Lorsqu’il s’agit de transmission, qu’ils aient été moins présents qu’ils n’auraient dû l’être n’empêche pas les morts de conserver leur place dans le souvenir des vivants. Dans Histoire du fils, prix Renaudot 2020, Marie-Hélène Lafon part d’un concours de circonstances pour entamer une histoire de quête, celle du père, dans un voyage entre les époques et les lieux, entre amertume et austérité, entre gaieté forcée et tendresse.

Tout commence dans l’infirmerie d’un internat où Paul, adolescent, s’aventure à prendre un bain en faisant fondre la glace. Une bronchite s’ensuit et le cloue au lit, dans l’infirmerie: premier contact avec G., l’infirmière, cette future mère insaisissable, absente, avare de son temps.

Tout commence dans un cri animal, celui du petit Armand, amoureux d’Antoinette, qui reçoit sur son petit corps d’enfant l’eau bouillante destinée à la lessive, ce cri qui bouleverse la vie de Paul, l’éternel enfant qui n’a pas su grandir, coincé dans l’enfance et dans la disparition de son jumeau.

Deux événements baptismaux pour un récit traité par séquences périodiques où le lecteur doit rassembler les points dans l’espoir que le fils rencontre le père.

Dans ce voyage où les lieux géographiques et les années se mêlent, Marie-Hélène Lafon ne permet aucun flottement, aucune bulle d’air dans la quête d’identité du fils. Le roman commence donc par un terrible drame en 1908 et s’achève en 2008 lorsque le fils accepte l’absence du père, ce fils mûr, indulgent, compréhensif face à l’absence du père-enfant. Dans ce siècle de travail de recherche sporadique, les aïeux deviennent des enfants, et la transmission silencieuse, tendre et implacable émeut dans une dignité qui frôle parfois la froideur. Avec l’auteur, le lecteur mène l’enquête d’une naissance non seulement de père inconnu, mais d’une mère absente, occupée par une vie que l’on découvre vide, à Paris. Tout au long de l’histoire, et même s’il jouit d’une belle carrière d’avocat respecté de tous, le père, ce tonton jamais marié, glisse progressivement dans la peau de l’éternel adolescent en même temps qu’il glisse d’entre les mains incertaines du fils qui ne le cherche pas vraiment, élevé par sa seconde mère, sa tante, et par son mari dans une famille devenue sienne.

Cette transformation de l’insaisissable père en enfant que le fils mûr et raisonnable laisse volontairement filer est-il le fruit du manque de courage du fils de l’affronter ou son désir de faire durer le plaisir de sa quête?

Quoi qu’il en soit, qu’il soit retrouvé ou pas, son existence n’est pas mise à mal, ni en doute, et sa mémoire sera éternelle dans son absence première et finale, tant qu’on parlera de lui, même à demi-mot, même si cet attachement à un fantôme inquiète.

Dans cette histoire touchante, habilement contée, savamment menée, Marie-Hélène Lafon réussit son rôle de jongleuse avec brio; qu’il s’agisse de période, d’âge, de contexte ou de relation, tout s’entremêle et fonctionne admirablement. La vie du fils, celle du père, celle des mères, toutes les existence tendent inexorablement vers l’enfance de chacun, fondement de vie où se forgent les personnalités et où les grandes souffrances en cachent des plus petites, souvent aussi douloureuses que pernicieuses.

Histoire du fils de Marie-Hélène Lafon, éditions Buchet-Chastel, 2020, 176 p.