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Du 4 au 12 octobre, la galerie While We’re Young et la galerie LT ont accueilli les amateurs d’art dans leur exposition collective Fusion féminine, Femmes d’hier et d’aujourd’hui, instiguée par les commissaires Randa Sadaka et Simon Mhanna, pour célébrer les femmes artistes pionnières et présenter les artistes émergentes, en créant des ponts entre le passé et le présent.

L’idée était de donner aux jeunes générations la possibilité de dévoiler l’envergure de l’inspiration portée par leurs œuvres, qui les situe d’une façon ou d’une autre dans un dialogue avec leurs aïeules. Une subtile constellation de styles et un éventail d’histoires, du figuratif, aux scènes surréalistes à la dissolution des formes, dans une célébration de couleurs!

L’huile, l’acrylique et l’aquarelle se sont entrelacées avec des sculptures en pierre, dans un mélange éclectique d’œuvres d’art, réunies pour la première fois sous un même toit, le tout créé par des artistes femmes libanaises, préoccupées par leur unique véritable passion: l’Art. Une exposition intergénérationnelle d’œuvres regroupant des talents féminins de renommée internationale comme Bibi Zoghbé, Etel Adnan, Helen Khal, Huguette Caland, Juliana Séraphim, Leila Beydoun Chalabi, Nadia Saikaly, Nadine Abou Zaki, Samia Osseirane, Sophie Yeramian, Vera Mokbel, Yolande Labaki et Yvette Achkar et les talents prometteurs d’artistes émergentes comme Annie Kurkdjian, Fatima Mortada, Maïssa Khoury, Sara Abou Mrad, Shereen Kouwatly, Tamara Haddad et Vicky Mokbel.

Les thèmes et les intervenants des tables rondes

Plusieurs rencontres-débats ont constitué les moments forts de cette exposition. À commencer par "L’art en fusion", le vendredi 6 octobre, précédée d’une visite guidée de la galerie WWY. L’artiste Simon Mhanna, dont les œuvres sont présentes au musée Sursock et dans les hauts-lieux de l’art, ainsi que dans la collection privée de François Pinault, est le fondateur de la galerie LT et le cofondateur de la galerie WWY à Beyrouth. Le peintre néo-expressionniste a débattu avec Randa Sadaka du panorama de la scène artistique, en présentant également son propre parcours. Randa Sadaka, dont le palmarès est très brillant, est conservatrice, autrice récompensée par le prix France-Liban 2014 pour son roman Nour entre ombres et lumières, journaliste, conférencière et commissaire d’exposition, spécialiste des rétrospectives muséales.

Une seconde rencontre autour de "L’Art et les institutions", s’est déroulée le mardi 10 octobre. Cette conférence a apporté des éclaircissements sur les rapports entre l’art et la réalité institutionnelle dont il ne peut être détaché. Les intervenant.e.s étaient Karina el-Helou, directrice du musée Sursock, Yasmine Helou, commissaire indépendante basée à Venise et Cyril Karaoglan, directeur exécutif chez Nasco-France et expert en assurance d’œuvres d’art ainsi que Juliana Khalaf, codirectrice du musée Bema.

La dernière intervention suivie d’une discussion, intitulée "Paroles de collectionneurs", a eu lieu jeudi 12 octobre. Ont pris successivement la parole, Richard Haykel, collectionneur d’art, membre du conseil d’administration du musée Bema et président de l’hôpital Haykel, Kim Issa Debbas, collectionneuse d’art et entrepreneure basée à Beyrouth, Jihad Mikhail, consultant en stratégie et en image de marque et collectionneur d’art ainsi que Carole Rassi Hajj Chahine, avocate et collectionneuse d’art.

Ici Beyrouth a rencontré les curateurs de l’exposition Fusion féminine, Randa Sadaka et Simon Mhanna, pour éclaircir leur démarche.

Comment avez-vous commencé à collaborer?

RS: Nous nous sommes rencontrés chez un ami commun collectionneur, Ali Taher, oncologue et directeur de l’Institut Naef K Basile pour le cancer à l’AUB, lors du déjeuner qu’il avait organisé à Faraya. Ce fut un coup de foudre professionnel, amical et humain. Moi, j’étais en plein dans une rétrospective muséale conséquente en février, à Deir el-Nimer, avec la fondation Tomb. Je cherchais un espace atypique pour mes prochaines rétrospectives et un associé jeune, dynamique, honnête. Aujourd’hui nous travaillons en binôme, en parfaite harmonie. C’est l’acte I avec Fusion féminine, Femmes d’hier et d’aujourd’hui et on planifie déjà l’acte II et l’acte III.

Qu’est-ce que vous essayez de dire à travers vos projets? Peut-on parler d’engagement?

SM: On travaille sur des projets institutionnels, muséaux. Dans mon autre galerie LT, je me focalise sur les artistes libanais. Ici, avec les autres cofondateurs de WWY, je me concentre sur les artistes internationaux. Avec Randa Sadaka, nous sommes en quête de l’exceptionnel et de l’insolite. Cet espace multidisciplinaire avec une superficie qui s’étend sur deux étages, a accueilli une sélection d’artistes émergentes et modernes.

RS: Une certaine vision de la sagesse en lien avec nos racines, la responsabilité d’assumer et de forger notre avenir culturel!

Le premier jour, il y avait la présence lumineuse de Yasmina Farah Massoud et l’alchimie du verbe.

RS: En effet, elle a proposé un bouquet de textes et d’extraits poétiques de trois poétesses libanaises Sissi Sursock, Etel Adnan, Salwa Raouda Choucair dans les trois langues parlées par les Libanais – l’arabe, l’anglais et le français –, sur des morceaux musicaux qu’elle a elle-même sélectionnés. C’était tout simplement magnifique.

Comment, et selon quels critères, avez-vous sélectionné les artistes émergentes?

RS: L’idée était d’inscrire la génération moderne avec la génération émergente. Il ne faut pas oublier que les guerres et les crises sont perpétuelles dans notre pays et les archives presque inexistantes. Simon et moi sommes très ancrés dans la réalité institutionnelle. Notre but est de contextualiser et de démocratiser l’art. On a choisi des œuvres majeures iconiques modernes en se fondant sur les portfolios d’artistes émergentes qui nous sollicitent régulièrement. Au départ, il y avait déjà deux artistes représentées par Simon: Annie Kurkdjian et Shirine Kouwatly. On a contacté les autres artistes émergentes et on leur a demandé de produire une œuvre, donc une commande, représentant un lien avec leurs aïeules sans jamais écraser leur propre identité.

SM: Ce n’est pas un dialogue esthétique. Les émergentes ont été inspirées par le parcours, la carrière et parfois les multiples talents des modernes. Par exemple Etel Adnan multipliait les casquettes. Elle était artiste-peintre, écrivaine et poétesse. Les jeunes talents étaient libres de s’inspirer de n’importe quelle discipline qu’elle pratiquait. Donc Randa et moi avons sélectionné pour chaque artiste émergente, une autre moderne, dans l’objectif de créer des ponts.

Comment avez-vous procédé? Qui sont vos partenaires?

RS: C’est une coproduction en partenariat avec le musée Bema qui administre la collection du ministère de la culture au Liban, y compris des collections "cachées", présentes dans les grandes administrations auxquelles personne n’a officiellement accès. Nous avons ici plusieurs œuvres en emprunt. Simon et moi sommes aussi en collaboration avec l’Agenda culturel et Radio France International (RFI). Nous avons voulu organiser un partenariat interactionnel, au-delà des galeries, des clivages et des frontières des uns et des autres. Par exemple on expose Tamara Haddad qui est une artiste représentée par Nayla Kettané-Kunigk et on propose deux œuvres de Nayla Kettané dans nos collections modernes. De même, on est en collaboration avec Sara Abou Mrad qui est une artiste représentée par Claude Lémand. Pourquoi? Car aujourd’hui les minorités sont représentées dans les musées par les Noirs américains et les femmes.

SM: C’est la première fois qu’une exposition de ce calibre est organisée sur les artistes peintres libanaises modernes et émergentes. C’était assez difficile, car chaque artiste possède une infinité d’œuvres, réparties selon plusieurs époques. On devait choisir que ce soit Randa, Elias Abou Rizk le chef du projet, ou moi, une œuvre emblématique ou, à l’opposé, l’œuvre la moins connue du public, ou celle qui représente le moins le style de l’artiste avec une dimension insolite. Par exemple, l’œuvre qu’on a exposée de Bibi Zoghbé est surprenante, car tout le monde associe l’artiste-peintre aux thèmes floraux. Elle n’a réalisé que cinq œuvres sur la maternité, dont une sélectionnée pour l’expo Fusion féminine. De même, nous avons exposé une œuvre iconique d’Etel Adnan et accroché, juste à côté, un simple dessin de l’artiste au crayon mine, représentant son encrier.

Quelle dimension occupe le corps féminin chez les deux générations?

RS: La représentation du corps est manifeste soit dans la maternité, soit dans la sexualité. Chez Juliana Séraphim, c’est dans le surréalisme érotique, chez Sophie Yéramian, c’est le corps naïf et c’est la maternité chez Bibi Zoghbé. Il y a également la sculpture de Nadine Abou Zaki. Ces images du corps seront interprétées physiquement par des artistes émergentes, comme Annie Kurkdjian, dont nous voyons les nu.e.s (voir les photos) ou avec Maïssa Khoury et le plaisir de la représentation du corps féminin en photographie.

SM: Il y a aussi Fatmé Mortada qui a mené un travail de sept ans sur la femme dans les mythes et les religions. Elle a choisi neuf figures féminines qui n’ont pas été reconnues à leur juste valeur, dont Vénus, Inanna, Astarté et d’autres. Elle a réalisé une reproduction minutieuse en broderie, de leurs habits traditionnels, avec la même texture, les mêmes proportions et des brûlures voulues sciemment dans les tissus pour mettre en valeur leur dimension mutilée.

Qu’est-ce qui distingue les femmes artistes modernes des artistes peintres hommes, de la même époque?

SM: Honnêtement, au Liban, les peintres modernes hommes et femmes baignaient dans une harmonie étonnante, phénomène assez rare même en Europe. Parmi les pionnières de l’abstraction, Yvette Achkar et Salwa Raouda Choucair ont parfois été plus loin que l’homme ou l’ont presque devancé.

N’avez-vous pas craint d’exposer les artistes émergentes aux risques de la comparaison et peut-être de la sous-estimation?

SM: Ces artistes émergentes seront un jour des talents confirmés, appartenant au courant moderne. Leurs liens avec les artistes modernes sont d’ordre multiple. Ce ne sont pas des similarités esthétiques qui vont mener à des tensions, mais plutôt des rapports positifs, complémentaires.

RS: Je préfère parler d’obscénité positive. Pour la première fois, au Liban, nous avons pris des pièces mondiales et nous les avons exposées dans un espace à valeur marchande. C’est un défi logistique de chaque instant, qui exige des défis énormes, avec une équipe très qualifiée dont Elias Abou Rizk, diplômé de l’IESA à Paris. J’avais évoqué cet évènement comme l’acte I. L’acte II est déjà annoncé. La date c’est le 29 février 2024. Il s’agit d’une exposition historique en partenariat avec l’ambassade de Suisse, sous le patronage, en la présence et avec la participation de l’ambassadrice de Suisse au Liban. Ce sera conçu comme un dialogue entre l’artiste moderne Rafic Charaf et l’artiste contemporain influencé par l’école de CoBrA, Simon Mhanna.

Profil d’une artiste émergente: Sara Abou Mrad

Sara Abou Mrad, inspirée dans cette exposition par Leila Beydoun Chalabi, est une artiste libanaise multidisciplinaire basée à Paris, diplômée de l’Institut des beaux-arts de l’Université libanaise. Elle est lauréate de plusieurs prix prestigieux dont le prix "Le Fonds Claude et France Lemand" (2020). Représentée par la galerie Claude Lemand depuis 2020, elle débute sa carrière professionnelle sur la scène artistique parisienne. Dans ses peintures, à travers son style surréaliste, Sara développe des sujets spirituels et existentiels en projetant ses expériences personnelles et intimes, ses désirs et ses espoirs. Son œuvre est un appel à préserver les valeurs humaines, la paix, la coexistence, l’amour, la foi, l’union et la solidarité. L’éloge de l’amour, de la beauté et du rêve restent le noyau de l’esthétique de l’art chez l’artiste. Elle attire l’attention sur les épreuves de l’automutilation, l’autosabotage, et au-delà, les intentions suicidaires que l’on traverse en silence. Dans ses corps déformés et démesurés, Sara souligne la souffrance du corps et celle de l’esprit dans la solitude et l’intimité. Torture, douleur, dépression et angoisse reflètent la vulnérabilité de l’Homme. Sara a participé à de nombreuses expositions individuelles et collectives, régionales et internationales, notamment à Paris, Zurich, Amsterdam, Londres, Koweït et Doha. Plusieurs de ses œuvres font partie de grandes collections privées et publiques, notamment la collection permanente du musée de l’Institut du monde arabe, le Fonds Claude et France Lemand et la Fondation Dalloul.

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