeuses! Les autres filles semblaient douter des faits que j’osais parfois leur rapporter. Alors, elles se moquaient: ‘mais c’est de l’humour, enfin, il n’a jamais voulu coucher avec toi!’ Étrangement, j’y décelais une pointe de jalousie. Comme si le harcèlement devenait un gage de notre beauté, de notre valeur ou de notre cote en tant que femme et objet sexuel, et que nous nous jugions les unes les autres à l’aune des harcèlements récoltés. Parfois, malheureusement, les femmes sont les pires ennemies du féminisme et de la sororité. Chaque fois, je me demandais: ‘pourquoi moi?’ Ou alors je me blâmais: ‘tel jour, j’ai été plus sympa, ils y ont peut-être vu une proposition?’ Mais non. Ils n’ont aucune excuse. Il n’y a absolument aucune excuse pour justifier des propos sexuels à l’encontre d’une collaboratrice. Je ne sais pas quelle est la solution. A part apprendre le respect à nos fils, dès le plus jeune âge." (Elle)

Comme tout harcèlement, le harcèlement sexuel se retrouve dans les espaces où interagissent les êtres humains: en famille, à l’école, dans les lieux d’activités sportives ou culturelles, en couple, au travail, sur les réseaux sociaux, dans des lieux médicaux ou thérapeutiques, etc. Les victimes se retrouvent à tous les âges et dans tous les milieux.

On peut définir le harcèlement sexuel comme une conduite sexuellement intrusive, récurrente, qui s’exprime sous forme physique, verbale ou non verbale, explicite ou suggestive, ignorant le consentement d’un sujet, visant à l’humilier, l’intimider ou le forcer à subir une emprise forcée, dangereuse pour son intégrité psychique ou physique. Cette attitude discriminatoire portant sur son identité ou son orientation sexuelle fait partie des violences sexuelles dont sont victimes, en très grande majorité, les sujets de sexe féminin. Des statistiques à l’échelle européenne révèlent que ce sont les hommes qui, dans 96% des cas, sont les auteurs de violences sexuelles, que ce soit à l’égard d’enfants ou d’adultes des deux sexes. 50% des femmes interrogées confient avoir subi des harcèlements sexuels depuis l’âge de 15 ans contre 10% des hommes, et pour le tiers d’entre elles dans un cadre professionnel. (Salmona, 2019)

Ces hommes perçoivent les filles et les femmes comme des objets destinés à leur plaisir, leur déniant toute revendication d’égalité et comme étant vouées à la dévalorisation et à l’humiliation. Ils revendiquent ouvertement leur attitude machiste et leur liberté à abuser ou nuire à leurs victimes sans égard pour leur refus, leur souffrance ou tout autre état de malaise psychosomatique. Ces conduites font partie de l’arsenal de la perversion. Cela est particulièrement accentué avec le cyberharcèlement par lequel l’activité sexuelle échappe à la sphère intime pour devenir publique, éliminant toute expression affective, le corps devenant un objet de consommation à partager. Le cyberharcèlement étale sur les réseaux sociaux des photos ou des commentaires dégradants ou offensants de l’intimité d’une femme, sans aucun souci des conséquences traumatiques pour les victimes impuissantes dont quelques-unes en arrivent à envisager des dénouements extrêmes.

Les conséquences des violences sexuelles sont graves: la santé psychique et somatique des victimes est fortement altérée: image de soi dévalorisée, perte de la confiance en soi, forts sentiments de peur et d’angoisse provoquant des échecs dans les projets de vie, insomnies et troubles alimentaires, idées suicidaires, apparitions de troubles dans le fonctionnement organique, recours à des substances addictives, etc., tout un ensemble de symptômes indicateurs de l’installation d’un traumatisme avec ses effets visibles et surtout invisibles dont souffriront longtemps les victimes.

Les sociétés orientales tout autant qu’occidentales ont tendance à négliger les plaintes et les souffrances des femmes harcelées sexuellement. Leurs dénonciations – lorsqu’elles ont le courage d’agir – sont minorées, sinon rejetées, parfois même suspectées, voire totalement négligées. Souvent elles se retrouvent dans un état de vulnérabilité aggravée, isolées, seules avec leur vécu traumatique. Notre société libanaise, particulièrement dans les milieux traditionnels, est en bonne partie régie par un système patriarcal et sexiste, cramponné à ses privilèges, fier d’exhiber une conduite machiste et n’hésitant pas à exercer son emprise – souvent violente – sur les femmes toisées avec supériorité. Le Parlement libanais – fourre-tout sociétal – en est l’illustration avec les moqueries, les quolibets injurieux, les conduites discriminatoires à l’égard de la députée Cynthia Zarazir qui n’ont produit que quelques lignes dans les médias et pratiquement aucune réaction chez les féministes elles-mêmes. Peut-être cherche-t-on à imposer au Liban une juridiction identique à celle qui est en cours dans les pays où domine le fanatisme et qui estime qu’une femme vaut la moitié d’un homme.

Laissons le mot de la fin à l’actrice française Judith Chemla qui a rendu publique la violence infligée par son ex-compagnon: "Ceux qui osent faire du mal comptent sur le silence des victimes. Il ne faut plus la fermer. Nos histoires privées ne doivent plus être le sanctuaire de l’oppression, de la violence et du déni. Ne laissez pas passer un geste, un mot, une situation qui attente à votre dignité. La vôtre et celle de toutes les femmes." (L’Obs., no 3024)