Au lendemain de l’explosion apocalyptique du 4 août, Alina Gurdiel contacte Diane Mazloum qui se trouvait à Beyrouth avec son fils au moment des faits pour s’enquérir d’elle. Comme elles avaient discuté à Arles de la collection "Ma nuit au musée" publiée chez Stock et dirigée par Gurdiel, l’échange téléphonique sert de déclencheur à Mazloum qui décide de prendre part au projet, à Beyrouth.

À partir de là, le choix du Musée national, situé sur la ligne de démarcation qui divisait la ville en deux, s’impose à l’auteure, elle qui avait envie de le découvrir depuis longtemps et qui remettait sa visite pour plus tard.

L’écriture de ce récit autobiographique révèle questionnements et désespoir de voir le Liban sombrer, dépérir à vue d’œil, et transpose le lieu de mémoire aux rues de Beyrouth, transformée en musée à ciel ouvert.

Le lieu figé abrite sculptures, vestiges et momies ayant bravé la guerre, emmurés dans de grands cubes de béton. Dans cette mise en abyme, les fœtus du passé enfantent introspection et projection en avant, à mi-chemin entre rêve et réalité, exil et enracinement, régions et pays, époques et civilisations – cocktail d’émotions rapportées à l’oreille du lecteur-confident.

En sondant Beyrouth, l’auteure sonde son rapport à celle-ci dans une tentative de comprendre pourquoi elle a choisi de faire sienne cette ville d’où elle vient sans vraiment en venir.

En effet, installée sur son lit de camp aléatoirement situé près de la fenêtre baignée par le brouhaha sécurisant de la rue jadis silencieuse, elle se souvient des bruits qui berçaient son enfance, de la clôture de cette période heureuse par un autodafé qui n’a pas réussi à anéantir les clichés lancinants du passé, à les empêcher de hanter son présent.

Que la route du musée eût été guettée par le cruel franc-tireur à partir du même point où elle rédige son livre la plonge dans des interrogations sur le destin d’un Liban à la croisée des chemins. En ce lieu où tout semble figé, au lieu d’évoquer la mort, l’immobilité évoque la vie.

Au lieu de l’hermétisme, du silence que sous-entend le concept même du musée, les façades poreuses invitent l’extérieur à l’intérieur, bruitant la visite ponctuée par un rappel à l’ordre des gardiennes du lieu.

L’auteure explore les allées obscures en compagnie des personnages de son premier roman qui s’invitent dans le récit, donnant leur avis sur la situation, commentant l’état des lieux du pays.

En même temps qu’elle prend le lecteur par la main, Diane Mazloum se prend elle-même par la main. Est-elle en danger?

Les chuchotements intimes dans la nuit qui n’en est pas une sécurisent dans l’insécurité ambiante. Lorsque les momies prennent trop de place, voilà que les fantômes lancent des "Mme Mazloum!", preuve que le Libanais n’est pas totalement seul, totalement abandonné dans cette chute vertigineuse, dans cette nuit qui n’en finit pas.

La page du chapitre Liban peine à se tourner pour l’auteure. Sa nuit au musée l’aide à s’en distancier, à régler son compte à la part de libanité qui la mine, qui empêche ses autres identités, jouant des coudes, de s’affirmer, de se frayer un chemin, d’émerger à cause d’un pays qui prend trop de place, jusqu’à étouffer les autres.

Le Musée national de Diane Mazloum, Stock, 2022, 165 p.