Les témoignages que nous avons vus dans le dernier article montrent bien la complexité du traumatisme.

Ce n’est pas seulement l’événement extérieur, réel, qui est enduré, mais sa pénétration à l’intérieur du psychisme individuel avec pour conséquence la désorganisation et la modification du rapport du sujet à lui-même et aux autres, suscitant un fort sentiment d’insécurité, un ébranlement considérable de ses références habituelles ainsi que de ses certitudes qui lui procuraient jusque-là un sentiment de confiance, le menant parfois à des agissements apparemment irrationnels. Rappelez-vous la série d’incendies qui a eu lieu quelques jours après l’explosion: des Libanais se sont dépêchés de fuir la capitale, d’autres se sont réfugiés dans des abris dérisoires (quelqu’un s’est enfermé dans une armoire parce que son chat l’avait fait au moment de l’explosion et s’en était sorti indemne).

Avec l’explosion au port le 4 août mais aussi, pour certains, avec la Covid-19, un sujet vit, beaucoup plus inconsciemment que consciemment, une confrontation trop proche, trop douloureuse avec l’événement, si insoutenable qu’elle ne peut facilement être rendue avec des mots. C’est une effraction psychique, une intrusion dans l’intime d’une telle violence qu’un sujet se retrouve en état de sidération. La plupart des personnes choquées décrivent cet état qui s’empare d’eux et qui les laisse totalement désorientées ("L’explosion du port a fait tout exploser à l’intérieur de moi-même."). Quelques-unes sont envahies par un sentiment angoissant qui les tenaille, qui les ronge jour et nuit, qu’ils n’arrivent pas à dire, comme s’il échappait à toute représentation familière, une rencontre avec l’impensable, l’irreprésentable: la mort. Une femme de 60 ans en parle ainsi: "J’ai l’habitude de dire que je n’ai pas peur de la mort, que je l’attends même avec une sorte de sérénité. Quelle sottise! Sur les lieux de l’attentat, je me suis dit: ça y est, je vais mourir et j’ai été prise d’un affolement indescriptible"

L’effraction psychique peut déclencher une angoisse telle qu’elle se généralise à l’ensemble de la conduite et rendre une personne craintive de tout, la menant à se renfermer sur elle-même et à s’isoler. Un homme d’une cinquantaine d’année l’illustre ainsi: "Je vis ce retrait comme un refuge, comme le fait ma tortue qui s’enfouit dans sa carapace pour échapper au danger." Le ressenti de l’évènement peut sembler durer continuellement, comme s’il était sans fin. On a le sentiment qu’on ne peut pas contrôler cette douleur ni cette violence qui désorganisent l’existence, qui empêchent de donner encore du sens à ce qu’on vit et qui peut mener à l’effondrement psychique, à la perte du sentiment d’identité ("Je ne me reconnais plus, je ne suis plus le ou la même.")

Et si un sujet se trouve lui-même, au moment du drame, dans sa vie personnelle, professionnelle, familiale ou de couple, en train de traverser une crise sérieuse, il risque de vivre d’une manière encore plus intense l’effet de vulnérabilisation provoqué par la situation traumatique.

Pour revenir aux articles précédents sur le traumatisme:

Le traumatisme – (3)- Quelques témoignages
Le traumatisme (2) – Ce qu’il faut d’abord savoir
Le traumatisme – (1) Liban: un environnement traumatogène

 

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