S’inviter dans l’intimité de la famille d’un auteur suscite curiosité et émotions, surtout lorsqu’il s’agit d’une auteure aussi prolifique et surprenante que Nothomb. Son imaginaire nous conduit dans un monde spectaculaire qui puise son essence dans l’univers mythologique, nous renseignant sur la nature humaine à travers les figures auxquelles elle fait référence à travers ses personnages.

Dans Premier sang, Amélie Nothomb rend hommage à son père défunt en lui donnant la parole. Elle choisit de le faire durant le laps de temps vertigineux précédant sa mort ou plus précisément son éventuelle exécution sous les feux des rebelles congolais, à Stanleyville.

Nous retrouvons donc la voix du condamné à mort prêt à s’abandonner au destin qui lui est réservé, fusils pointés sur lui, et c’est à ce moment précis qu’il décide de glisser délicieusement dans le labyrinthe du souvenir, comme un ultime signe de reconnaissance à la vie, à sa courte vie, à ses vies multiples malgré son jeune âge.

En quelque 180 pages, Nothomb père repasse sa vie, son enfance, ses émotions, son cheminement avant la balle fatale.

D’où vient l’extraordinaire inspiration d’Amélie Nothomb? Le lecteur trouvera une réponse à cette question et à bien d’autres dans Premier sang où se révèle au grand jour l’incroyable famille Nothomb.

Patrick grandit sans son père. Sa mère est occupée à couver son désespoir jusqu’à en faire un mode de vie, n’a pas le temps de l’éduquer. Elle continue de vivre chez elle, dans la maison matrimoniale, et place son fils chez ses parents. Ce fils à la sensibilité exacerbée qui s’évanouit à la simple vue du sang évolue dans un univers d’adultes, jusqu’au jour où son grand-père décide de l’envoyer chez ses grands-parents paternels pour "s’endurcir". C’est là que Paddy – diminutif de Patrick adopté par sa maman – découvre qu’il vient d’une lignée où les enfants ne mangent pas à leur faim et où le froid ronge les os en hiver, où l’on apprend à mériter sa place à la table des grands, à partir de 16 ans, où, en somme, rien n’est acquis.

Lire Amélie Nothomb est toujours surprenant, et cela ne fait que se confirmer en faisant défiler les pages d’une simple histoire de famille qui devient un récit extraordinaire, digne des contes pour enfants.

Contrairement à ce à quoi on pourrait s’attendre en lisant un hommage au père, bons sentiments ou règlement de compte lorsque le père marque négativement sa progéniture, Amélie Nothomb n’a pas du tout fait dans le registre du pathos.

Cette reconnaissance que la fille témoigne à son père ayant été auteur bien avant elle est touchante à plus d’un titre grâce, en partie, à la construction historique parallèle où l’histoire belge se déroule en même temps que Patrick grandit, puis en même temps qu’il adore pleinement, inconditionnellement la vie au moment où elle devait s’arracher à lui.

Premier sang est un roman surprenant. Il faut dire qu’on est rarement préparé à lire Amélie Nothomb. Sa plume vive, amusante, qui nous renseigne sur nous-mêmes sans prise de tête, n’en finit pas de révéler un talent exceptionnel dans l’art de conter. Plaisir renouvelé donc en lisant Premiers sang.

Premier sang d’Amélie Nothomb, Albin Michel, 2021, 180 p.