Musique techno à fond et coffre rempli de vivres à ras bord, trois jeunes Ukrainiens se sont portés volontaires pour venir en aide aux habitants de Kharkiv qui croulent sous les frappes russes. Ils sont livreurs et distribuent des vivres.

Les deux derniers jours ont été plutôt calmes dans cette grande ville du nord-est, la deuxième plus grande d’Ukraine. Mais ce mardi, le son du canon ukrainien comme celui de l’artillerie russe ont à nouveau retenti.

La ligne de front est à moins de 5 km des quartiers nord et est de Kharkiv et la frontière russe est à quelques dizaines de kilomètres. Pas de quoi décourager les trois bénévoles, Nazar, Alexiï et Oleg.

Devant une école maternelle reconvertie en centre de stockage de nourriture, ils chargent le coffre de leur voiture avec des sacs en plastique contenant chacun du pain et des boîtes de conserve.

" Notre principal objectif est de nourrir des enfants et des personnes âgées, ils en ont le plus besoin. Malheureusement, en ce moment, les gens n’ont plus ni argent ni travail, beaucoup d’entre eux ne peuvent même pas se déplacer jusqu’à un supermarché ", explique Nazar Tichtchenko, 24 ans.

Casquette à l’envers, T-shirt et bermuda de sport noir, tennis rouge vif, Nazar a des faux airs de Karim Benzema, avec son bouc, son crâne rasé et son regard noir du haut de son 1,87 m.

Fan de foot, il aime la bagarre, mais pas la police. Sur un tibia il a tatoué le chiffre 13 et sur l’autre le 12, autrement dit dans l’ordre de l’alphabet : ACAB (" All cops are bastards ", " tous les flics sont des bâtards ").

Né à Tyrnyaouz, en Russie, il a " vécu toute (sa) vie dans le mouvement des fans de football, avec des gars nationalistes qui sont imprégnés d’amour pour notre pays ", l’Ukraine.

Musique vs guerre

Voiture chargée, direction une ancienne poste devenue centre humanitaire, qui distribue de la viande. Ils vont échanger du pain contre des cuisses de poulet.

Au volant, Alexiï, 23 ans, corpulence de chat maigre, fin et musclé, yeux bleus et petite mèche sur un tour de crâne rasé. C’est lui qui a eu l’idée des livraisons.

Pendant deux ans il a livré du pain à Kharkiv et dans le Donbass, puis il a été mécanicien.

Quand la guerre a éclaté, il est redevenu livreur de pain. Puis son entreprise a fermé. Alors il a commencé à livrer lui-même. " Mais je ne pouvais pas le faire seul, alors j’ai demandé à Nazar de m’aider ", dit le jeune homme.

Devant le local où la viande est distribuée, plus de cent personnes font la queue.

Le chargement de poulet terminé, en route vers la première livraison. L’Opel rouge file. Dans l’habitacle on peut fumer et la musique techno est à plein tube.

" Nous ne pouvons pas conduire sans musique. S’il y a des bombardements, nous augmentons simplement le volume. Nous sommes fatigués des bombardements. (La musique) nous aide à nous détendre, nous n’avons pas peur ", assure le grand tatoué.

Les quartiers nord et est de la deuxième ville d’Ukraine – près d’un million et demi d’habitants avant la guerre – sont quasiment chaque jour la cible de roquettes russes. Les frappes sont aléatoires, espacées, à toute heure du jour ou de la nuit, parfois meurtrières.

Un jour, au moment d’un bombardement, " tous les abris étaient fermés ", raconte Nazar. " Nous ne pouvions donc pas nous cacher. Nous nous sommes couchés par terre et nous avons protégé des civils pour les sauver ", assure-t-il.

Des bénévoles au secours de la population

Le trio de bénévoles arrive devant une maison décrépie. Quinze personnes vivent là, dont des jeunes enfants, dans plusieurs appartements.

On livre les sacs, on discute, on joue avec les gamins. Leur visite est aussi du réconfort, un lien social.

" Pendant que je suis ici à faire cela, je sens que je fais la bonne chose, je ne suis pas inutile, je comprends que je peux aider les gens. Je ne ressens pas de joie, je fais simplement cela et je sais que c’est juste ", explique Alexiï.

Une explosion sourde se produit assez près.

Oksana Taranouchkav, une des résidentes, sursaute. Nazar la rassure. Il n’y a pas de danger explique-t-il : à l’oreille on peut différencier un tir de la défense antiaérienne ukrainienne – ce qui était le cas – d’une frappe russe.

La femme, âgée de 49 ans, salue l’aide des bénévoles.

" Nous ne recevons aucun soutien, les magasins sont détruits, nous ne pouvons rien acheter, nous survivons ", dit-elle, avant d’implorer en larmes : " S’il vous plaît, M. Poutine, arrêtez, s’il vous plaît ! "

La livraison est terminée, on s’embrasse, l’Opel rouge repart vers une nouvelle adresse.

En fin de journée, une roquette russe a frappé un immeuble de ces quartiers. Trois personnes sont mortes.

Avec AFP

Abonnez-vous à notre newsletter

Newsletter signup

Please wait...

Merci de vous être inscrit !