Quel prix seriez-vous prêts à payer pour gravir les échelons de la société parisienne ? La moralité a-t-elle toujours un sens au XXIe siècle ? Sommes-nous devenus des robots déshumanisés, des machines à ascension sociale sans scrupule, des complexés de la courtoisie, des perpétuels révoltés contre une forme d’erreur hors des limites sans cesse repoussées du politiquement correct de façade ? 

Et puis, à quel moment le flirt devient-il du harcèlement, le sexe, un viol ? Comment déchiffrer le consentement du partenaire sexuel ? Dans quelles mesures devrait-il être explicite ? Et s’il pouvait tout simplement être réglementé par une application où, en cochant les cases d’un menu, on trouverait la personne qui correspond à nos fantasmes et besoins ?
Voici quelques-unes des questions traitées dans Les choses humaines de Karine Tuil, auteure prolifique, née en France, en 1972.

Alexandre, fils unique de deux figures médiatiques, Jean et Claire Farel, est accusé de viol par la fille du compagnon de Claire, Mila, 17 ans. Pour Alexandre, c’était un rapport consenti, mais pour Mila, jeune fille réservée, Alexandre aurait abusé d’elle, allant jusqu’à l’humilier en brandissant devant ses amis sa culotte en guise de trophée.

La plainte déposée par Mila précipite Alexandre et sa famille dans une chute vertigineuse, privant le jeune homme de passage à Paris pour assister à la décoration de son père, de retourner à Stanford pour y poursuivre un brillant parcours, malgré une tentative de suicide. Le viol détruit la vie de Mila, et en parallèle, celle d’Alexandre à une autre échelle, puisqu’il aura beaucoup de mal à réintégrer la vie sociale impitoyable. L’image publique de Jean se brise en mille morceaux.,
Claire est lâchée par Adam, le père de Mila.

Pendant ce temps, le verdict tombe comme un couperet sur la vie de Françoise, la maîtresse de Jean : elle ne pourra plus continuer son travail de journaliste, étant atteinte de la maladie d’Alzheimer. La maladie de la femme qu’il a toujours aimée mine le moral de Jean : il ne l’abandonnera pas malgré la dégradation avilissante de son état, ses pertes de mémoire et ses accidents de propreté, il continuera à lui témoigner amour et tendresse. Sauf que cela ne semble pas remplir sa vie affectivement puisqu’il épouse une femme beaucoup plus jeune, Quitterie et fonde une nouvelle famille avec elle.

La dégringolade des personnages intervient à plusieurs niveaux jusqu’à donner le tournis au lecteur. Les chapitres sont rédigés comme des scènes de film où le travelling le fait basculer d’une scène à l’autre. D’ailleurs le livre a été adapté en film (date de sortie le 1er décembre 2021)
Les rouages de la société superficielle sont révélés au grand jour grâce aux descriptions de Karine Tuil qui par sa plume omnisciente, ne porte aucun jugement, mais laisse au lecteur le soin de se faire lui-même sa propre idée de la violence silencieuse de ce siècle où chacun est prêt à écraser l’autre pour le remplacer.

La fragilité du statut social est au cœur du roman de Karine Tuil qui réussit avec brio la mise en scène de la vie des personnages, avec leur force, mais aussi avec leurs extrêmes faiblesses, aussi bien psychologiques que matérielles, faiblesses qui devraient activer la sirène d’alarme dans les consciences prises dans ce regrettable engrenage. Mais ce cri tombera-t-il dans l’oreille d’un sourd ?

Les choses humaines
Karine Tuil
Gallimard 2019
352 pages

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