Quelle que soit la capacité d’adaptation des uns et des autres, un événement inattendu bouscule inévitablement le cours tranquille de l’existence. Certains y réagissent par la colère, d’autres par l’acceptation, et d’autres par la tentative d’y échapper. Dans ce magnifique roman, S’adapter, Clara Dupont-Monod nous livre les difficultés auxquelles font face les membres d’une famille après la venue d’un enfant différent. 

Lire S’adapter impose le silence. Le silence et la contemplation. Impossible de ne pas s’émouvoir devant l’histoire de cette famille composée d’un couple et de quatre enfants qui vit dans les Cévennes, dans le sud de la France, histoire délicatement retranscrite par les pierres de la cour à qui Clara Dupont-Monod prête la voix.

Dès la première phrase, le lecteur se retrouve face au handicap, à ce qu’il engendre comme obstacles dans une société où les inadaptés ne trouvent pas leur place, mais il est également face à lui-même, face à son ressenti, à ses réactions, à sa capacité d’absorber ou pas le choc de la surprise, puisqu’il se demandera forcément au fil des pages à quel profil de personnage il pourrait s’identifier.

L’incipit nous plonge d’emblée dans le corps du sujet: "Un jour, dans une famille, est né un enfant inadapté." Une famille coule des jours heureux jusqu’à la naissance du benjamin de l’heure, un petit garçon aux yeux noirs, aux joues lisses, un enfant différent qui bouleversera son existence. Couché sur le dos, immobile, toujours d’après les dires des pierres qui prennent étrangement et délicieusement la parole, on aurait tendance à croire qu’il observe le monde. Ayant des doutes à ce propos, sa mère saisit une orange qu’elle fait passer et repasser devant les yeux de l’enfant et réalise qu’il ignore le parcours de cette comète colorée dans son ciel. Le verdict tombe: l’enfant est aveugle. Il n’est pas seulement aveugle, mais il est flasque, inarticulé, ses mouvements sont absents, le souffle qui l’habite est un souffle tranquille dépourvu de la moindre vitalité. La vie se réorganise autour de l’enfant immobile. L’aîné tombe littéralement amoureux du petit dont le bien-être devient la priorité, tandis que la jeune sœur l’évite, le déteste, lui en veut presque d’exister, lui qui a volé l’harmonie du foyer, l’attention de son grand frère. Le petit prince aux yeux noirs n’a qu’un sens développé: l’ouï. Et c’est cette grâce-là qui permettra à son aîné de lui faire découvrir la poésie du monde, le bruit de l’eau, le vent, les oiseaux, les abeilles, toutes les choses qui embellissent cette vie dont nous ne sommes que des passagers éphémères. Il l’enveloppe, le protège, lui donne tout l’amour qu’il a en lui, toute son attention, lorsque la cadette, elle, refuse même de le porter dans ses bras.

Le petit dernier arrive vers la troisième partie du récit et sert rétrospectivement de liant à la famille éclatée à cause du petit sorcier. L’orange à l’origine de la découverte du handicap du petit frère absent réapparait. Dans une montée des circonstances, elle est lancée par le nouveau benjamin comme un astéroïde qui atterrit sur les pierres narratrices, incompréhension extériorisée, peut-être pour boucler la boucle, le fruit devenant tout un symbole, coup de grâce à l’enfermement dans une réalité amère, l’orange emprisonne puis libère, espérance, pour la famille.