Aux origines: ballet de cour

Remontons aux origines du ballet classique, au XVe siècle, où la danse a surtout une fonction récréative (je ne parle pas des danses rurales et populaires qui ne nécessitent pas de costumes et sont exécutées à l’occasion de fêtes). Musique, chants, scénographie et danse se mêlent, et leur fusion donne naissance, vers la fin du XVIe siècle, au ballet de cour: spectacle privé que l’aristocratie et la royauté se donnent à elles-mêmes – les danseurs sont les grands noms de la cour (à part quelques danseurs professionnels). Il puise son argument dans la mythologie, sans aucun souci de vraisemblance; les personnages sont habillés en tenues de l’époque et on voit donc Vénus arborer une fontange et Apollon une perruque et des talons rouges.

Les femmes portent d’amples et longues robes décolletées, avec manches longues et guimpes, le tout assorti d’un masque et d’une perruque (mais très souvent les rôles féminins sont tenus par des danseurs ou des musiciens travestis, la majorité des danseurs étant des hommes). Quant aux hommes, ils portent des vestons courts, des pantalons serrés et une jupe flottante par-dessus, ainsi qu’un masque et une perruque. Danseurs et danseuses évoluent en chaussures à talons. Chaque costume et ses accessoires doivent permettre d’identifier clairement le personnage représenté. Soumis à la règle absolue de convenance, les costumes sont cependant révélateurs de la richesse de leur commanditaire et rien n’est assez fastueux pour affirmer son statut dans une société de pur paraître: toile d’or ou d’argent, satin ou velours ciselés, mousseline ou dentelle, tant de tissus sont travaillés, chargés de broderies, d’ornements de pierres, de perles ou de diamants.

Mais pour cela, il y a un prix à payer: du fait de la complexité et du poids des habits, notamment pour les femmes (corsets, paniers sous les jupes, etc.), les mouvements sont conditionnés par ces derniers, limités à des marches, des postures guindées du haut du corps et quelques petits jeux de jambes.

En scène avec le ballet d’action

Au XVIIIe siècle, les danseurs s’émancipent des cours pour évoluer dans des théâtres. C’est l’époque où se développe le ballet d’action, un ballet pourvu d’une véritable narration et d’une plus grande mise en valeur de l’interprétation du danseur. Les costumes sont toujours ceux de hautes classes sociales, toujours anachroniques. Pour les hommes, le pourpoint est garni de décorations, et la jupe flottante se transforme en tonnelet grâce à de grands morceaux de crin qui la rigidifient. Quant aux femmes, elles portent un panier en jonc sous la robe, toujours aussi chargée de décorations voyantes, ce qui les empêche de faire preuve d’autant de virtuosité que les hommes. Cependant, la technique de la danse commence à prendre le dessus sur le costume: afin de laisser voir le jeu des pieds, les hommes portent une sorte de caleçon bouffant, et les femmes raccourcissent leurs jupes, à condition (évidemment!) qu’elles soient portées avec des "caleçons de modestie", bas en laine, en coton ou en soie, tenus par des jarretières, sûrement à l’origine des collants. Les danseuses assument de plus en plus ce début d’affranchissement du costume et, par conséquent, du corps: on voit Marie Sallé apparaître dans le ballet qu’elle a chorégraphié, Pygmalion (Covent Garden, Londres, 1734), vêtue d’une simple robe drapée, les cheveux épars, sans panier, sans corps de jupe. Marie-Anne de Camargo développe une technique impressionnante, et ses prouesses, comme les cabrioles, les sauts et les entrechats, habituellement réservées aux hommes, peuvent être appréciées grâce à sa jupe bien raccourcie. Et grâce à Jean-Georges Noverre, danseur et maître de ballet, la nécessité de libérer le corps des danseurs des costumes traditionnels va être théorisée dans son ouvrage Lettres sur la danse (1760): "Secouez l’usage de ces paniers raides et guindés qui privent l’exécution de ses charmes, qui défigurent l’élégance des attitudes, et qui effacent la beauté des contours que le buste doit avoir dans ses différentes positions. […] Je diminuerai de trois quarts les paniers ridicules de nos danseuses."

Ballets romantiques, ballerines éthérées

Après la Révolution française, des règles tombent avec certaines parties des costumes et on assiste à un retour à plus de simplicité, avec une vogue pour les vêtements inspirés de l’antiquité: tuniques et robes fluides rehaussent la légèreté des interprétations avec la légèreté des tissus, comme le voile ou la mousseline pour les danseuses. C’est l’époque du ballet romantique, racontant des histoires puisées dans l’imaginaire du Moyen Âge et de la Renaissance (Giselle, chorégraphie de Jean Coralli et Jules Perrot, d’après le livret de Théophile Gautier), de l’Orient (La Péri, chorégraphie de Jean Coralli, d’après le livret de Théophile Gautier, La Bayadère, chorégraphie de Marius Petipa) ou des pays nordiques (La Sylphide, chorégraphie de Philippe Taglioni et une autre version d’Auguste Bournonville). Une innovation marquante est celle du chausson de danse qui va remplacer les talons, légers souliers plats en satin, retenus aux pieds par des rubans entrecroisés à la cheville. Les sauts prennent plus de hauteur, la chorégraphie occupe plus d’espace, la technique se complexifie et l’expression des sentiments se renforce. C’est aussi l’époque où la danseuse, qui n’avait au départ que des rôles secondaires, prend le devant de la scène et, de ce fait, s’affirme davantage dans l’émancipation du corps. Le critique Philippe Verrièle apporte une analyse intéressante à ce sujet:

Dans le théâtre, vers 1830, sont reproduits ces standards de division des sexes de l’époque, et la femme a un rôle strict, inspiré de celui qu’elle a en société: gardienne du foyer, mère, objet de passion, toujours "passive". Mais dans les ballets romantiques, c’est le contraire: la femme devient moteur de l’action, autonome, protagoniste centrale de ces histoires fantastiques, tant et si bien que les danseurs, eux, sont relégués à un statut secondaire, celui de porteurs et de faire-valoir des danseuses. Cependant, ce sont souvent des "non-femmes": elles sont esprits, sylphides, éthérées, ce qui rend cette émancipation plus acceptable pour l’époque. En effet, le ballet romantique exalte la femme réduite à un pur esprit, toute blanche, le corps sublimé et affranchi de la gravité. Giselle, Nikiya, la Sylphide et la Péri, emblèmes d’amour et de mort, créatures ailées, ombres ou fées, elles ne peuvent être atteintes. Le costume exalte leur évanescence: jupes en gaze ou en mousseline et voile, et les fameuses pointes. Danser avec des pointes correspond à un désir d’élévation et de sublimation de la matière, typique de l’époque romantique. Une personnification pure de la période romantique du ballet est la danseuse Marie Taglioni, notamment dans son rôle dans La Sylphide où elle apparaît à la fois en tutu romantique (longue jupe en voile) et avec une technique aérienne sur pointes sans effort apparent.

Conçu d’abord pour rompre avec l’image des charnelles bacchantes, le costume romantique se décline en tissus comme la crêpe ou la gaze qui évoquent la brume, le rêve et permettent de rendre le corps éthéré; il va aussi jusqu’à nier ce dernier. Ce n’est que plus tard que ce costume et sa version plus moderne (le tutu) deviennent objets de fétichisme.

De nos jours, le ballet classique s’accorde une liberté quasi-totale quant aux costumes: on retrouve le tutu devenu symbole de la danseuse classique, la chemise large et les collants opaques des hommes, mais aussi de longues tuniques fluides, des justaucorps et des collants, ainsi que des tenues du quotidien comme des jeans, des shorts, ou encore des costumes torse nu. Contrairement à ceux des débuts du ballet, ces costumes contemporains exaltent les prouesses techniques, l’impressionnante utilisation du corps dansant et, surtout, la liberté d’expression physique et artistique.