"Avec les trois quarts d’un siècle… ce n’est que le début", disait la radieuse Carole Bouquet, avant de recevoir le baiser fougueux du président du jury Vincent Lindon! Une scène voluptueuse qui a enflammé l’assistance, au même titre que la réplique de Bouquet qui s’en est suivie: "Vous voyez, c’est ça le cinéma"… L’on se rend compte que la vraie magie du cinéma, dans les films et hors cadre, c’est de marquer nos mémoires à tout jamais…

Triangle of Sadness… une palme méritée!

Après un carré triomphant en 2017, avec la Palme d’Or pour The Square, Ruben Östlund réitère son triomphe avec un triangle cette fois-ci, Triangle of Sadness… Avec ses films aux titres géométriques, le réalisateur complète son cercle par une satire brillante chargée de mode, mondialisation, culture narcissique et de super-riches. Quelques critiques ont considéré le film indigne de son trophée, compte tenu du calibre de la concurrence sur la Croisette et des films précédents du réalisateur, mais notre critique se place sous un tout autre angle.

Le film, dont le titre fait référence au terme que les plasticiens utilisent pour le traitement au botox qui consiste à lisser les rides du lion, démontre que la réalité de la beauté de nos jours équivaut à de la monnaie. La beauté se symbolise par un billet décerné par des personnes de la haute société friquée à un couple de mannequins, comprenant une invitation sur un yacht de luxe grâce au grand nombre de followers d’Instagram que l’un des deux possède. Manque de bol, une tempête les contraint à écourter leur croisière. Les mannequins, un couple de milliardaires et une femme de ménage se retrouvent tous sur une île déserte. La femme de ménage est la seule à savoir pêcher et à faire du feu. Elle est donc hissée sur le podium de la toute-puissance sur l’île, avec les hiérarchies complètement chamboulées. Arrive même un moment où le mannequin-homme commence à coucher avec la femme de ménage pour avoir plus de poisson!

C’est cette vision matérialiste d’un monde au sein duquel notre comportement dépend tellement de la situation financière dans laquelle nous baignons que Östlund évoque tout au long du film. C’est aussi le cinéma qui ne nous dérange pas trop et qui ancre notre idée de l’identité des méchants de nos jours. C’est un film qui exprime notre rejet de ce monde cynique, sans défier pour autant notre propre sensibilité.

Des ex æquo à gogo…

Faut-il avoir le sentiment que tout le monde a gagné? C’est ainsi que s’est manifestée la malédiction #Cannes2022, où des avis divergents sont survenus entre membres du jury. Le Grand Prix a été décerné (conjointement) au film que tout le monde a adoré, Close, le drame intense et fervent de Lukas Dhont sur la relation entre deux garçons de 13 ans, et qui est merveilleusement joué et très touchant, ainsi qu’au film intéressant mais imparfait et plutôt mineur de Claire Denis, Stars at Noon, qui avait été vertement moqué par de nombreux critiques. La tentative de faire fusionner le personnel et le politique avec la rencontre érotique entre une journaliste de voyage américaine et un consultant d’une compagnie pétrolière britannique est en soi intéressante, même si le jeu ne mérite pas l’excellence.

Le Prix du Jury est aussi allé conjointement à The Eight Mountains, de Felix Van Groeningen et Charlotte Vandermeersch; et à EO de Jerzy Skolimowski. Le premier met en scène deux hommes, amis d’enfance, qui construisent ensemble une cabane pour passer les étés idylliques dont ils ont été privés, enfants. Le second est un film sur un âne (inspiré indirectement d’Au Hasard Balthazar de Robert Bresson), réalisé par le grand cinéaste polonais Jerzy Skolimowski, venu pour la première fois à Cannes en 1972 avec un film interprété par David Niven et Gina Lollobrigida, et produit par Jeremy Thomas, le titan britannique de la production indépendante.

Le prix de meilleur scénario a été attribué au Suédois d’origine égyptienne Tarik Saleh, pour Boy From Heaven, une satire anticléricale qui est aussi un drame d’espionnage doté de plus qu’un soupçon de John le Carré… En somme, une attaque périlleuse contre la théocratie égyptienne. Tourné à Istanbul, Boy From Heaven connaîtra vraisemblablement et tristement le même sort que le film précédent de Saleh, The Nile Hilton Incident, qui avait été interdit en Égypte.

Ce 75e anniversaire nous a offert un travail de sélection pointu et un futur régal pour le public des salles obscures.

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