" La tempête de neige Yasmine continue de faire des ravages au Liban, elle s’intensifie et couvre le pays de son manteau blanc […] "

Elle est arrivée sans s’annoncer, vêtue de son épaisse veste de velours immaculée. Lorsqu’elle l’a ôtée, le spectacle m’a coupé le souffle. Elle se tenait-là, droite dans sa longue robe bouffante d’un blanc éblouissant, de ce blanc qui aveugle et oblige les yeux à se plisser et le visage à se froncer dans une grimace peu flatteuse. Ses épaules nues et son décolleté révélaient une peau nacrée, presque scintillante. Elle était aussi mince qu’une allumette, perdue dans le tulle vaporeux de sa robe de princesse. Ses cheveux ébène tombaient en cascade dans son dos. Leur couleur profonde contrastait avec les quelques flocons de neige que le ciel avait délicatement saupoudrés dans ses mèches. Son khôl avait coulé et, sur ses pommettes, des larmes noires sillonnaient jusqu’au coin de ses lèvres bleuies par le froid. Elle pleurait. Au bout de son bras ballant pendait sa main qui tenait encore son bouquet de roses.

Fantomatique mariée abandonnée.

J’ai appris plus tard qu’elle avait fui la cérémonie de ses noces et qu’elle avait erré sur la plage de Jbeil un long moment. Poésie de son propre désarroi, elle avait été surprise de découvrir le tapis de sable doré tout humide, partiellement dissimulé sous un manteau blanc inhabituel. Il n’y avait donc pas que son monde à elle qui semblait vivre un bouleversement. Ses pas l’avaient guidée-là, elle avait poussé la porte du café, la chaleur l’avait anesthésiée un court instant, celui où je l’avais aperçue, celui où nous nous sommes rencontrés.

Il y a eu ce vent polaire quand la porte s’est ouverte, la vague de froid qui frappait le Liban était un phénomène suffisamment rare pour être souligné. Mais plus que cela, c’est un souffle glacial qui s’est engouffré dans ma poitrine, ce froid interne particulier, celui qui givre le cœur et lui fait manquer quelques battements. Et puis, une chaleur dans le creux du ventre et le black-out. Véritablement. Parce que l’électricité a été coupée soudainement, parce que j’ai plongé dans un trou noir vertigineux, incapable de pensées et hors de raison, à la merci des palpitations folles de mon cœur qui me guidait droit vers elle, son ombre blanche dansant devant mes yeux aveugles.

Et puis l’avalanche s’est déversée sur moi, j’ai été emporté par un déluge de sentiments inconnus, incontrôlables et complètement contradictoires, d’une violence jouissive inouïe!

Je suis tombée amoureux de cette fille à la seconde où elle a levé ses yeux verts humides et où ils ont croisé les miens, hagards, déjà abrutis d’amour, juste avant que le noir nous engloutisse.

Quand la lumière est revenue, je ne saurais dire combien de temps s’était écoulé, mes mains tenaient le creux de sa taille, mes lèvres embrassaient les siennes.

Ils l’ont appelée la tempête Yasmine, je la nommerai pour toujours la tempête Blanche.

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