À travers ses photos, Sabine Weiss a apporté un " regard féminin rare ", empreint de " tendresse " et d’une " curiosité insatiable pour l’être humain ", estiment Raymond Depardon, grand admirateur de son œuvre, et Laure Augustins, sa plus proche collaboratrice.

" On a pris conscience de son immense talent tardivement alors qu’elle a traversé toute l’histoire de la photographie européenne et que les jeunes femmes à se lancer dans ce métier, seules, à l’époque, étaient très rares ", regrette le photographe de 79 ans, interrogé par l’AFP.

" Nous n’étions pas du même monde, elle faisait partie des humanistes français comme Robert Doisneau, dont on parlait aux États-Unis et qui ont été un peu mes pairs, moi plutôt du reportage. Notre point commun c’est un intérêt formidable pour l’humain, avec pour Sabine, un regard féminin, très fin, rare ", dit-il.

" Je sentais chez elle une compassion et beaucoup plus encore, de la tendresse et une délicatesse qui manquait aux hommes ", ajoute-t-il, en se qualifiant lui-même de " jeunot ", admiratif.

Laure Augustins, qui accompagnait Sabine Weiss au quotidien depuis 2011, raconte à l’AFP, avec émotion, sa rencontre avec cette femme " rude au travail, pétillante, humble, drôle, généreuse, simple, spirituelle ".

Elle s’est donné pour " mission " de " faire connaître le plus possible " son œuvre, consacrée de son vivant par près de 160 expositions à travers le monde.

" Sabine était heureuse " d’apprécier son travail " après en avoir souvent douté tout en ayant une extraordinaire foi en elle-même; elle le qualifiait de +propre+ en regardant ses archives, après avoir feuilleté un catalogue de vente de photos de Willy Ronis (1910-2009) ", qui était comme elle une grande figure du mouvement humaniste.

Elle était dotée d’une " curiosité insatiable pour l’être humain et la vie des gens ", et cultivait inlassablement " la gratitude ", souligne-t-elle.

" Elle disait qu’elle avait eu beaucoup de chance dans la vie, mais elle l’avait bien provoquée ", poursuit-elle, en racontant que " toute petite déjà, à sept ou huit ans, Sabine Weiss vendait des marrons pour faire des cadeaux aux gens de sa famille ".

Crédit photo: JOEL SAGET-AFP

 " Jamais larmoyante "

Raymond Depardon se souvient plus particulièrement d’une exposition à Arles, dans le sud de la France, il y a quelques années: " Elle nous parlait, à travers ses photos, de nos parents et de nos grands-parents… elle transmettait l’essentiel, l’unité qui relie tous les êtres humains, sans jamais être larmoyante ".

Elle donnait à voir une " présence humaine à laquelle les jeunes photographes semblent revenir en force ", ajoute-t-il.

Le Centre Pompidou a rendu hommage à une photographe qui à l’instar de Doisneau et Ronis, " a forgé l’image de la ville humaniste des années 1950 " et " au dernier témoin de cet âge d’or de la photographie parisienne ".

Sabine Weiss, dit Mme Augustins, " ne parlait pas d’esthétique, mais de l’importance de laisser un témoignage sur son époque, sur le temps qui passe. Au-delà de son travail dans la pub, la mode, qui avait été son gagne-pain en couleur, le noir et blanc était sa détente, elle le conservait dans des boîtes, avec des petits carnets que nous avons redécouverts ensemble avec complicité ".

À l’image de sa dernière rencontre avec le public à Deauville (nord-ouest de la France) en octobre au festival Planches contact, où " elle a déroulé sa vie comme une pelote de laine avec humour et malice, oubliant que je lui soufflais les dates et ne gardant que sa joie d’avoir réussi à faire rire les gens ".

" Lundi soir, confie la collaboratrice, la gardienne qui s’occupe d’elle le soir m’a dit qu’elle avait mis du temps à aller jusqu’à son lit, car elle a souhaité toucher tous les objets dans son atelier, véritable cabinet de curiosités rempli de pierres, de carnets à dessin, d’ex-voto et objets sacrés, comme si elle leur disait au revoir avant de partir ".

Par Sandra BIFFOT-LACUT/AFP