Alors que le Liban fait face à une crise économique et politique de grave ampleur, s’habiller est devenu de moindre importance pour les Libanais. Toutefois, cela n’implique pas l’agonie du secteur de la mode.  Au contraire, la flambée des prix des marques internationales importées rend le coût de la production locale plus compétitif et offre une opportunité en or et une vraie carte à jouer au "Made in Lebanon". Dans ce contexte, nous avons visité l’entreprise Fallaha s.a.l, spécialisée dans la vente de tissus d’habillement depuis 1925, et nous nous sommes entretenus avec monsieur Georges Fallaha, P.D.-G .de l’entreprise, et monsieur Marwan Fallaha qui ont décrypté pour nous les défis qui touchent de près le secteur de la mode, et qui nous ont confié leur vision pour promouvoir une industrie de l’habillement durable et dynamique.

Parlez-nous de votre entreprise. Dans quoi est-elle spécialisée? Qui sont vos clients?

Notre entreprise est spécialisée dans l’industrie du textile de l’habillement. Nous importons des tissus en provenance d’Asie et nous vendons en gros aux fabricants de vêtements au Liban, mais aussi au détail, aux jeunes créateurs incapables d’acquérir de gros volumes et qui souhaitent se lancer dans l’industrie de la mode.

Quels sont les tissus d’habillement les plus demandés sur le marché libanais? Comment faites-vous pour suivre les tendances actuelles de la mode?

Mode Liban

Avec la baisse du pouvoir d’achat des consommateurs libanais, la majorité des tissus d’habillement que nous importons et vendons sur le marché se situe dans la catégorie des tissus à faible coût, tels que la viscose ou le polyester. Nous proposons aussi une petite gamme de tissus pour robes de cérémonie, mais cette gamme est particulièrement destinée à l’exportation. Malheureusement, l’importation de tissus à prix moyen, tels que la laine ou le coton, a été largement impactée par la crise économique. Les petits volumes demandés sur le marché ne justifient plus, désormais, leur importation.

Nous suivons les tendances de la mode en visitant les salons professionnels du textile en Chine, en Turquie ou à Paris. Nous consultons aussi régulièrement le réseau social visuel Pinterest pour y puiser de l’inspiration ainsi que de nouvelles idées. Nos importations visent à répondre aux besoins du marché local. Les tissus que nous vendons servent à la fabrication de vêtements basiques, d’uniformes de travail, mais aussi de vêtements plus tendance issus de la fast fashion.

Face à la crise économique, quels sont les défis rencontrés dans l’industrie de la mode?

La crise au Liban a favorisé la production de vêtements locale et offre une opportunité en or au "made in Lebanon" pour se développer à la fois localement et accéder aux marchés à l’international. Cependant, en l’absence de mesures de soutien efficaces et d’infrastructures fiables, la production reste limitée et le secteur de la mode fait face à des difficultés majeures pour augmenter sa capacité tout en maintenant des prix abordables.

Parmi les obstacles rencontrés, nous citerons le coût du matériel de production, qui est toujours sensible aux variations du taux de change du dollar américain. À noter aussi que la possibilité de relèvement du taux du dollar douanier sur le matériel de production dans l’industrie de la mode pourrait affecter considérablement les prix de la production. À cela s’ajoutent le rationnement en électricité, qui a augmenté la dépendance aux générateurs pour faire fonctionner l’industrie, ainsi qu’une hausse du coût d’alimentation de ces générateurs en raison des pénuries de carburant.

Le manque de la main d’œuvre qualifiée représente aussi une contrainte majeure pour les producteurs dans l’augmentation de leurs capacités. Au Liban, il y a, d’une part, un manque de formation aux métiers des techniques primordiales de l’industrie de la mode, tels que coupeur, patronnier, mécanicien modèle, et, d’autre part, une loi floue qui gère la main d’œuvre étrangère. Le secteur a besoin de responsables de production capables de guider la réalisation des patrons et des prototypes, de superviser la fabrication des modèles et d’améliorer les cycles afin de réduire les coûts.

Quelles sont, selon vous, les mesures qui pourraient sauver le secteur de la mode durant les prochaines années et faire du Liban un pôle régional de l’habillement?

Dans les années 80, le Liban a connu un essor sans pareil de l’industrie de la mode qui, à un moment donné, contribuait largement au PIB, comptait pas moins de 400 entreprises et plus de 35 000 employés, tous inscrits à la Caisse nationale de Sécurité sociale. Malheureusement, le manque de soutien de la part de l’État a fait que l’industrie de la mode a été saccagée. Toutefois, rien n’est jamais perdu, la crise économique offre une nouvelle possibilité à ce secteur de se développer. Mais pour cela il faut un soutien efficace de l’État, comme la création d’une zone franche industrielle géographiquement circonscrite, avec une qualité d’infrastructures élevée, pour favoriser la croissance économique, l’exportation, la régulation du taux du dollar douanier sur le matériel de production, ainsi que la création de formations techniques et leur promotion auprès des jeunes libanais.

Le Liban est un pays qui possède de vrais talents, et les métiers de la mode ont l’avantage de créer des perspectives pour les jeunes et les femmes dans l’ensemble du pays. Soutenir le secteur de la mode contribuera à limiter l’immigration et à faire du Liban un hub régional qui rayonnera dans l’industrie de l’habillement.