Bien que les scénaristes d’Hollywood soient en grève principalement pour des questions salariales, leur conflit avec les studios et les plateformes de streaming est également alimenté par une hypothèse considérée comme offensante : l’idée qu’une intelligence artificielle pourrait prochainement les supplanter.

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Face à la montée en puissance des programmes tels que ChatGPT, capables d’imiter les conversations humaines, de nombreux secteurs d’activité s’inquiètent. Cette semaine, la Maison-Blanche a réuni les principaux acteurs de l’intelligence artificielle (IA) afin d’aborder les risques potentiels. À Los Angeles, sur les lignes de piquetage, le sujet est au cœur des préoccupations, surtout après l’échec des négociations entre les dirigeants et la Writers Guild of America (WGA), l’influente organisation syndicale représentant 11 500 scénaristes de l’industrie audiovisuelle.

Éric Heisserer, scénariste du film à succès Bird Box sur Netflix, s’insurge contre la substitution de l’IA à la création artistique : " L’art ne peut être créé par une machine. On perd le cœur et l’âme de l’histoire… Le premier mot (d’Intelligence Artificielle) est tout de même “artificiel”. " La WGA affirme avoir œuvré pour limiter l’usage de l’IA lors des discussions.

Le syndicat souhaitait notamment que les productions générées par des robots ne puissent pas être considérées comme des œuvres " littéraires " ou " sources ", des termes clés impliquant le versement de droits d’auteur. Il entendait également interdire l’utilisation des scénarios rédigés par ses membres pour entraîner une IA. Cependant, les studios ont rejeté ces demandes, proposant à la place une réunion annuelle pour " évoquer les avancées technologiques ". Une proposition accueillie avec ironie par M. Heisserer, qui se montre quelque peu désenchanté : " C’est bien qu’ils proposent d’organiser une réunion sur la manière dont ils exploitent cette technologie contre nous ! "

Le scénariste déplore de " voir des entreprises technologiques saccager le marché en quête de déterminer " les limites créatives des robots. Parmi les scénaristes, rares sont ceux qui envisagent qu’une intelligence artificielle puisse réaliser leur travail. Néanmoins, la volonté des studios et des plateformes de streaming d’explorer cette piste est perçue comme une provocation.

Dans un Hollywood bouleversé par Netflix et l’influence de la Silicon Valley, les scénaristes redoutent que les dirigeants soient prêts à sacrifier la créativité sur l’autel de la rentabilité. La dernière décennie a vu les équipes de scénaristes se réduire, en raison de saisons de séries toujours plus courtes commandées par les plateformes. De grands studios tels que Disney effectuent également des licenciements massifs pour rassurer Wall Street.

Les déclarations faites lors de la conférence mondiale de l’Institut Milken cette semaine à Beverly Hills ont alimenté ces craintes. Le producteur de cinéma Todd Lieberman a ainsi annoncé : " Dans les trois prochaines années, vous verrez un film écrit par l’IA, (…) un bon film ". Rob Wade, directeur de Fox Entertainment, a ajouté que l’IA pourrait être utilisée pour " le montage " ou le " story-board d’un film ". D’ici 10 ans, " l’IA sera capable de réaliser absolument toutes ces tâches ", a-t-il insisté.

Les studios soutiennent également que la WGA n’est pas aussi hostile à l’IA qu’elle le prétend. Selon une note d’information, le syndicat a expliqué lors des négociations que les scénaristes ne souhaitent pas interdire l’IA, et semblent même disposés à l’utiliser " dans le cadre de leur processus créatif ", tant que cela n’affecte pas leur rémunération. Cette hypothèse " nécessite beaucoup plus de discussions ", ont précisé les studios, selon cette note.

Leila Cohan, scénariste de la série à succès Bridgerton, estime que la seule utilité d’une IA pourrait être de l’affecter à des " tâches fastidieuses " ou aléatoires, comme suggérer des noms de personnages. Toutefois, cette scénariste de 39 ans craint que les studios soient tentés de produire des ébauches de scripts " extrêmement médiocres avec l’IA et d’engager ensuite des scénaristes pour les réécrire ". " Il est judicieux de s’attaquer à ce problème dès maintenant ", juge-t-elle. Les leçons de la dernière grève des scénaristes, il y a 15 ans, sont encore présentes dans les esprits. À l’époque, Netflix n’en était qu’à ses débuts, et la WGA avait obtenu des droits d’auteur pour la diffusion en streaming, aujourd’hui considérés comme largement insuffisants.

L’auteur de science-fiction renommé, Ben Ripley, considère qu’il est " impératif " de légiférer dès aujourd’hui " pour instaurer des mécanismes de protection " en ce qui concerne l’IA. Selon lui, celle-ci n’a aucune place dans le processus créatif. Les écrivains " se doivent d’être novateurs", souligne-t-il. Pourtant, " l’intelligence artificielle incarne le contraire même de l’innovation."

Avec AFP

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